Critique et analyse cinématographique

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FIFF 2018 – Carnet de bord (4)

Le FIFF est terminé mais nous avons encore des choses à dire sur quelques film vus en fin de festival : notamment un enthousiasme programmé pour le dernier Rithy Panh – qui figure d’ailleurs au palmarès – et une grosse déception envers le premier film de Meryem Benm’Barek, que de bons échos nous avaient survendu.

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Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni

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Au FIFF, Les Drapeaux de papier était vendu comme le premier film de son réalisateur, le jeune Nathan Ambrosioni (18 ans), puisqu’il faisait même partie de la compétition Première Œuvre. Les spectateurs du BIFFF savent que ce n’est pas le cas puisque Ambrosioni y présentait il y a un an et demi son long métrage Therapy, lequel n’était déjà pas son premier. Mais parlons plutôt du présent film…. Guillaume Gouix et Noémie Merlant y jouent un frère et une sœur qui se retrouvent. Le premier a passé plusieurs années de sa vie en prison. La réinsertion sera compliquée, tout comme la refonte des liens familiaux. On se trouve donc ici devant du lourd, du social, du psychologique. Le film ressemble à la fois à une dissertation d’adolescent sur la réinsertion, mais arbore également les marques d’un cinéma de la démonstration hystérique, d’un pseudo-réalisme coup-de-poing. On a dès lors l’impression de se trouver devant un court d’étudiant, étiré en long, et joué par des acteurs professionnels. Ceux-ci se plient d’ailleurs docilement aux volontés de leur réalisateur, à l’image de Guillaume Gouix, rejouant pour la énième fois sa partition de brute au grand cœur, mais avec une dimension parodique involontaire. Chaque scène croule sous le poids de sa propre lourdeur, des regards appuyés, des silences pesants, des non-dits, du passif suggéré mais néanmoins souligné des personnages, etc. Tant d’intériorité manifeste et surjouée ne peut que se fissurer à un moment donné, et exploser en règlement de comptes spectaculaire. Tout est dit et en même temps pas grand-chose. (TG)

Note : 2/10

 

Une année polaire de Samuel Collardey

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Suivant un enseignant danois installé au Groenland, officiellement pour « éduquer » la population locale, Samuel Collardey applique sa méthode maintenant habituelle et théorisée, à savoir la « refictionnalisation » du réel. Il prend donc comme protagonistes des personnes réelles et leur font rejouer des situations qu’elles ont réellement vécues en y instillant de manière difficilement dosable de la fiction. Il fait ainsi de ces gens de véritables héros de cinéma, dans le sens le plus « mainstream » et premier degré du terme. Une année polaire, dans sa dernière partie, vire d’ailleurs carrément au film d’aventures à dimension humaniste. Si le résultat est inégal – on pense parfois à National Geographic – la démarche de Collardey et son travail avec les acteurs de transcendance du réel restent intéressants. (TG)

Note : 6/10

 

Les Tombeaux sans noms de Rithy Panh

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Il est parfois difficile d’isoler un film de Rithy Panh de l’ensemble de son œuvre documentaire. De ses films, on dira souvent qu’ils opèrent un devoir de mémoire, de recollection et de conservation de cette mémoire. Dans le cas des Tombeaux sans noms, on pourra parler plus précisément d’un travail d’exorcisme. L’exorcisme est au centre même du film, exorcisme de la parole, des démons de l’histoire du Cambodge, mais aussi exorcisme des esprits. La mémoire des victimes passe par un dispositif d’incarnation. Elles sont incarnées par les photos, par les cercueils remplis de pierre, et jusque dans l’invocation de leurs esprits, notamment dans une scène de transe cathartique. Même la voix-off disant un texte original épouse cette idée d’incarnation. Il faut aller au bout de ce processus, dire les choses, les redire, les jouer, les rejouer, les assimiler les transcender, puis encore les réapprendre, continuellement. C’est ce travail que fait Rithy Panh, inlassablement, de film en film, et c’est ce geste résolu, ininterrompu, qui fait toute la force de son cinéma. (TG)

Note : 8/10

 

Sofia de Meryem Benm’Barek

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Reparti avec le prix du scénario de la section « Un Certain Regard » au dernier festival de Cannes et sorti en France sous une pluie de bonnes critiques, Sofia nous a laissé plus que sceptiques. A commencer par son scénario, qui serait donc sa principale force. Péniblement écrit avec les gimmicks attendus du film d’auteur engagé, il ne nous épargne rien : un twist pénible pour nous mettre une bonne claque (sic), des dialogues surlignés en rouge (avec ces phrases qui se terminent toujours avec le nom de l’interlocuteur, du style « Tu sais, Sofia », « Non mais attends, c’est pas comme ça que ça se passe, maman »), un manque de subtilité dans la description des rapports de classes où plusieurs personnages paraissent moins humains qu’archétypaux (seuls Sofia et Omar sont épargnés, on imagine que c’était l’idée, mais ça fonctionne mal) même si, par exemple, le flic est moins crapuleux qu’attendu ou le père plus effacé (ça ne change néanmoins pas grand-chose à la fonction que doit remplir chaque situation dans le déroulement du récit) ; ou encre le recours à des scènes de règlements de comptes hyper théâtrales qui frôlent parfois le comique involontaire tellement elles sont poseuses (la scène entre femmes sur la terrasse, par exemple). L’écriture parvient néanmoins à travailler plusieurs niveaux : l’intime, la pression sociale ou les hérésies d’une société tiraillée entre les traditions et la modernité. Mais n’est-ce pas le dénominateur commun de la plupart des films nord-africains récents ? Il n’y a donc là rien d’original. La mise en scène de Meryem Benm’Barek demeure également extrêmement classique. Rien ne vient déstabiliser son petit programme (c’est le but de ce genre de films auquel il ne faut rien demander de plus). Il reste alors Sofia, étrange personnage qui garde en elle cette impulsion naturelle que son milieu tend à tout prix à réprimer pour gravir les échelons dans la société. Il est beau de voir un personnage marqué par un héritage génétique prononcé conserver un lien avec cette impulsion inexplicable face à l’hypocrisie qui l’entoure. C’est certainement là une idée peu émancipatrice et un cliché sur la lutte des classes, mais pourtant bien ancré dans le corps d’une femme qui lutte entre différents désirs, différentes aspirations de vie, et qui se voit « rappelée à elle malgré elle ». Ce serait alors un des seuls points de réel d’un film lourd et convenu alors que de nombreux films marocains ou algériens nous ont livré de meilleurs exemples récemment. (GR)

Note : 3,5/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


FIFF 2018 – Carnet de bord (3)

Petit ventre mou en milieu de semaine au FIFF, mais tout de même un intérêt certain – une fois n’est pas coutume – pour un film belge et une détestation inconditionnelle pour un horrible film coup-de-poing français.

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Seule à mon mariage de Marta Bergman

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Dire du bien d’un film belge ne nous arrive pas tous les jours. Mûrement réfléchi (on sent bien que la cinéaste provient du documentaire où elle a pu expérimenter les questions de la bonne distance et du regard), Seule à mon mariage décloisonne à la fois le film naturaliste à sujet qu’on aurait pu craindre et nous épargne la vulgarité du désagréable film « coup de poing ». Marta Bergman contourne avec brio tous les clichés en n’étouffant ni les personnages, ni son discours, par ses choix de mise en scène ou une écriture trop appuyée. On pourrait néanmoins lui reprocher une fin engagée inattendue et contradictoire, dans le but d’échapper à un certain optimisme qui serait contradictoire avec la réalité actuelle ? C’est aussi tout à son honneur de nous rappeler que malgré l’humanité évidente des populations discriminées par les médias et cie, leur combat est loin d’être gagné. (GR)

Note : 6,5/10

 

Alice T. de Radu Muntean

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On attendait le nouveau film de Radu Muntean à la fois avec enthousiasme et appréhension. On savait que l’on allait y trouver une mise en scène précise, une direction d’acteurs impeccable, des scènes longues, en plan fixe, impressionnantes, voire intimidantes. C’est exactement ce qu’offre le film et c’est précisément ce qui en fait sa limite. Prototype représentatif du formalisme psychologique roumain, Alice T. suit son personnage d’adolescente immature avec la fameuse « distance » devenue emblématique du genre. La belle idée du film est de confier à son personnage principal un secret dont elle est totalement responsable, et qu’elle cache aux autres personnages alors qu’elle sait – et que le spectateur sait – que sa révélation est inévitable. Le film retarde cette révélation de manière de plus en plus perverse, laissant présager d’un final dans les pleurs et la confrontation. Si pleurs il y a bel et bien, la confrontation est évitée, ou tout du moins décalée, pour être remplacée par un ultime plan étiré qui commence dans le symbolisme le plus béat et se termine presque dans le voyeurisme. Ce sont donc des sentiments mitigés, mais finalement plutôt déplaisants, qui restent après la vision d’Alice T., d’autant plus que le regard porté par le cinéaste sur son personnage semble parfois à la limite du jugement, de la condamnation pure et simple. (TG)

Note : 5/10

 

Les Chatouilles d’Andréa Bescond et Éric Métayer

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Voici un film d’illusionnistes, un film qui a effectivement fait illusion au dernier Festival de Cannes et qui fait immanquablement illusion au FIFF également. Un film qui pousse le bouchon jusqu’à faire illusion au sein même de sa vision, nous jetant de la poudre aux yeux pour nous faire croire qu’il est autre chose qu’un règlement de compte cinglant et hystérique. Par le recours à la danse, Les Chatouilles tente dans un premier temps d’importer un dynamisme de chorégraphie dans sa mise en scène, coupant constamment dans le mouvement pour paraître vivant, pour opposer à son sujet grave et austère un traitement vif, voire « cool », censé le transcender. Car le film se trouve être l’adaptation du seul-en-scène cathartique d’Andréa Bescond, dans lequel elle tendait à exorciser les actes de pédophilie dont elle fut victime dans son enfance. N’ayant pas vu ce spectacle, nous ne pouvons pas nous exprimer directement dessus, mais nous pouvons dire notre ressenti sur cette adaptation qui s’avère catastrophique, voire honteuse. Peut-on faire jouer ces personnages – l’ami pédophile de la famille et les parents « aveugles » – à des acteurs « bankable » en pleine tentative de performance ou de « cassage » de leur image ? Nous en doutons fortement. L’apothéose de ce dispositif foireux est atteinte lors d’un règlement de comptes final avec la mère, surjouée de manière éructante et grotesque par Karin Viard, mauvaise comme jamais. Le film a probablement atteint son but : administrer un uppercut dans le ventre de son spectateur tout en se dissimulant derrière un mur de « poésie artistique ». Ceux qui aiment être traités de la sorte, se faire manipuler sur le plan psychologique et sentimental, seront ravis. (TG)

Note : 1/10

 

L’Esprit de la ruche (El Espiritu de la Colmena) de Charles De Ville

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Avec un tel titre, on pouvait attendre de ce documentaire belge une relecture du célèbre film de Victor Erice. Or, ce n’est pas le cas, il n’y a aucun rapport. Le premier plan, tourné dans la maison des protagonistes, montre pourtant un drap éclairé d’une lumière jaunâtre et une jeune enfant qui sort de la pièce. On se met à espérer mais ce sera la seule référence, certainement involontaire, à son homonyme espagnol. Le film est-il pour autant mauvais parce qu’il a déçu nos espoirs ? Malheureusement, oui. Le cinéaste s’intéresse au quotidien d’un petit village mexicain sans qu’on comprenne réellement où il veut en venir. On perçoit ça et là quelques idées (l’immigration, la survie économique en autotomie,…) mais la narration reste confuse et le travail sur le réel s’avère plus proche du reportage que d’un film documentaire. Au milieu de tout ça, il y a donc les ruches. Elles jouent un rôle mineur dans le film. Ironie du sort, elles représentent un moyen de survie pour la communauté : il est question d’argent et de rentabilité. Alors que chez Victor Erice, bien entendu, elles tissaient un lien fort avec l’enfance et l’imaginaire, ce que le film ne parvient jamais à faire, ni même à nous montrer quelque manifestation que ce soit d’esprit. (GR)

Note : 1/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


FIFF 2018 – Carnet de bord (2)

Les choses se précisent au FIFF, des films se démarquent par leur originalité, leurs démarches singulières. Retour sur les films vus dimanche et lundi.

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L’Ordre des médecins de David Roux

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Après une première partie en forme d’Hippocrate light et télévisuel, balisé par des dialogues affligents et plombé par le (sur)jeu monolithique et crispé de Jérémie Rénier, le film embraye sur une seconde, laquelle décrit la préparation d’un deuil, convoquant à la fois une esthétique neutre de film à débat sur une chaîne de la télé publique et un pathos appuyé. L’Ordre des médecins semble ainsi accumuler toutes les tares d’un cinéma qui se cherche entre film à sujet lourd et fausse distance « auteur ». On se retrouve une nouvelle fois devant un film de scénario appliqué, enchaînant les scènes « à faire » avec la constance d’un métronome : scène professionnelle, réunion familiale, « respiration » musicale, etc. Il n’y a vraiment rien à sauver dans ce type de produits formatés. (TG)

Note : 2/10

 

L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier

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Un des plus beaux sujets que le cinéma peut traiter est le rattachement à ce qu’il y a en nous d’humain, ou ce qu’il peut en rester. Face à la catastrophe et à l’apocalypse qui s’annonce, L’heure de la sortie fait le pari de raconter cette histoire au milieu d’un genre qui ne semblait pas s’y prêter au départ (le thriller fantastique). Marnier s’intéresse à un groupe d’enfants modèles qui lentement se désaffecte pour se préparer à l’apocalypse. Or, cette lente désaffection, cette désensibilisation au monde, s’avérera impossible. D’une brillante intelligence, le film évite tous les clichés et s’impose comme une réflexion profonde et bouleversante sur ce que doit être l’homme, aujourd’hui, à l’heure où tout semble s’écrouler autour de nous. (GR)

Note : 9/10

 

Genèse de Philippe Lesage

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Le film surprend et fonctionne essentiellement grâce à la construction en deux temps de son récit. La confrontation entre les deux parties produit un étrange sentiment qui se rapproche sans doute de ce qu’à cherché à traquer le cinéaste : la genèse des sentiments amoureux, la genèse mystérieuse du fait d’être vivant et d’être incapable de lutter contre les affects qui nous submergent. Sans cette confrontation narrative, le film aurait été banal. Il accumule en effet trop de clichés des teen movies, J. D. Salinger à la main, comme ces scènes de danse en boîte censées aider le spectateur à entrer dans l’histoire. Il subsiste encore par moments quelques scènes curieuses, comme une scène de viol à la composition graphique qui détonne par rapport à l’ensemble du film. Le propos politique sous-jacent, visant notamment une certaine normativité ambiante, questionne également l’hypocrisie de la société canadienne. Genèse mérite donc d’être analysé en détails car il contient des pistes intéressantes à explorer. (GR)

Note : 6,5/10

 

En Liberté ! de Pierre Salvadori

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Voir le contre/contre

 

Braquer Poitiers de Claude Schmitz

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D’un argument de comédie policière convoquant un univers de pieds nickelés battu et rebattu, Braquer Poitiers parvient à tirer quelque chose de totalement singulier en utilisant des comédiens non-professionnels et en ayant mis sur pied un dispositif de tournage particulier. Fasciné par le personnage réel de Wilfrid Ameuille, propriétaire de Car Wash à Poitiers, Claude Schmitz a brodé une ébauche narrative très vague autour de lui en ajoutant plusieurs duos de personnages typés (les bons belges, les « cagoles », les jeunes de banlieue). Le travail d’épure du film, prélevant des moments dans des blocs compacts de tournage, permet de saisir une certaine vérité des personnages, au-delà des clichés avec lesquels il joue. Ce qu’il en résulte est un film compact (60 minutes), parlant du sur-place et de l’ennui mais paradoxalement rapide et constamment vivant. (TG)

Note : 7,5/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


« En liberté ! » de Pierre Salvadori : Contre/contre

Pas de pour/contre, mais plutôt deux avis différents, pouvant néanmoins se rejoindre par certains aspects, sur le nouveau film de Pierre Salvadori, présenté au FIFF de Namur.

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Thibaut Grégoire (plutôt contre) :

Plus décalé, plus fou que ses films précédents, En liberté ! peut apparaître comme une sorte de lâcher-prise pour Pierre Salvadori, bien qu’il soit tout de même encadré par certaines limites. D’entrée, on est frappé par le côté tape-à-l’œil de la scène d’ouverture, qui sera amenée à être répétée ad nauseam tout au long du film. Mais cette répétition, cette déconstruction des scènes et des personnages, fait partie intégrante du film, et sa vulgarité manifeste est elle aussi amenée à être déconstruite. Ce côté débridé, décomplexé, est plutôt à mettre à l’avantage d’En liberté !, c’est ce qui le place au-dessus du tout-venant de la comédie française, tout comme l’honnête qualité d’écriture de certains dialogues, de certaines scènes. Ça ne le met pourtant pas à l’abri de tomber à plat la plupart du temps et de pâtir en outre du jeu outré de ses comédiens – Pio Marmaï et Adèle Haenel, principalement – même s’il faut tout de même sauver la prestation de l’excellent Damien Bonnard.

Note : 4,5/10

 

Guillaume Richard (très contre) :

Après le navrant Le monde est à toi, la deuxième cartouche de la comédie française labellisée auteur de 2018 s’avère tout aussi ratée et pas drôle. Le principe est le même : on copie des modèles et on rend un hommage pop à une forme de comédie qu’on ne pratique plus. Le tout sous la forme d’un hommage qui ne parvient jamais à trouver un souffle et à dépasser le système forclos dans lequel il s’enferme. La faute à un scénario raté (on retarde jusqu’au bout les quiproquos avec une rare lourdeur), des dialogues calamiteux, un jeu d’acteur catastrophique qui voit dans le cabotinage le seul moyen de donner corps au comique, et à un humour qui fonctionne par le recours systématique à la « bouche bée » : il faut créer du décalage absurde et le rendre palpable dans le récit à travers l’ébahissement des personnages secondaires (soit la forme d’humour la plus facile et la plus désagréable à regarder, selon moi) . En Liberté ! accumule également les maladresses censées pourtant nous faire mourir de rire (sic) : pourquoi se moquer des gens qui pratiquent le SM, qui est une forme d’expression du désir comme une autre ? Et ne parlons pas du sentimentalisme très 1er degré qui ne s’intègre pas du tout à l’ensemble du film. Ce dernier en est même freiné :  la mièvrerie assumée par Salvadori semble servir de gage de sécurité, de bouée de sauvetage (pour garder à flot un public « plus large » ?), et empêche la comédie d’être totale et de fonctionner. Bref : je n’ai pas ri une seule fois devant ce film pathétique et prétentieux.

Note : 2/10


FIFF 2018 – Carnet de bord (1)

Une découverte documentaire et un excellent duo d’acteurs ont été pour nous les bonnes surprises de ce début de FIFF. Retours argumentés sur ces films et sur d’autres.

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Nos Batailes de Guillaume Senez

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Prototype parfait du film belge d’auteur à hauteur d’homme teinté de réalisme psychologique, Nos Batailes, revenu pourtant de Cannes avec une bonne réputation, étonne par sa banalité, son manque d’audace et son respect du cahier de charges attendu. Il n’y a aucune faille, aucun écart, aucune surprise. Senez n’a que des cris sourd et des larmes chaudes à nous offrir pour raconter une énième histoire de personnage-courage qui doit lutter pour s’en sortir. Le cinéaste accumule tous les clichés du genre et même, c’est le pompon !, le recours à un morceau de musique populaire pour souligner un moment de bonheur éphémère entre deux batailles. Ce genre de films est tout simplement épuisant par sa naïveté, sa vulgarité qui veut nous être montrée comme de la « pudeur » et surtout son inculture, que l’on ressent derrière le poids d’un auteur persuadé d’avoir réalisé un film fort et important, alors qu’il est d’une effrayante banalité. Les acteurs sont également mauvais et surjouent, mais peuvent-ils faire autrement dans ce type de film ? Le plus inquiétant, c’est qu’il sert de porte-étendard au cinéma belge. Ce constat est dur mais il faut voir les choses en face : il est temps de passer à autre chose, de produire des films plus audacieux et moins programmatiques, de remettre en question les modes de production et les privilèges. Il est temps de tout renverser. (GR et TG)

Note : 3/10

 

Un amour impossible de Catherine Corsini

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On pourrait sauter sur ce film à bras raccourcis, le taxer de classicisme, lui reprocher sa linéarité ou l’absence de recul par rapport à son sujet. Il faut dire que le film est coscénarisé par Christine Angot, qui semble être la dernière ambulance à la mode sur laquelle on tire. Certes, le film est surécrit, semble s’épanouir dans le classicisme le plus appliqué, et repose sur l’autofiction crue et égocentrée d’Angot. Mais il en découle également une certaine fluidité narrative et une assez belle clarté des enjeux. Sans parvenir à transcender réellement son scénario et ses sujets, Un amour impossible est paradoxalement agréable à suivre, d’autant plus que ses deux comédiens principaux (Virginie Efira et Niels Schneider) sont tous deux excellents. (TG)

Note : 5/10

 

Lola et ses frères de Jean-Paul Rouve

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Que dire d’un film dans lequel il faut absolument que tous les personnages soient sauvés, que le « happy end » soit total, et qui se termine pratiquement sur un plan « mon chéri » dans lequel des gens s’embrassent et s’accolent au ralenti ? Le dernier film de Jean-Paul Rouve – aidé au scénario par inénarrable David Foenkinos – est un feel good movie au carré, une sorte d’apogée béate du genre, dans lequel tous les personnages se mêlent de la vie des autres « pour leur bien ». On peut retrouver le même type de personnages, de trame narrative, d’absence de mise en scène et de bons sentiments à la pelle à la télévision : ça s’appelle Camping Paradis. (TG)

Note : 2/10

 

Des moutons et des hommes de Karim Sayad

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Ce très beau film documentaire s’intéresse aux relations qu’entretiennent quelques habitants d’Alger avec leurs moutons, juste avant l’Aïd où les bêtes sont sacrifiées. On suit par exemple Habib, un garçon doux qui cherche à renforcer sa virilité grâce aux combats de moutons, une pratique marginale dans le pays. Sauf que son mouton, qui le suit comme un chien et auquel il s’attache affectivement, finit par ressembler à son maître : une fois dans l’arène, il ne peut pas combattre. C’est à la fois bouleversant et désarmant. Il n’y a pas une fausse note dans le regard que porte Karim Sayad sur le quotidien de ses protagonistes. Discrètement et sans jamais appuyer lourdement sur les effets, il parvient même à adresser des piques envers les dérives du pouvoir religieux et la situation politique du pays. On pourrait encore aller plus loin en comparant l’homme et l’animal ou en analysant la façon dont les enfants construisent leur imaginaire à travers les moutons. Un grand film, donc. (GR)

Note : 8/10

 

Mitra de Jorge Leon

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Tout à l’inverse de Des moutons et des hommes, Jorge León semble incapable de trouver la bonne distance et le bon équilibre dans Mitra qui se rêve en film-total mais qui ressemble plus à un fourre-tout prétentieux. En 1h20, León traite en effet d’au moins 4 sujets : l’arrestation politique et l’internement forcé d’une psychanalyste en Iran (Mitra, donc) ; le quotidien de malades mentaux dans un hôpital psychiatrique ; la réalisation d’une création à la Monnaie inspirée des récits de Mitra et des malades ; la destruction de l’ancien hôpital où se trouvait les malades. Le cinéaste filme à fois les traces et les récits, le visible et l’invisible, la pudeur croise l’impudeur, sans qu’on puisse y trouver une quelconque cohérence. Pourquoi filmer en contrepoint l’internement de la psychanalyste et les malades ? Quel est le rapport ? León n’hésite pas user d’effets pompeux et dérangeants. Il remet par exemple en situation une malade terrorisée dans une ancienne pièce de l’hôpital désaffecté qui servait de chambre d’isolement. Ou il utilise une infirmière au visage angélique comme « médiatrice » entre les spectateurs et les malades, presque comme un personnage de fiction. Que vient-elle faire ici ? Et puis il y a tout ce qui tourne autour de la création sonore qui reste difficilement audible tant pour le spectateur que pour la cohérence du film. Le cafouillage de Mitra nous paraît donc total et, au final, comme souvent lorsqu’on voit trop grand, ce sont tous les aspects du film qui sont déforcés et rendus artificiels. (GR)

Note : 3/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


FIFF 2016 – « Illégitime » d’Adrian Sitaru

Il y a maintenant un bon moment que les films roumains – surtout au sein de festivals – sont attendus comme le Messie et traités avec une certaine déférence, incarnant apparemment un modèle absolu de ce que la critique et le public attendent d’un « bon » cinéma d’auteur, à savoir la rigueur, la gravité, des plans fixes, des sujets forts, etc. Cette attente a fini par contaminer les plus réfractaires à ce type de système dogmatique, puisque l’on préférera – en festival, toujours – se tourner, en cas d’alternative, vers un film roumain plutôt que vers un autre. Cette prédisposition favorable est bien sûre ridicule, ce qui n’exempte pas d’apprécier un film roumain à sa juste valeur, avec ses qualités et ses défauts.

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Le présent film, Illégitime d’Adrian Sitaru, commence par une longue scène de dîner qui semble tendre le bâton pour se faire battre, tant elle rappelle un cinéma de règlement de comptes familiaux, façon Festen ou Pardonnez-moi. Un patriarche roumain se fait juger par ses quatre enfants pour avoir dénoncé des tentatives d’avortement sous le régime de Ceausescu. Si le procédé est facile et déjà-vu, on se prend tout de même à rêver que le film continue, sur cette voie qu’il a creusé, à interroger la culpabilité et la responsabilité des anciens, le regard neuf et extérieurs des nouvelles générations, la dimension morale du rapport à l’histoire. Si cela en ferait un film à thèse, il serait tout du moins déterminé et radical dans sa démarche.

Mais le film préfère s’éloigner de cette interrogation en déplaçant sa problématique vers celle de la vie et de l’avortement, par des moyens détournés. Sitaru délaisse en effet presque totalement le personnage du père pour s’intéresser à la relation incestueuse qu’entretiennent deux de ses enfants et le dilemme que va soulever la grossesse qui en découlera. La première scène n’était donc là que pour entrer en résonance avec ce qui allait suivre, une manière de préparer le terrain, d’orienter la réflexion.

Illégitime n’en est donc pas moins un film à thèse, mais ne l’assume pas totalement. Il préfère construire des murs de fumée et emprunter des chemins de traverse pour aborder son sujet, comme pour détourner l’attention, de manière assez roublarde. La manœuvre peut encore fonctionner, mais commence à s’émousser, tant le système se fait de plus en plus voyant. Néanmoins, l’épilogue du film, détaché esthétiquement et scénaristiquemement du reste, tend à déplacer et à pervertir le questionnement moral. Encore une fois, on ne voit pas trop où Sitaru veut en venir mais, au moins, sa tentative est plus inédite que tout ce qu’il a pu proposer auparavant.

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient du 30 septembre au 6 octobre 2016 à Namur

Plus d’infos sur le site du FIFF


FIFF 2016 – « Even Lovers Get the Blues » de Laurent Micheli

Voici venu le temps du nouveau premier film belge, celui qui réunit tous les clichés du film choral, du film de jeunes, du film de drogues, du film de sexe, du film de trentenaires, du drame psychologique, du road-movie,….

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Le FIFF est une fenêtre ouverte sur le monde francophone et sur des cinémas qui ne sont pas toujours à la portée directe du spectateur, mais il est aussi une fenêtre sur la production locale, celle qui est à portée de main mais que l’on n’a pas forcément l’idée ou l’envie d’aller chercher. Il faut dire que, d’année en année, les films belges francophones, et particulièrement les premières œuvres, semblent s’auto-produire en circuit fermé et reproduire inlassablement les mêmes clichés et les mêmes erreurs.

Even Lovers Get the Blues échoue là où Tokyo Anyway, Baby Balloon ou encore Nous quatre ont déjà échoués, dans la description d’une jeunesse désabusée – en gros qui couche, qui boit et qui se drogue – mise face à ses contradictions et confrontée à la fameuse « dureté de la vie adulte ». Ce nouvel ersatz ajoute une composante pornographique à l’ensemble, espérant probablement choquer au passage le festivalier.

Non seulement tous ces films sont interchangeables dans leur écriture et leur esthétique mais – plus grave – ils véhiculent une image réactionnaire et paternaliste de la génération des 25/35, réduite à l’état de masse immature, incapable de faire des choix et de se débrouiller dans un monde « cruel ».

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient du 30 septembre au 6 octobre 2016 à Namur

Plus d’infos sur le site du FIFF


FIFF 2016 – « Zaineb n’aime pas la neige » de Kaouther Ben Hania

Après un premier long métrage de fiction remarqué – Le Challat de Tunis, sélectionné notamment à l’ACID en 2014 – Kaouther Ben Hania revient au documentaire et propose une version définitive de ce qui fut en réalité un travail au long court : le tournage épisodique, étalé sur six ans, de l’histoire de membres de sa famille.

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Elle suit une mère célibataire de Tunis, qui décide de se remarier et de déménager au Canada pour rejoindre son nouvel époux et former ainsi une famille recomposée, avec ses deux enfants et la fille de son mari. Le film adopte d’entrée le point de vue de Zaineb, la petite fille tunisienne qui accepte, dans un premier temps, assez mal le rapprochement de sa mère avec un autre homme et la perspective de changer de pays.

Kaouther Ben Hania filme la création de cette famille et le ressenti de chacun – en particulier celui des enfants – en épisodes, généralement séparés d’ellipses d’un an et demi. Ce dispositif apporte une ampleur particulière au documentaire et donne au spectateur l’impression de partager la vie des personnes filmées, un peu comme il pouvait avoir l’impression de partager celle de personnages de films de fiction étalés sur la longueur – par exemple, Boyhood ou La Vie d’Adèle.

Pourtant le film est assez bref, mais le lien se crée, au-delà de ce qu’il pourrait engendrer comme réflexions sur le changement de culture, la place de la religion, etc. Ces problématiques sont là mais n’empiètent jamais sur le côté humain, le tout formant un ensemble homogène.

La réalisatrice ne manque tout de même pas de briser le quatrième mur à plusieurs reprises, afin de rappeler que l’on se trouve bien dans un documentaire, que les personnes que l’on voit évoluer existent. Et cette démarche trouve son apogée lors de la toute dernière scène, dans laquelle les intervenants prennent la place du spectateur et découvrent, pour la première fois, le film que l’on vient de voir. Si le procédé a déjà été utilisé dans d’autres documentaires, il crée toujours une sorte de vertige, un moment où le film se dédouble et communique avec le réel.

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient du 30 septembre au 6 octobre 2016 à Namur

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FIFF 2016 – « Le Voyage au Groenland » de Sébastien Betbeder

Habitué d’un cinéma que certains qualifieront de « parisianiste » ou d’autres de « fragile », Sébastien Betbeder décide de révéler réellement ce qui sous-tend tous ses films en se délocalisant et en allant filmer une histoire simple d’amitié en plein milieu du Groenland.

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Thomas et Thomas, deux amis comédiens habitués des petits boulots et des grandes galères, font un voyage ensemble au Groenland, pour aller retrouver le père de l’un deux. Entre découverte des coutumes locales, tentatives amoureuses vaines de l’un des deux envers une autochtone, et consolidation de leur amitié, les deux Thomas décompressent jusqu’à en oublier leur vie d’intermittents, laquelle fini tout de même par se rappeler à eux.

Dans un de ses précédents films, 2 automnes 3 hivers, Betbeder se servait du prétexte du film choral et d’histoires d’amours fluctuantes pour évoquer une amitié masculine, sans verser dans l’éloge de la camaraderie virile. Dans Le Voyage au Groenland, c’est le dépaysement, l’importation de son cinéma dans un décor aux antipodes de ceux qu’il filme habituellement, qui lui permet d’aborder le même sujet sous un angle neuf, et avec un humour un peu différent.

Le décalage dans lequel se trouvent ces deux personnages d’artistes bohèmes au milieu des chasseurs et des pêcheurs groenlandais, essayant de communiquer et de se dépatouiller avec une langue totalement hermétique à leurs oreilles, déteint évidemment sur l’humour du film. Mais on ne peut pas non plus qualifier celui-ci de décalé, dans le sens où il n’y a aucun cynisme ni détachement parodique dans sa démarche et sa manière d’être drôle.

Ce qui séduit le plus dans Le Voyage au Groenland, c’est cette faculté à contourner les pièges dans lesquels il pourrait tomber, à créer un humour « bienveillant » qui ne ressemble pourtant à rien de ce que l’on peut voir dans des comédies françaises grand public, et à suggérer la part de mélancolie de manière non-ostentatoire, dans le flou des non-dits et du hors-champ.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2016 – « Orpheline » d’Arnaud des Pallières

Réunissant un casting très excitant pour qui observe de près la jeune génération de comédiens français, Arnaud des Pallières propose avec Orpheline un film totalement schizophrène : un film-choral à un seul personnage ou un film introspectif à personnages multiples. Le projet est audacieux mais s’aventure sur les terrains du naturalisme et du mélodrame, deux carcans dont il ne parvient pas totalement à se défaire.

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Le film dévoile, petit à petit et de manière anti-linéaire, trois personnages forts de femmes, chacune dans un moment déterminant de sa vie : une adolescente fugueuse poursuivie par un père violent, une jeune femme arrivant à Paris et paumée entre différentes mauvaises fréquentations, une femme en apparence rangée rattrapée par son passé. Si les trois personnages ainsi dessinés et la structure chorale que revêt le film font passer celui-ci pour un drame français très lourd et appuyé, Orpheline a justement pour ambition d’utiliser ce genre et ces clichés pour surprendre son spectateur en transformant trois personnages typés de fiction pour incarner trois occurrences d’une même femme à la recherche de son identité.

Les trois figurations de ce personnage sont donc incarnées par trois actrices différentes (Solène Rigot, Adèle Exarchopoulos et Adèle Haenel), lesquelles donnent la réplique à des acteurs qui, eux, voyagent d’une ligne narrative à l’autre, dans les mêmes rôles (Gemma Arterton, Sergi López, Nicolas Duvauchelle,…). Le film devient dès lors une expérience à la fois éprouvante et participative pour le spectateur, qui n’est amené à découvrir le véritable enjeu du film et son ambition qu’au fil de trois récits intriqués mais difficiles à rattacher l’un à l’autre.

Cette expérience, ainsi que l’ampleur de la démarche d’Arnaud des Pallières, ne peut qu’intriguer et stimuler mais, au fur et à mesure de la vision, le spectateur est malheureusement confronté à des clichés et des lourdeurs qui le « réveillent » et lui rappellent qu’il se trouve dans un film d’auteur français à tendance démiurgique. Arnaud des Pallières ne peut en effet s’empêcher de verser à plusieurs reprises dans le voyeurisme misanthrope et de mettre ses personnages et ses actrices dans des situations dégradantes. Faire faire de vilaines choses à de jolies femmes semble être devenu le motto actualisé d’une certaine partie des auteurs. On ne s’étonne donc plus de voir Adèle Haenel pleurer à chaude larmes les trois quarts de sa prestation, Adèle Exarchopoulos rejouer inlassablement les scènes « sulfureuses » de La Vie d’Adèle, et Solène Rigot en adolescente confrontée à la dureté de la sexualité, rôle qu’elle endossait déjà dans Puppylove.

Dans sa dernière partie, le film tente également d’apporter une justification psychologique à l’autodestruction progressive de son héroïne protéiforme en ajoutant une occurrence du personnage au trois existantes : une petite fille vivant un traumatisme fondateur. À ce moment-là, le film aura coché toutes les cases de ce que l’on s’attend à voir dans un drame français « riche de sens » et la beauté initiale de ce projet ambitieux se sera noyé dans les tares de ce qu’il semblait, au départ, vouloir contourner.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2016 – « Deux billets de loterie » de Paul Negoescu

Dinel, Sile et Pompiliu achètent ensemble un ticket de loterie qui s’avère gagnant. Mais l’un d’eux se rend compte que le ticket était dans un sac-banane qu’il s’est entre temps fait voler. Les trois amis se lancent alors sur la piste des voleurs, allant interroger un à un les voisins de Dinel pour leur soutirer des informations.

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Si Deux billets de loterie présente des archétypes du nouveau cinéma roumain, dans sa construction répétitive et dans son esthétique – plans larges et fixes –, il étonne de prime abord principalement car il s’agit d’une comédie pleinement assumée comme telle, avec son trio de « pieds nickelés » et son humour de situations. Voir des systèmes scénaristiques et de mise en scène généralement réservés à un cinéma d’auteur dit « de festivals » dans une vraie comédie, probablement à portée populaire, est à la fois réjouissant et inquiétant. L’effet de surprise prime mais il ne faudrait pas que ce qui est devenu une « tarte à la crème » d’un certain type de cinéma commence à contaminer un autre.

Au-delà de cette interrogation, le film est drôle et sa construction particulière donne lieu à de la nouveauté dans un genre dont on pensait avoir tout vu. Ceci dit, la caractérisation très stéréotypée des trois comparses – le cocu idiot, le joueur dragueur, l’intello discret – et la manière qu’a le scénario de parfois les regarder de haut, ainsi que la misogynie « gentille » de certaines blagues finissent par relativiser sérieusement l’engouement premier que pourrait susciter un film qui se donne d’emblée et ostentatoirement comme « sympathique ».

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Tempête » de Samuel Collardey

Le jury présidé par Olivier Gourmet a décidé de couronner le film de Samuel Collardey de son prix suprême, le Bayard d’Or. On sait donc quelle idée du cinéma d’auteur et du cinéma social se font les membres de ce jury. Tempête est évidemment très représentatif d’une vision biaisée de ce qu’est un film d’auteur, ce qu’est un film social, ce qu’est un film politique.

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Collardey a choisi de suivre des anonymes et de leur faire rejouer, par le prisme de la fiction, leur histoire. En l’occurrence, il a jeté son dévolu sur le marin Dominique Leborne et ses deux enfants, qu’il filme dans des situations recréées mais proche de leur vie quotidienne. La démarche n’est pas nouvelle et l’idée de prendre des acteurs non-professionnels parce qu’ils seraient porteurs d’une vérité que les pros n’auraient pas en eux est une des grandes idées reçues d’auteurs qui semblent incapables de faire un choix entre fiction et documentaire. On n’est heureusement pas ici dans le degré d’obscénité et de misérabilisme de l’infâme Party Girl, qui obéissait au même principe. Mais on est également loin de la volonté de faire de « personnes réelles » de véritables héros de fiction en y ajoutant la notion de « grâce », comme le font par exemple Bruno Dumont ou Jean-Charles Hue.

Il est malgré tout sûr que Samuel Collardey aurait pu plus mal tomber et que l’acteur qu’il a choisi est vraiment très bon dans son emploi et intéressant à regarder dans son jeu. Il constitue la qualité principale du film et son unique sujet, puisque celui-ci est par ailleurs envahi par un vide de fond assez inquiétant. Il y a eu un glissement qui s’est opéré ses dernières années dans la pratique et la conception d’un cinéma social dit « engagé ». Montrer des « petites gens », des ouvriers et des laissés pour compte suffit-il à créer l’engagement ? S’intéresser à des classes défavorisées suffit-il à ajouter le mot « social » à « cinéma » dans la description d’un style, d’un genre ? Tempête est un exemple type de ce « cinéma social »-là, celui qui montre les effets d’une réalité sociale déterminée, mais qui n’en isole pas précisément les causes et n’apporte pas de réel point de vue sur elle, encore moins de solutions.

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient à Namur du 2 au 9 octobre 2015

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FIFF 2015 – « Le Nouveau » de Rudi Rosenberg

Petit nouveau dans un collège parisien, Benoît a du mal à s’intégrer et se fait constamment chahuter par les cancres « cool ». Après s’être rapproché d’une fille suédoise qui le délaisse dès qu’elle se fait adopter par les populaires, il décide avec l’aide de son oncle chômeur et d’un des seuls élèves à lui adresser la parole, le très marginal Joshua, d’organiser une fête où il invite toute sa classe. Mais ça se termine en petit comité, entre les « rebuts » de l’école.

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Le film prend alors la forme d’une sorte de revanche des faibles, dans laquelle des élèves ostracisés trouvent une force et leurs personnalités au contact l’un de l’autre. Et surtout, cela se fait avec les armes et les conventions de leur génération, prisonnière de la culture de la vanne. Pour incarner l’oncle de Benoît, Rudi Rosenberg – dont c’est le premier film – a eu la bonne idée de faire appel à un comique de stand-up, populaire chez les jeunes, à savoir Max Boublil. Boublil est tout sauf un acteur mais il convient parfaitement à cet emploi-là, puisqu’il devient en quelque sorte le professeur de vannes de ces jeunes en manque de confiance, le temps de quelques scènes.

Le Nouveau fait penser au film d’Azazel Jacobs, Terri, dans lequel trois adolescents rejetés se créaient une bulle hors du temps et des conventions. Le film de Rudi Rosenberg n’en a pas la même profondeur et répond à des règles propres à la comédie française populaire, axée vers un public jeune. Mais le fond est là et il est totalement réjouissant de voir un film grand public – sans stars, à part Boublil dans un rôle très secondaire – mettre en scène de manière aussi drôle et touchante des personnages marginaux, dans le but de les amener au premier plan.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « En mai, fais ce qu’il te plaît » de Christian Carion

Après s’être intéressé à la première guerre mondiale dans Joyeux Noël, Christian Carion jette son dévolu sur la seconde, et plus particulièrement sur l’exode des villageois du nord vers le sud de la France. Il semble ainsi placer sa filmographie dans une continuité de devoir de mémoire qui est louable en soi.

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Le gros problème de son cinéma est qu’il est essentiellement porté par des intentions et pas par une envie profonde de mise en scène. La reconstitution est ici au service d’une imagerie passéiste et d’un enjolivement visuel d’évènements historiques qui méritent la plus grande prudence dans la manière dont on les aborde. En mai, fais ce qu’il te plaît n’est pas au niveau d’inconsistance de La Rafle de Rose Bosch, qui pratiquait en outre un chantage émotionnel absolument indécent. Mais cette manière insouciante de créer de la fiction et des rebondissements à partir de l’horreur réelle pose toujours question. Les défenseurs du film diront que son but est de toucher le public le plus large possible, dans une visée éducationnelle et mémorielle. Mais est-il vraiment nécessaire d’en passer par cet aplanissement stylistique et cette esthétique de téléfilm pour atteindre le plus grand nombre ? Ne peut-on pas faire confiance aux gens, à leur jugement et à leur intelligence ?

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « La Vie en grand » de Mathieu Vadepied

Premier long métrage du directeur photo Mathieu Vadepied, La Vie en grand est produit par Eric Toledano et Olivier Nakache, le duo d’Intouchables et de Samba. Et on retrouve dans ce film-ci la même volonté de mêler sujet sociétal et comédie populaire, dans un élan de rajeunissement du cinéma français et d’élargissement de la représentation des minorités.

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Présenté comme ça, La Vie en grand peut passer pour politiquement correct et angélique, mais le film est plus malin que ça. Il suit Adama, 14 ans, élève prometteur mais malgré tout en échec scolaire, qui se lance avec le jeune Mamadou – dont il est le tuteur – dans le trafic de haschich. En parallèle, il signe un contrat avec la CPE de son école et s’engage à s’impliquer d’avantage dans ses études afin de remonter sa moyenne.

Le sujet fait peur et l’on peut craindre de prime abord que le film ne sombre dans la chronique moralisatrice. L’idée de la double quête – gagner de l’argent en dealant + réussir ses études – laisse penser que l’une va nuire à l’autre, et cette piste est ébauchée lorsque Adama se retrouve aux prises avec un dealer qui veut l’exploiter pour qu’il vende toujours plus, ou quand les deux enfants sont menacés d’une arme à feu par un acheteur trop nerveux.

Mais le film, au lieu d’asséner une morale bien pensante et de condamner une démarche et un « business » impurs, fait en quelque sorte l’apologie de la débrouille, de l’ambition de ces enfants qui se servent de moyens douteux pour atteindre des causes nobles – aider la famille, faire des études. Cette dimension optimiste n’occulte malgré tout pas l’aspect réaliste et rugueux du point de départ, mais y insuffle une touche de vitalité presque « feel good » qui est constitutive de ce nouveau type de comédie française conscientisée, dont les producteurs Toledano et Nakache semblent être devenus les figures de proue.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Keeper » de Guillaume Senez

Dans le flux des films belges présentés dans cette édition du festival, Keeper relève quelque peu le niveau. Le film obéit néanmoins aux règles d’un naturalisme belge devenu une école à part entière, et n’échappe donc pas à la dictature d’un réalisme brut qui n’aurait pas le droit d’être optimiste.

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Pour son premier long, Guillaume Senez reprend une thématique qu’il abordait déjà dans l’un de ses courts métrages (Dans nos veines), à savoir la paternité à l’adolescence. Le film épouse le point de vue de Maxime, 15 ans, qui accepte la grossesse de sa petite amie au point de désirer l’enfant plus qu’elle, au détriment même de ses ambitions personnelles – il a un avenir prometteur en tant que gardien de but.

La première tare du film saute immédiatement aux yeux ; elle est symbolisée par le titre. Le personnage est « gardien » de but (Keeper), il veut « garder » l’enfant, et se considère comme le « garde » du corps de sa copine. Cette tendance allégorique et psychologisante enferme d’entrée Keeper dans un système et un déterminisme qui l’empêchent forcément de déborder le cadre, de proposer autre chose que le programme promis par son titre.

Il n’en demeure pas moins qu’il y a une certaine justesse – du moins jusqu’à un certain point – dans la description de la relation entre les deux adolescents, et que la direction d’acteur est plutôt solide. Mais le virage résigné et un brin moralisateur que prend le film dans sa dernière partie – il serait impossible de mener de front vie sociale, vie professionnelle et vie de famille – prend la forme d’un recadrage déplaisant vis-à-vis de ses personnages et le classe dans un type de cinéma opportunément pessimiste.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Les Êtres chers » d’Anne Émond

Après un premier long métrage décrivant de manière hystérique et agaçante un huis-clos amoureux sur le temps d’une nuit (Nuit #1, en 2010) Anne Émond rentre dans le rang d’un cinéma plus accessible et grand public, mais semble y trouver sa voie.

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Les Êtres chers décrit les répercussions d’un secret de famille sur plusieurs générations. Il s’ouvre sur le suicide d’un père de famille que l’un de ses enfants, aidé par le médecin de famille, va maquiller en crise cardiaque. Plusieurs années plus tard, le secret est dévoilé à David, l’un des autres enfants, et va l’affecter d’une douleur sourde qu’il ne révèlera jamais à sa femme et à ses enfants.

Dans sa première partie, le film fonce dans le temps en choisissant les moments forts de la vie de David suite à la mort de son père – la rencontre avec sa future femme, l’arrivée des enfants, etc. Très vite, on est plongé dans la fresque intimiste de cette famille et l’on sent que le récit prend lentement mais assurément de l’ampleur. Toutes proportions gardées, on pense au travail de Richard Linklater sur Boyhood.

Mais Les Êtres chers est aussi et surtout un vrai mélodrame, dans le sens noble et classique du terme, qui prend des allures de fresque au sein d’une famille frappée d’une sorte de malédiction. Le film assume pleinement cette identité et joue totalement la carte de l’émotion, sans retenue mais sans artifices.

Anne Émond explore de manière sensible et intelligente les thèmes pourtant rebattus de la filiation et de la transmission. Le passage de flambeau se fait d’ailleurs le plus souvent par l’intermédiaire de lectures de textes – l’énonciation d’un testament, la déclamation d’un poème, la lecture d’un petit mot griffonné à la fin d’un carnet,…. Ce sont les scènes les plus belles du film et elles parlent assurément à l’affect et au vécu de ses spectateurs. Il faut parfois savoir céder devant un film qui privilégie l’émotion, d’autant plus quand la démarche est honnête.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Aferim ! » de Radu Jude

Auteur de deux films ayant écumé les festivals du monde entier – dont Everybody in Our Family, récompensé au FIFF en 2012 – Radu Jude s’est vu offrir la consécration cette année en remportant l’Ours d’Argent de la mise en scène à la dernière Berlinale. Il faut dire qu’Aferim ! est probablement son meilleur film à ce jour – loin de l’hystérie galopante du précédent – et qu’il y a trouvé un style qui lui permet d’aborder de front des sujets durs sans céder au voyeurisme ni au didactisme.

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Dans un noir et blanc soigné, Aferim ! suit les aventures picaresques du policier Constandin et de son fils Ionita. Chargés par un riche Boyard de retrouver un esclave ayant fauté avec la femme de son maître, ils parcourent les terres arides de Valachie, au début du XXème siècle, et traversent un petit théâtre des réalités cruelles de l’époque.

Une des bonnes idées du scénario est de ne pas avoir fait de Constandin un héros conscient des tares de la société dans laquelle il évolue. Il est, au départ, tout aussi buté et raciste que l’ensemble de ses contemporains. Mais il défend néanmoins une méthode « honnête », une constance dans son exercice de policier, qui lui permet d’être en paix avec lui-même.

Il y a un certain malaise à la vision du film – du moins dans sa première partie – tant le racisme et l’acceptation de la tyrannie sont inscrits de manière naturelle dans les situations et les dialogues. Le spectateur est confronté à une réalité absurde – d’ailleurs montrée en tant que telle, presque avec drôlerie – dans laquelle les personnages semblent inexorablement enfermés.

Construit comme un aller-retour déterminé – chercher le fuyard, le capturer, le ramener – Aferim ! prend des allures de « Eastern » d’errance, tandis que se dessine de plus en plus une prise de conscience sinon politique, au moins humaine. En cela la conclusion déconcerte quelque peu : après un climax final très bien mis en scène mais fonctionnant selon une logique de « coup-de-poing » un peu facile, le film s’achève sur un constat d’impuissance, qui résonne politiquement avec des réalités actuelles, et s’avère implacablement pessimiste, résigné. Comme si le temps n’était plus à trouver des solutions mais à accepter des réalités insoutenables.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Coup de chaud » de Raphaël Jacoulot

Dans un petit village français typique, la haine de l’ensemble des habitants semblent se cristalliser autour de la personne de Joseph, un jeune homme légèrement attardé qui mène une vie insouciante au grand dam des « honnêtes gens ». Mettant tous les problèmes possibles et imaginables sur le dos de Joseph, les habitants iront jusqu’à souhaiter sa mort… qui finira par arriver.

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Le film s’ouvre sur des plans de Joseph succombant à ce qui semble être des coups de couteau, avant de faire un bond en arrière et de se présenter donc comme une longue explication de sa mort. Raphaël Jacoulot peut alors dérouler son scénario manipulateur, montrer comment les conditions socio-économiques et la bêtise ordinaire peuvent conduire des citoyens lambda à l’aveuglement et à l’ignominie la plus totale.

Il y a donc un double voyeurisme ici puisque Jacoulot ne se contente pas de regarder et d’exposer le martyr d’un innocent accablé de tous les maux, mais qu’il accompagne cette foire aux souffrances d’une condamnation sans appels de tous ses autres personnages, sans exception – le plus innocent peut in fine se révéler le plus coupable. Peu lui importe d’ailleurs qui a bien pu tuer Joseph – la « révélation » est vite expédiée – puisqu’il a d’emblée jugé la collectivité comme étant responsable.

La dernière partie du film – après le meurtre – a d’ailleurs des airs de procès expéditif, où chaque accusé défile devant un policier deus ex-machina – on imagine que Jacoulot se voit bien occuper cette place – pour se retrouver acculé devant ses contradictions et ses certitudes faussées. La misanthropie suinte donc par tous les pores de ce Coup de chaud qui a par ailleurs des allures de téléfilm de luxe. Marre de ce cinéma de procureur et de démiurge totalitaire, qui semble gagner du terrain jusqu’aux strates les plus « mainstream » des films de consommation courante.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « L’Hermine » de Christian Vincent

Vingt-cinq ans après La Discrète, le cinéaste Christian Vincent retrouve Fabrice Luchini et lui concocte un rôle à sa mesure : un président d’assises froid et dur, qui apprend à briser sa carapace lors d’un procès pour infanticide, au contact d’une des membres de son jury.

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Le cinéma de Christian Vincent est très classique, axé sur les dialogues et les acteurs, et est assez représentatif d’une certaine comédie française de chambre, dans un équilibre constant entre drôlerie et fragilité dramatique. L’Hermine ajoute à cette ambivalence une alternance entre la partie procès et des scènes plus intimistes, mettant en place de manière feutrée un jeu de séduction entre le président Luchini et cette femme qui le trouble, resurgie de son passé.

Autant le dire, ce choix d’alternance est ce qui plombe le film et le rend inégal là où il aurait pu être vraiment intéressant. Les scènes de prétoire sont vraiment réussies, et le débat qui anime les membres du jury lors des pauses, ainsi que les remarques du président et de ses assistants sur la responsabilité de la cour et des jurés, amène une vraie réflexion éthique et déontologique que l’on aimerait voir plus souvent dans un cinéma populaire qui ne nierait dès lors pas l’intelligence de ses spectateurs. Mais le problème est que lorsque l’on se passionne pour ses joutes oratoires et ces questionnements, le rythme est cassé par l’autre intrigue, beaucoup plus convenue et pantouflarde. Ce manque de constance scénaristique et le refus de choisir entre deux pistes narratives trop antagonistes nuisent véritablement à un film qui aurait pu être une vraie réussite et n’est dès lors que regardable.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Les Démons » de Philippe Lesage

À la fin des années 80, alors qu’une série de disparitions d’enfants sévit à Montréal, Félix, 10 ans, se voit confronté à ses peurs et à celles des adultes. Entre sa perception des problèmes de couple de ses parents, sa découverte de notions nouvelles pour lui et la crainte d’un croque-mitaine bien réel, il se trouve plongé au cœur d’un cauchemar éveillé, sans bien savoir comment y naviguer.

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Philippe Lesage a fait ses armes en tant que documentariste et Les Démons est son premier film de fiction. Il s’agit d’une véritable découverte. S’il se sert encore d’une approche quasi-documentaire pour filmer les enfants, notamment dans les scènes de groupe, à la piscine ou en cours de gymnastique, Lesage distille cette méthode dans un film par ailleurs très écrit et explorant des pistes psychanalytiques dans un entre-deux à mi chemin entre onirisme et réalisme, sans jamais tomber dans le psychologisme.

Car il y a une réelle dimension de surréalité dans Les Démons, d’autant plus frappante qu’elle sort de situations et de peurs totalement inscrites dans la réalité la plus cruelle – une crise de couple vue par le prisme des enfants, le tourment intérieur d’un tueur d’enfants en proie à ses démons. Se situant entre des références telles que David Lynch – on pense notamment à Twin Peaks – ou encore Stephen King pour les peurs liées à l’enfance, Les Démons réussi à amener un univers inédit, une véritable voix d’auteur, dans un genre – c’est pratiquement un film d’horreur – qu’il tord et s’approprie pleinement.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « La Vanité » de Lionel Baier

Après Les Grandes ondes, sorte de virée buissonnière et libérée en pleine révolution portugaise, le film suivant de Lionel Baier était attendu de pied ferme comme une confirmation du plaisir évanescent ressenti à la vision du précédent. S’il est un peu en dessous, La Vanité réserve quelques moments réjouissants, malgré un sujet casse-gueule.

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Abordant la même problématique que le film de Stéphane Brizé, Quelques heures de printemps – l’existence du suicide assisté en Suisse –, La Vanité en est en quelque sorte l’opposé dramaturgique et stylistique. Là où Brizé privilégiait le réalisme brut et la chronique familiale, Baier cède au charme d’un huis-clos presque vaudevillesque. Là où l’un fonçait dans son sujet tête baissée pour donner lieu à un film à thèse, l’autre préfère la légèreté et l’évitement. Mais le choix de cette démarche ne signifie pas pour autant que le sujet ne soit pas traité et que des thématiques précises ne s’en dégagent.

Atteint d’un cancer à un stade avancé, l’architecte David Miller choisit d’aller se donner tranquillement la mort dans un motel qu’il a lui-même dessiné dans les années 60. Alors que son fils refuse à la dernière minute d’être le témoin légale de son suicide assisté, Miller et sa « passeuse » essayent de convaincre le jeune prostitué slave de la chambre d’à côté d’occuper ce poste.

La résignation à la mort n’est donc pas une fin, mais une quête initiale que des obstacles hétéroclites et tenaces empêchent le héros d’accomplir. En se focalisant sur son trio typé – le vieil homme blasé, la femme revêche et le jeune homme libéré – et en ne déviant pas trop de son système de vaudeville, le film laisse finalement le temps à une question sérieuse – pourquoi choisir de mourir, comment et où ? – de faire son chemin sans être assénée au détour de chaque plan ou de chaque dialogue.

Mais La Vanité parvient aussi et surtout à rendre drôle une problématique délicate, sans non plus tomber dans le scabreux, et cela notamment grâce à un trio d’acteur épatant et attachant. Dans sa dernière partie, le film semble néanmoins trouver une échappatoire scénaristique dans une fuite et un apaisement sentimental un peu convenu – chercher la paix intérieure en retrouvant une harmonie extérieure avec ses proches –, mais cette concession à la facilité ne parvient pas vraiment à faire oublier la visée et le ton d’un film assez gonflé.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2015 – « Black » d’Adil El Arbi et Bilall Fallah

Deuxième film d’un duo de réalisateurs voulant vraisemblablement faire du cinéma urbain, choc et rapide, Black est une version « Brussels Ghetto » de l’inusable thématique de Roméo et Juliette. Ici, Mavela, appartenant au gang des Black Bronx, tombe amoureuse de Marwan, membre des 1080.

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Alors que ce type de film « United Colors » est censé apaiser les tensions entre les différentes communautés, Black ne fait que renforcer les pires clichés racistes sous couvert d’administrer un uppercut bien senti au spectateur. Ce film coup-de-poing primaire ne recule devant aucune facilité pour atteindre son but. Dans sa description hallucinante de Bruxelles comme terre de la guerre des gangs, Black a en plus le culot de ne pas se montrer équitable entre les deux parties antagonistes. En effet, le gang des Black Bronx est dépeint comme infiniment plus violent et dangereux que celui des 1080, continuant ainsi d’attiser la haine entre les communautés noires et arabes de la capitale et en alimentant les fantasmes xénophobes les plus nauséabonds. Selon le fait qu’il soit montré à des adeptes d’une esthétisation « bling bling » de la violence, rendus indifférents à la monstration de celle-ci à force de répétition, ou à des partisans d’idées d’extrême droite les plus ignobles, le film ne fera que conforter son audience passive dans son apathie idéologique. Si par bonheur il existe encore une troisième catégorie, qui réfléchit aux images et aux récits qui lui sont livrés en pâture, osons espérer qu’elle se révoltera devant un film aussi bêtement premier degré, aussi honteusement voyeuriste.

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient à Namur du 2 au 9 octobre 2015

Plus d’infos sur le site du FIFF


FIFF 2015 – « Parasol » de Valéry Rosier

Pour avoir vu certains des courts métrages de Valéry Rosier – dont Dimanches, primé à Cannes – l’auteur de ces lignes avait un a priori plutôt positif sur le passage au long de ce jeune réalisateur belge. La déception – voire le dégoût – n’en est que plus grande.

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Rétrospectivement, on ne pouvait pourtant qu’attendre un tel film de Rosier, car l’on pressentait déjà une certaine forme de misanthropie déguisée en humanisme dans ses courts. Ici, ses personnages-marionnettes sont deux touristes égarés dans Majorque et un autochtone esseulé. Les trois trajectoires d’errance ne se rencontrent jamais, permettant ainsi au cinéaste-entomologiste de les observer un a un et de leur faire subir ses petits tests cruels afin de guetter la réaction de chacun. Alfie, le touriste anglais, se fait mener par le bout du nez par deux brutes épaisses puis par une jeune femme insouciante ; Annie, la touriste belge, est trompée par un homme marié qui lui fait miroiter une relation impossible ; Pere, le régional de l’étape, fait un boulot ingrat et se fait traiter de haut par son ex-femme au téléphone.

Les scènes d’humiliation ordinaire se succèdent donc avec une constance métronomique et en respectant scrupuleusement l’alternance entre les trois pistes narratives. Rosier et son chef opérateur prennent un malin plaisir à esthétiser à outrance le pathétique, à coup de plans fixes scrutateurs et de décadrages « subtils » – pour bien signifier que l’on est dans quelque chose de « décalé ». L’ironie, au cinéma, peut être un défaut comme une qualité, selon le fait qu’elle soit constitutive du fond ou de la forme, et surtout en fonction du sujet auquel elle s’applique. Quand elle porte sur des personnages présentés d’emblée comme des marginaux et qu’elle ne sert qu’à se moquer d’eux où à les juger, elle en devient tout bonnement nauséabonde.

Thibaut Grégoire

 

Le FIFF se tient à Namur du 2 au 9 octobre 2015

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