Critique et analyse cinématographique

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« Douleur et gloire », le remède filmé d’Almodóvar

Dans une des premières scènes de Douleur et gloire, le personnage de Salvador Mallo, interprété par Antonio Banderas, et double fictionnel de Pedro Almodóvar, énumère en voix-off, graphiques et animations à l’appui, toutes les douleurs physiques et psychiques, accumulées avec les années, dont il souffre. À travers cette scène d’exposition, à la fois atypique et programmatique, Almodóvar présente de manière détournée le projet de son film : celui de se pencher sur lui-même, sur son passé et sur son état d’esprit à l’heure actuelle, en étant très précis et honnête dans sa démarche mais également en ayant recours à des moyens cinématographiques et en faisant appel à son propre cinéma, aux images et aux grandes figures qui le traversent. C’est peut-être en cela que le film se démarque du reste de la filmographie du cinéaste et de ses différents courants, qu’il apparaît à la fois comme synthétique et différent, comme une somme, parce qu’il est livré comme nu, avec une forme de sincérité débarrassée d’artifices et de folklores parfois systématiques auxquels Almodóvar avait habitué son spectateur. Douleur et gloire arbore donc une apparente simplicité mais revêt en fait une construction extrêmement complexe et des subtilités narratives qui ne peuvent être comprises qu’a posteriori de la première vision, voire lors de la seconde.

Souvenirs et cinéma, le statut des images

Comme souvent chez Almodóvar, on peut noter dans Douleur et gloire une construction dramatique qui opère un changement de genre à mi-parcours. Pour ne citer que quelques exemples, Attache-moi commence comme un thriller pour se terminer en comédie romantique, La Mauvaise éducation démarre comme un mélodrame pour s’achever en film noir. Douleur et gloire, quant a lui, s’épanouirait d’abord dans sa première heure en tant que comédie, avant de prendre lors de sa seconde un virage plus mélodramatique. Comme souvent également, Almodóvar semble prendre un malin plaisir à tâtonner lors de son premier acte, afin d’égarer gentiment son spectateur, surprendre ses attentes. Alors qu’il orchestre d’abord un désopilant va et vient amical entre son double fictionnel et un acteur avec lequel il était en froid depuis son premier film – les deux hommes se réconcilient puis se brouillent à nouveau avant de définitivement se réconcilier, le tout sur fond de discutions sur la création et de prises de drogues –, le film s’ouvre enfin, après cette première heure de surplace dramaturgique, à une progression dramatique et émotionnelle à la fois métronomique et ample. Après un monologue dit par le personnage de l’acteur mais dont on sait que les mots et l’histoire viennent du cinéaste, Salvador, trois autres personnages et événements viennent se succéder dans la vie et les souvenirs de celui-ci : son premier grand amour, sa mère, et son premier désir. Tandis que cette seconde partie est également traversée par l’enjeu de la santé de Salvador – surmonter la douleur, quitter l’addiction aux drogues, etc. –, le film entier est parsemé des souvenirs de jeunesse de Salvador, des flashbacks le mettant en scène enfant en compagnie de sa mère (jouée par Penélope Cruz) dans une maison caverne à ciel ouvert.

Ce que le film ne dit pas explicitement, du moins pas jusqu’à son plan final, apparaissant dès lors comme une véritable révélation – voire comme une pierre de rosette permettant de décrypter le film, d’en révéler un sens caché – c’est que ces souvenirs, ces flashbacks, sont en réalité des extraits d’un film qui, dans la diégèse, n’a pas encore été tourné par Salvador au moment où ils apparaissent. Les scènes de l’enfance sont mises en scènes et agencées par le montage comme si elles étaient des réminiscences rêvées de Salvador mais le plan final montre que ce sont des images du film qu’il tirera de ces souvenirs. Si l’on peut un moment prendre en considération l’hypothèse que ces séquences sont la projection mentale que se fait Salvador de ce que sera son prochain film, des images qu’il crée, ça ne peut clairement pas être le cas pour deux raisons : d’abord parce que, à ces moments-là de la narration, Salvador n’a pas de projet de film, il a dans l’idée de ne plus tourner, de ne pas faire de prochain film ; ensuite parce que le personnage de la mère, dans les souvenirs de Salvador, apparaît rétrospectivement comme ne pouvant qu’être une actrice qui joue le rôle de sa mère. La « vraie » mère, comme on la verra dans la deuxième partie, a les yeux vert clair, tandis que l’actrice qui la joue (Penélope Cruz), a les yeux foncés. Cette petite différence peut éventuellement passer pour un détail anecdotique, voire même ne pas être remarquée mais, si on la remarque, elle prend une autre signification lorsqu’il est révélé lors du dernier plan que les images du passé sont en réalité les images du film de Salvador.

Ce n’est pas la première fois que Pedro Almodóvar use de ce type d’enchâssement, de cette manière d’intégrer par extraits un « film dans le film », mais il semblerait que c’est la première fois qu’ils se cachent ainsi dans la fluidité du récit, pour finalement n’apparaître comme ce qu’ils sont qu’à la fin de celui-ci, lors du dernier plan. Dans La Mauvaise éducation, par exemple, il y a déjà cette idée que l’on puisse confondre des images d’un film tourné par les personnages de la diégèse avec de véritables évènements de celle-ci. Mais leur véritable nature est dévoilée assez vite dans le déroulé narratif, après seulement une ou deux occurrences. Il y est également fait usage d’un changement de format, qui permet au spectateur le plus attentif de déjà préalablement deviner quel statut revêtent ces images au moment où il les voit pour la première fois. Dans Douleur et gloire, au contraire, tout est fait pour que le spectateur croie, jusqu’au plan final, que les flashbacks sont les souvenirs de Salvador. Ils se coulent dans le récit par l’intermédiaire de ses méditations sous influences – de prises de drogues ou de médicaments.

L’acteur, incarnation du désir et vecteur de sens

Le choix d’avoir donné à Penélope Cruz le rôle de la mère, lors de ces scènes de flashback au statut fluctuant n’est évidemment pas anodin. L’actrice est en effet inconsciemment associée par le spectateur, d’une manière ou d’une autre, au cinéma d’Almodóvar. Et si celui-ci aborde, dans Douleur et Gloire, des questions intimes liées à sa vie privée et à son passé familial, il convoque également toute une réflexion sur son propre cinéma, par l’intermédiaire de moyens cinématographiques, de recours à des figures emblématiques de sa propre filmographie, notamment les acteurs. Si l’on retrouve donc dans le film toute une série de motifs du cinéma d’Almodovar, parsemés comme autant de marqueurs et de déclencheurs aux saveurs familières, tels des madeleines de Proust, on retrouve surtout ces deux acteurs – Penélope Cruz et surtout Antonio Banderas – qui représentent à eux seuls des piliers de cet univers. Le choix le plus significatif et émouvant opéré par le film et par Almodóvar est probablement d’avoir pris comme double, comme alter ego, un acteur qui fut, dans la majeure partie de leur filmographie commune, l’incarnation du désir. Cela voudrait-il dire qu’Almodóvar est devenu celui qu’il désirait ? Ou bien qu’il le désirait parce qu’il se reconnaissait en lui ?

L’utilisation d’Antonio Banderas et la transformation radicale de son jeu, entre les films des années 80 tournés avec Almodóvar et celui-ci, prennent aussi du sens dans la manière dont Douleur et gloire joue avec les notions de douleur et d’apaisement, de façon assez retorse. Si l’on pourrait conclure un peu hâtivement au sortir de la vision du film que celui-ci se clôt sur une certaine forme d’apaisement de son personnage sur le plan personnel et professionnel, apaisement des douleurs physiques et psychiques qu’il éprouvait mais aussi apaisement quant à la question de savoir ce qu’il allait faire de sa vie – la réponse que semble donner le film étant : tourner, encore –, l’examen approfondit de certains éléments et de certaines scènes – notamment toute la partie avec la mère en fin de vie, reprochant à Salvador de ne pas en avoir été un bon fils – vient contredire cette lecture simpliste et béate. Et tandis que l’interprétation très débonnaire de Banderas, même dans les moments les plus tendus, douloureux, du film, va dans le sens de cette notion d’apaisement, tout ce que convoque la simple réunion de cet acteur et de ce réalisateur, les films qu’ils ont en commun dans leurs bagages, et les interprétations précédentes de l’acteur – principalement dans Matador, La Loi du désir et Attache-moi – entrent en conflit avec cette fausse impression de complétude qui pourrait s’imposer de manière un peu trop envahissante. Ce sont les fantômes des personnages passés, ceux créés de concert par Almodóvar et Banderas, qui viennent apporter un contrepoint salvateur à la perception de l’ensemble.

Thibaut Grégoire


« Le Grand bain » de Gilles Lellouche : Apogée de la comédie paternaliste de droite

Tout comme Le Sens de la fête de Toledano et Nakache, qui avait conquis les foules avec son emballage de « feel good movie », lequel cachait tout de même un odieux film de droite faisant l’éloge d’un patron exploiteur devant se débattre avec une ribambelle d’employés « incompétents », Le Grand bain semble lui aussi s’imposer comme un représentant notoire de cette nouvelle comédie de droite décomplexée.

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Avec son casting « multi-bankable », son humanisme feint et son humour dépressif dans l’air du temps, Gilles Lellouche a eu le nez creux : une très grande majorité du public et des critiques est tombée dans ses filets et ont donc choisi de voir dans ce film choral roublard et cynique une fable humaniste irrésistible.

S’il faut une nouvelle fois endosser le rôle du père fouettard, du coupeur de cheveux en quatre ou autre rabat-joie de service, qu’il en soit ainsi. Qu’est-ce qui pourrait bien clocher dans ce tableau parfait, cette histoire « tellement originale » de fraternité masculine entre losers magnifique sculptés au « moule-bite » et exorcisant leurs déboires respectifs dans un essor de camaraderie trempé dans la natation synchronisée, MacGuffin bien pratique pour faire revenir la virilité perdue de manière détournée, vaguement pervertie ?

Eh bien, disons que lorsque l’on pense que chacun des très nombreux personnages charriés par l’enfilade de sketchs déguisée a son moment de gloire, son histoire individuelle, et que l’on se rend compte au final que, parmi les seuls trois qui n’ont scénaristiquement pas de vie hors du bassin, se trouvent malencontreusement deux personnages issus de minorités (un indien ne parlant pas français et une jeune femme en fauteuil roulant), le bât commence à blesser légèrement.

Le film exclu presque sans s’en rendre compte ses personnages les plus fragiles, ceux qui auraient mérité plus d’attention, plus de doigté et de subtilité dans leur écriture, pour leur en préférer d’autres, tartes à la crème de la comédie phallocrate et franchouillarde. L’extrême majorité des personnages développés sont donc des mâles blancs dans la quarantaine bien fournie, dont les échecs successifs ont fait significativement chuter la virilité auprès de leurs familles et de leurs proches.

Le Grand bain s’applique donc à décrire par le menu quelques-unes de ces « vies de losers » pour que se crée un mélange d’apitoiement et de sympathie chez le spectateur, lequel ne voudra forcément ensuite qu’une chose, voire cette fameuse virilité regagnée par les protagonistes, de quelque manière que ce soit. La manière choisie est donc en l’occurrence cette fameuse natation synchronisée, laquelle permet par ailleurs de faire rire à grands coups de tenues et de gestuelles ridicules.

Le final, improbable s’il en est, donne donc l’occasion à la bande de « pieds nickelés » en maillots de regagner des galons auprès de leurs épouses, compagnes, filles ou fils respectifs, en leur faisant gagner ni plus ni moins que le championnat de natation synchronisée au nez et à la barbe de nombreuses équipes de jeunes éphèbes bodybuildés et galbés. Cette résolution à la fois téléphonée et complètement irrationnelle en rajoute d’ailleurs une couche dans la célébration de cette virilité reconquise, à grand renforts de travellings, de musique et de gros plans sur visages ébahis en rafales. La morale paternaliste de la comédie de droite aura ainsi été sauvée de la noyade dans la douleur et la fiction sportive une fois de plus permis aux pères de retrouver leur place de chef de famille.

Thibaut Grégoire


À partir de « Venom » : Du plaisir non-coupable de ne pas avoir « bon goût »

Il arrive parfois que toutes sortes de circonstances vous retiennent d’aller voir un film que vous avez pourtant, manifestement ou secrètement, envie de voir. Il peut s’agir de bouches à oreilles désobligeants, de complot critique pour vous empêcher d’y apporter du crédit, où bien d’un simple manque de temps. Tout ça pour dire que je n’avais pas encore eu l’occasion de voir Venom et que les mauvais échos sur le film m’avaient encouragé à d’abord rattraper d’autres films avant celui-ci. Quelle ne fut donc pas ma surprise de trouver le film plutôt très sympathique, d’y prendre un plaisir enfantin à la fois régressif et sincère.

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Conçu comme un dessin animé « live » faisant intervenir tout ce qui est susceptible de plaire à un gamin des années 90 (héros mal rasé, méchant très méchant, transformations à gogo, vannes bon-enfant mais décomplexées, quête de justice,…), Venom enchaîne avec bonheur et sans se poser de questions les morceaux de bravoure au premier degré, les courses poursuites délirantes et les effets spéciaux cartoonesques, le tout avec une belle énergie communicative, sans réel temps mort, et dans les temps réglementaires (si on l’ampute de son interminable générique final, le film ne dure qu’une heure et demi).

Quel était donc ce consensus critico-cinéphile pour descendre en flèche un film qui ne le mérite pourtant pas (surtout quand on voit que les daubes officielles du « Marvel Cinematic Universe » sont encensées ou, au pire, traitées avec l’indulgence la plus incompréhensible) ? Venom ne rentre apparemment dans aucune case de légitimation pop-culturelle selon les normes et les canons actuels, tout simplement. C’est ce qui justifie le fait que les détenteurs auto-proclamés du bon-goût, les hauts dignitaires de la censure « geek » institutionnalisée, et autres petits dictateurs intellectuels de tous poils, se soient ligués contre lui, bouc-émissaire providentiel.

Le film ne serait pas assez fidèle au personnage des comics, trahirait en quelque sorte celui-ci…. Mais qu’est-ce que ça peut bien faire ? Je me fous complètement qu’une adaptation soit fidèle ou non au matériau auquel elle emprunte. Que celui qui pense qu’un film doive se référer au livre qu’il adapte comme à un dogme religieux me jette la première pierre et aille ensuite se faire voir. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne les comics, la culture « geek » et toute cette dictature de la vraisemblance et de la cohérence qui commence sérieusement à courir sur le haricot.

Bref, Venom est un plaisir – subjectif, certes – au premier degré, et certainement pas coupable, comme il est maintenant coutume de le dire lorsque l’on a le malheur d’apprécier un film qui n’a pas l’aval de l’intelligentsia ou de la « boboïtude » ayant pignon sur rue. On ne commet pas un délit ou une entorse morale en aimant un film. Pourquoi devrait-on s’en sentir coupable ? Coupable de quoi ? Coupable envers qui ?

Thibaut Grégoire


FILM FEST GENT 2018 – « Werk ohne Autor » de Florian Henkel von Donnersmarck

Apparemment, le nouveau film de Florian Henkel Von Donnersmarck (La Vie des autres, The Tourist) a fait forte impression à la dernière Mostra de Venise, où il a remporté l’adhésion du public et où une partie de la critique lui prédisait une place de choix au palmarès – qu’il n’a heureusement pas collectée. Concernant un film de trois heures, affreusement classique et filmé comme un épisode de Plus belle la vie, il y a de quoi se poser des questions….

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Déjà, quand un film de cette longueur arrive, dans sa première demi-heure, à faire figurer une scène d’une rare abjection, dont on pensait le sort réglé à tout jamais – à savoir une scène de chambre à gaz montrée sans aucune distance, en pleine lumière, et avec moult gros plans sur les visages des victimes – on peut dire que ça part très mal. Le film est donc enterré une première fois mais puisque des mauvaises raisons nous poussent à rester dans la salle, nous en avons encore pour deux heures et demi à pleurer sur ses restes.

Et là, un étrange phénomène se produit, proche du syndrome de Stockholm. Malgré le geste inadmissible qu’a commis le film, on se prend à le suivre malgré tout, à finir par le trouver moins pire, à attendre le dénouement… tout en gardant à l’esprit que l’on est en train de voir une daube néo-classique de la pire espèce.

Il faut dire que, alors qu’il ne se pose aucune question sur sa manière de représenter le nazisme et l’holocauste, le film se pique de s’en poser sur l’art en général. On croit rêver ! Et la position qu’il véhicule sur l’art contemporain est particulièrement gratinée. Faisant d’abord mine de le défendre, en opposition à la censure de tous bords – d’abord du nazisme, puis du communisme – le film s’achemine ensuite vers une satire moqueuse de celui-ci, avant de tout bonnement le nier, puisqu’il revient à l’éloge d’un certain vérisme, à travers les œuvres que finit par peindre le héros, des copies conformes de photos, donc du photoréalisme.

Et le discours alambiqué sur l’œuvre d’art que fait la dernière partie du film colle finalement très bien au projet. Non seulement, il fait l’éloge du classicisme et du naturalisme, mais il dit carrément qu’en art, rien ne vaut l’impersonnalité, d’où le titre : Werk ohne Autor (une œuvre sans auteur). Cela nous permettra de dire de manière assez roublarde que le film porte bien son titre, mais c’est surtout particulièrement édifiant quant à la manière dont ce type de production, ce type de réalisateur, conçoivent le cinéma, comme quelque chose devant être dévitalisé, objectivisé, dénué de personnalité. En fait, Florian Henkel von Donnersmarck est lui-même son pire détracteur. Il met au sein même de son film le discours qui permet de le ramener à ce qu’il est réellement : une non-œuvre, un grand « rien » artistique.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Shoplifters » de Hirokazu Kore-eda

Palme d’or lors du dernier Festival de Cannes, Shoplifters était probablement l’occasion idéale pour un jury de récompenser une œuvre globale, cohérente, plus qu’un film en particulier – même si l’on peut légitimement se poser la question de savoir si la majorité des membres de ce jury-là avait déjà vu un film de Kore-eda.

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Comme souvent chez le cinéaste, Shoplifters parle de la famille sous un angle anti-déterminisme, en explorant des liens qui sont beaucoup plus du ressort de l’humain que du sang, de la lignée. C’est peut-être encore plus le cas dans ce film-ci que dans les précédents, puisqu’il va jusqu’à une certaine forme de subversion du cadre familial, finissant par donner en modèle un exemple de famille hétéroclite et marginale.

Le titre français, Une affaire de famille, joue d’ailleurs beaucoup plus que le titre anglais sur cette donnée-là, sur le statut flou et ambigu de la famille présentée dans le film. Car ce n’est qu’au fur et à mesure que l’on apprend à connaître cette famille qui n’en est – aux yeux de la société, tout du moins – pas vraiment une. Si l’on comprend assez vite que cette famille est effectivement à la marge, puisqu’elle vit principalement de petits larcins en tous genres – d’où, donc, ce fameux titre anglais –, son histoire ne fait qu’affleurer, dans la première partie, au détour de quelques dialogues et situations, qui dévoilent progressivement un passé éclaté.

Mais le projet du film est précisément de construire ou de reconstruire cette famille, la présenter comme telle, indiscutablement. Ce que l’on apprend petit à petit de la constitution progressive de la famille – les membres s’y sont greffés un à un, les enfants, ont été recueillis, etc . – ne fait que la consolider véritablement en tant que tel, au sens empirique et sentimental du terme. Et ce n’est qu’au moment de l’intrusion de la police, de l’autorité, représentant celle du regard de la société, que cette image familiale vole en éclat, sous le poids des conventions, des garde-fous moraux.

Shoplifters oppose alors ces deux visions, celle de la famille et celle de l’autorité morale, pour finalement prendre entièrement parti pour la première, et se lancer dès lors dans un processus de reconstruction partielle de cette famille éclatée, en recollant comme il peut les morceaux qui restent. Alors qu’il est traditionnellement assimilé à un symbole de l’autorité, le concept de la famille tel que le construit et le reconstruit Kore-eda est justement envisagée comme le contrepoint de cette autorité, et s’épanouit dans la marge.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Leto » de Kirill Serebrennikov

Lors du dernier Festival de Cannes, Leto avait fait parler de lui, plus par le contexte de sa présentation – son réalisateur, Kirill Serebrennikov était assigné à domicile à Moscou et ne pouvait donc se rendre sur la Croisette – que par le film lui-même, pourtant très défendu par la critique mais parti finalement sans prix. Pour notre part, tandis que le premier long métrage de Serebrennikov (Le Disciple, 2016) nous avait laissé perplexe, ce sont des sentiments mitigés que nous avons éprouvés devant Leto, cela étant dû aux promesses extraordinaires que le film fait lors de sa première demi-heure, pour ensuite se diriger vers d’autres voies plus traditionnelles.

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S’intéressant à l’émergence d’une scène rock dans l’URSS des années 80, Leto s’ouvre donc sur la promesse d’un film choral flamboyant et vertigineux, avec une première demi-heure foisonnante, visuellement et thématiquement, le tout dans une vivacité de groupe réellement stimulante. C’est ce que l’on attend donc et, même si le film explore encore cette piste par moment, il se recentre principalement sur quelque chose de plus attendu, à savoir un triangle amoureux entre trois des protagonistes antérieurement présentés. Ce n’est pas tant que le tournant que prend le film soit moins réussi ou même moins intéressant que son début, le ressenti qu’il nous laisse tenant plutôt d’une déceptivité intrinsèque au film. Reste à savoir si ce pacte rompu entre le spectateur et le film joue contre celui-ci ou si cela en fait justement l’identité, cette rupture étant dès lors utilisée comme un moteur pour dynamiter ce qui semblait rouler sur des rails. Il nous semble tout de même que ce film qui aurait pu être grand, n’est finalement qu’intéressant.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Fatwa » de Mahmoud Ben Mahmoud

Sur un sujet similaire à celui de Weldi (Mon cher enfant) de Mohamed Ben Attia – qui sort plus ou moins simultanément – Fatwa de Mahmoud Ben Mahmoud suit un père sur les traces de son fils radicalisé, en essayant de comprendre, entre autres, les raisons de cette radicalisation.

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Contrairement à Ben Attia, Mahmoud Ben Mahmoud place la quête du père après la mort de son enfant, dans ce qui apparaît premièrement comme un accident de moto. C’est donc une véritable enquête, presque policière, qui préside ici à la narration. L’autre différence majeure avec Weldi est que Fatwa est totalement linéaire et univoque, qu’il ne remet jamais en question ce qui est montré au spectateur, là où le premier créait une sorte de réalité parallèle, ou du moins la possibilité de celle-ci, d’une piste presque onirique, fantasmée.

Fatwa ne propose rien d’analogue, puisque aucune subtilité ne vient affleurer dans son déroulé monolithique, borné, de film à sujet édifiant et assommant. Tout ici est appuyé par de longs tunnels dialogués mettant constamment les points sur les i, enfoncé par une interprétation « habitée », concernée par les enjeux trop lourds du film. C’est comme s’il était exclu de faire du cinéma, de pouvoir créer quelque chose, apporter une vision non-compassée, non-officielle, sur le sujet.

Ce type de films en devient presque dictatorial, car il vous semonce presque d’adopter totalement son point de vue, d’acquiescer à tout, d’oublier votre esprit critique et votre volonté de voir malgré tout du cinéma poindre derrière le mur apparemment infranchissable du sujet. La claque finale qu’il administre à son spectateur, sorte de lapin sorti d’un chapeau, manifestation absurde et ridicule de la toute-puissance du scénariste-démiurge sur ses personnages-pantins, est emblématique de ce cinéma-marteau, qui ne pense qu’à enfoncer son propos comme un clou, peu importe les moyens utilisés et en dépit de toute considération esthétique ou de mise en scène.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « The Cannibal Club » de Guto Parente

Émoustillé plus tôt dans l’année par un film de genre brésilien s’étant avéré l’un des meilleurs films de l’année (Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra), on était, si pas impatient, au moins curieux de découvrir ce film de cannibales doublé d’une critique sociétale au pays de Lula.

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Le titre révélant absolument tout, il n’est pas vraiment question de mystère dans ce film assez direct, qui va tout de suite à son sujet sans trop de tergiversations, même s’il instaure tout de même une certaine forme de suspense dans son déroulé narratif. The Cannibal Club suit Otavio et Gilda, un couple de cannibales nantis qui adorent s’adonner à de petits jeux pervers avec leurs employés de maisons, lesquels jeux terminent souvent par la dégustation desdits employés.

Le « twist » étant que Gilda et Otavio font partie d’un véritable club de nantis pervers cannibales, soit l’élite de la société brésilienne, dépeinte comme un ramassis de dégénérés dans leur tour d’ivoire. La critique est virulente, violente, et totalement dénuée de second degré. C’est la grosse faiblesse du film, cette impression qu’il donne d’assister à un règlement de compte politique, un meeting d’un parti d’extrême gauche dans lequel on va – paradoxalement – « bouffer du riche ».

C’est également ce qui empêche le film d’être drôle, même si l’on reconnaît ça et là quelques tentatives de faire rire jaune. Mais c’est bel et bien le malaise qui l’emporte, malaise dont on ne sait trop s’il est provoqué consciemment ou non par le film. Lorsqu’on arrive au bout de la vision, à un final sanglant qui clôture de manière assez logique un film prônant en fait l’insurrection, la prise de pouvoir, on continue de se poser des questions sur la manière qu’il a eu de procéder, sur les raccourcis et autres simplifications qu’il a utilisés pour convaincre, un peu à la manière d’un tract électoral d’opposition.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Cold War » de Pawel Pawlikowski

Prix de la mise en scène à Cannes, au sein d’un palmarès globalement décrié, le film polonais Cold War avait des allures de caricatures de film de festivals, avec son format 4/3 et son noir et banc léché. Qu’en est-il ? Le film dépasse-t-il cette apparence très lisse ?

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Lisse semble être le mot-clé, tant Cold War apparaît, après vision, comme totalement insignifiant. Qu’un tel film ait pu se dégager d’une sélection de vingt films, être apprécié d’une énorme majorité de la critique et figurer dans un palmarès qui a exclu de grands films tels que Burning ou Les Éternels, est impensable.

Découpé en plusieurs parties, le film suit la progression de l’amour fou et contrarié entre Wiktor et Zula dans l’Europe des années 50, sur fond de guerre froide. Outre son habillage « sobre », cette allure austère que lui confèrent le format et la bichromie, Cold War transpire le classicisme, que ce soit dans le fond ou dans la forme. Cette histoire d’amour qui commence par une rencontre et se termine dans la tragédie – sans trop d’effusions tout de même, restons dignes, restons « sobres » – est étonnement plate et linéaire.

Reste donc un film du milieu, propre sur lui, qu’apprécieront les partisans du fameux « less is more », cet éloge institutionnalisé de la mollesse et du formatage. Qu’y a-t-il de véritablement stimulant dans cet objet gentil, sans aspérités, détendu et dévitalisé ? C’est une question qu’il faudrait poser plus souvent, étant donné ce qui semble devenir maintenant un mètre-étalon en matière de bon goût. C’est donc ce type de cinéma qui plaît à la critique, qui plaît aux jurys ? Un cinéma qui n’éprouve rien, qui ne s’ébranle jamais, qui va où on lui dit d’aller… ?

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « The Old Man and the Gun » de David Lowery

Depuis son premier film, Ain’t Them Bodies Saints, en 2013, David Lowery n’a cessé de brouiller les pistes, oscillant constamment entre une image d’auteur et une autre de faiseur de studios. Après avoir réalisé quelques épisodes de séries et un remake passé plus ou moins inaperçu de Peter et Elliott le Dragon, il était revenu à un film d’auteur personnel et métaphysique, le très incompris et controversé A Ghost Story.

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Dans The Old Man and the Gun, il retravaille avec un des acteurs de Pete’s Dragon, à savoir Robert Redford, qui a d’ores et déjà annoncé qu’il s’agissait de son dernier rôle… avant de se rétracter. Il faut dire que le film est une véritable ode à l’acteur, un message amoureux du réalisateur envers lui mais aussi envers tout un pan du cinéma américain classique. Et c’est par ces aspects-là que le film séduit le plus, par cet amour communicatif qui transparaît lors de quelques séquences d’anthologie.

Parmi celles-ci, un montage d’images en guise de flashback, qui aurait probablement dû clore le film, lui conférant ainsi une profondeur inespérée. Dans ce montage, une vingtaine de courtes séquences retrace le parcours du personnage principal, vieux briscard du braquage de banque, dans le domaine de l’évasion « professionnelle ». Aux séquences originales, tournées pour le film, se mêlent des extraits de films antérieurs, mettant en scène Redford jeune dans des rôles similaires.

Cette séquence montée apporte une émotion immédiate, qui ne demande pas forcément une connaissance énorme de la filmographie de Robert Redford mais parle forcément à un imaginaire cinéphile inconscient. Le personnage lui-même, incapable de renoncer à ce qui le rend heureux – en l’occurrence, braquer des banques, donc – renvoie à l’acteur et à sa manière toujours investie, passionnée, de s’impliquer dans des films.

Décrit comme ça, The Old Man and the Gun pourrait presque apparaître comme un petit chef d’œuvre, un classique instantané tablant sur l’émotion, mais une bonne émotion, qui ne serait pas manipulatrice. Pourtant, David Lowery ne résiste malheureusement pas à quelques coquetteries, s’attarde inutilement sur une amourette entre Redford et Sissy Spacek, rêve en filmant ces acteurs qu’il admire, et tombe également à pieds-joints dans quelques tares du cinéma indépendant américains, à travers des tics d’écriture institutionnalisés ou des scènes « à faire ».

Assez court (1h30), le film paraît ainsi beaucoup plus long qu’il ne l’est et reste globalement très en surface, ne faisant finalement qu’effleurer de petites fulgurances éphémères et évanescentes. C’est typiquement ce que l’on serait tenté d’appeler un film « gentil », bienveillant à tous les égards – que ce soit avec ses acteurs ou avec ses spectateurs – mais qui ne dépasse que trop rarement cette bienveillance de bon aloi, cette espèce de qualité médiane, « à l’ancienne ».

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Transit » de Christian Petzold

Obsédé par la figure de l’exilé, Christian Petzold s’attache à la travailler, en prenant ses marques dans une certaine forme de classicisme traditionnel, tout en subvertissant véritablement celui-ci.

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Dans Transit, il pousse cette idée encore plus loin en adaptant un roman d’Anna Seghers qui se déroule durant la seconde guerre mondiale, en en conservant son récit et son contexte, mais en appliquant cette base à des décors et une vie contemporaine. Ce décentrage, concept programmatique du film, produit un véritable vertige et implique forcément une résonnance entre ces deux réalités historiques plaquées l’une sur l’autre, ces deux contextes qui se répondent et se nourrissent l’un l’autre. Cette idée de décentrage intervient également dans certaines scènes en particulier du film et dans la manière dont il est raconté. Le recours à une voix-off narrative donne ainsi l’impression de renforcer le classicisme d’apparat du film, mais sert en réalité le travail sur le décentrage. Jamais cette voix-off ne commente en direct ce qui se passe, créant ainsi une sorte de confusion constante, de recherche et de réveil de l’attention. Lors des premières interventions de la voix-off, le regard du spectateur se met à chercher dans l’images des éléments décrits. Il en trouve généralement certains mais se heurte souvent à un mur concernant la globalité de ce dont parle le narrateur. Le spectateur de Transit est ainsi mis constamment à contribution, il participe à un travail de reconstitution chaotique, celle d’une histoire et de l’Histoire qui se racontent parallèlement, toutes deux d’une manière éclatée. C’est ce travail de reconstruction suite à l’éclatement, au cœur du film, qui en fait toute sa force tranquille.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « A Bluebird in My Heart » de Jérémie Guez

Thriller français mettant en scène un acteur danois et deux actrices belges, Tu ne tueras point (A Bluebird in My Heart) sent bon la coproduction foireuse et le Tax Shelter. Il permet en outre de voir un « talent » de la génération des scénaristes « petits malins » biberonnés au cinéma américain de passer à la réalisation.

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Pour résumer clairement le film et donner une petite idée de ce qu’il représente, on pourrait parler d’un film de Jean-Claude Van Damme, période DTV, sans Jean-Claude Van Damme, et visant la sortie en salle. À savoir, l’histoire très originale d’un ex-détenu visant à mener une vie paisible loin de son passé, mais hanté par les démons de celui-ci lorsqu’il venge la fille de son hébergeuse, agressée et violée par un délinquant notoire. C’est tout ce qu’on a déjà vu des centaines de fois, mais passé à la moulinette d’un pseudo-réalisme passe-partout et mâtiné de dialogues ineptes.

Ce n’est pas anodin de constater que Jérémie Guez fut notamment le scénariste de Lukas, la dernière tentative de come-back en date de JCVD, mais également de films tels que La Nuit a dévoré le monde ou encore Carnivores, lesquels tendaient à perpétuer une mouvance très à la mode, celle de l’abattage des barrières entre cinéma de genre et cinéma d’auteur. Tu ne tueras point est un exemple parlant de l’inanité de la plupart de ces tentatives (il existe heureusement quelques exceptions à la règle, dont l’excellent L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier, à sortir en janvier 2019), exposant nettement un enfonceur de portes ouvertes ayant l’impression d’inventer l’eau chaude.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Capharnaüm » de Nadine Labaki

Inimaginable tire-larmes martyrologique de la pire espèce, le dernier film de Nadine Labaki a obtenu le Prix du Jury lors du dernier festival de Cannes. Une aberration qui n’est probablement pas la seule de ce palmarès bancal.

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Qu’un personnage puisse se rebeller contre la société et contre la condition qui est la sienne est probablement la seule bonne idée de Capharnaüm, le nanar édifiant et criard de Nadine Labaki. Ce personnage, c’est Zain, 12 ans, lequel refuse que sa sœur mineure soit mariée contre son gré, refuse d’être exploité par les adultes, et refuse jusqu’au fait même d’être né. C’est d’ailleurs de manière très cynique que Labaki encadre son récit par cette dernière donnée, le procès qu’intente Zain envers ses parents pour l’avoir mis au monde. Ça aurait été trop bête que cette idée géniale passe inaperçu, il fallait bien la mettre aussi grossièrement en avant pour qu’on ne retienne pratiquement que cela d’un film qui fait par ailleurs la part belle à l’humiliation, à l’hystérie et aux plans obscènes au ralenti censés dénoncé toute la misère du monde expérimentée par le pauvre Zaïn, victime sacrificielle du film. Mais non content de se déchaîner sur son pauvre personnage, véritable chair-à-pâté d’un cinéma démonstratif qui ne recule devant aucune audace, aucune démonstration de vulgarité, le film lui confère aussi une parole d’auteur, une sorte de voix du sage faisant la morale à l’humanité toute entière à travers les mots de la réalisatrice et de ses coscénaristes, probablement tout content de pouvoir exprimer un point de vue « fort » sur la condition humaine et l’état du monde. Dans la catégorie des films boursoufflés, autosatisfaits, et sûr de leurs effets, Capharnaüm se pose là.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Kursk » de Thomas Vinterberg

Tourné en partie en Belgique, le nouveau film de Thomas Vinterberg permet à celui-ci d’asseoir un peu plus sa transformation progressive en réalisateur académique et de fortifier sa collaboration avec l’acteur Matthias Schoenaerts, déjà à l’affiche de son précédent film.

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Film catastrophe somme toute classique, dont le casting ressemble à une espèce d’euro-pudding habilement dosé – le belge Matthias Schoenaerts, la française Léa Seydoux, le britannique Colin Firth, le suédois Max Von Sidow – et s’appliquant bien sûr à faire parler tous ses protagonistes russes en anglais, Kursk a tout de la reconstitution classique, délibérément grand public et simplificatrice, du moins en apparence.

Mais Thomas Vinterberg, à la tête de cette grosse machine, ne renonce pourtant pas à quelques ambitions, comme par exemple le fait d’ouvrir son film par une assez longue scène de mariage qui permet de cerner certains des personnages principaux, faisant ainsi directement référence au Voyage au bout de l’enfer de Cimino. Dans sa seconde partie, le film se fait aussi très politique et lorgne du côté de la dénonciation pure et simple, avec une critique assez cinglante de comment fut traitée la crise du Kursk par les autorités russes.

On a donc envie de sauver quelques petites choses de ce film par ailleurs extrêmement académique, tout en gardant en tête que la critique politique ne va pas sans un certain éloge parallèle des britanniques, présentés comme des sauveurs potentiels et personnifiés par le « chevalier blanc » Colin Firth.

La vision ce film permet également de faire un point assez clair sur ce qu’il reste du Dogme 95 : au moment même où Lars Von Trier livre l’un de ses films les plus personnels et monumentaux (The House that Jack Built), Thomas Vinterberg réalise cet objet très propre et finalement assez politiquement correct.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Duelles » d’Olivier Masset-Depasse

Huit ans après le coup d’éclat éphémère Illégal – suivi d’un calme plat assez éloquent –, le belge Olivier Masset-Depasse revient finalement sur le devant de la scène avec l’adaptation d’un roman de Barbara Abel. Après une première mondiale à Toronto, le film est présenté à Gand….

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Une fois n’est pas coutume, commençons par une question : quelle est la définition de « faire son intéressant » ? C’est, par exemple, adapter le roman d’une auteur belge et, plutôt que de se contenter de garder le titre dudit roman, lui préférer celui – agrémenté d’un « s », tout de même – d’un tout autre roman de cette même auteur. C’est aussi, toujours par exemple, vouloir à tout prix adapter ce roman, lequel se déroule de nos jours, dans les années 60, histoire de bien pouvoir montrer ses muscles et briller par la reconstitution ou les « beaux » plans stylisés, à la manière de….

Avec Duelles – adaptation, donc, de Derrière la haine de Barbara Abel –, Olivier Masset-Depasse s’en donne à cœur-joie, « hitchcocke » et esthétise à tout-va en orchestrant son duel téléphoné entre la brune et la blonde, thriller paranoïaque à la petite semaine. Rien ne vit et tout sent le renfermé dans ce téléfilm de luxe qui ne raconte strictement rien de plus que son petit suspense domestique mais se donne des grands airs par sa stylisation à outrance.

Par son côté désespérément premier degré et le jeu outré de ses comédiens (Veerle Baetens en tête), Duelles aurait pleinement sa place à la télévision un samedi soir. Ce serait d’ailleurs dans l’ordre des choses que l’on retrouve Olivier Masset-Depasse d’ici un an ou deux à la tête d’une des « merveilleuses » séries de création de la RTBF.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « At Eternity’s Gate » de Julian Schnabel

Après, entre autres, Vincente Minnelli et Maurice Pialat, Julian Schnabel se pique de livrer sa version du destin de Vincent Van Gogh, en insistant sur son regard d’artiste-peintre sur la chose. Le film a valu un prix à son acteur principal, Willem Dafoe lors de la dernière Mostra de Venise.

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Depuis le début de sa carrière de cinéaste, Julian Schnabel a réalisé pas moins de cinq biopics, dont désormais deux sur des peintres : Basquiat en 1996 et ce At Eternity’s Gate, sur Vincent Van Gogh. Artiste peintre lui-même, Schnabel profite de ces films pour exposer par les dialogues et sa mise en scène sa vision de la pratique de l’art et la position de l’artiste, qu’il aime à dépeindre « maudit ». Van Gogh était la figure idéale pour ce genre de discours martyrologique, incompris et martyrisé de son vivant, ostracisé pour sa folie ou son hypersensibilité.

Maniaque du plan impressionniste, de la contre-plongée et autre pirouettes acrobatiques de la caméra, Julian Schnabel s’en donne en outre à cœur joie pour tenter d’exprimer visuellement ce qui traverse son personnage, cette manière dont la nature s’empare de lui pour qu’il la transcende, cette folie créatrice…. Certains évoquent en vain le nom de Terrence Malick pour qualifier ce film. On préférera utiliser l’analogie de l’enfant turbulent qui fait joujou avec la caméra super-8 de son grand-père.

Il n’y a en effet rien de Malick dans ce pensum lourdingue et verbeux doublé d’un « international-pudding » grotesque – on y croise tout à trac Oscar Isaac en Gauguin, Matthieu Amalric en médecin, Mads Mikkelsen en prêtre, Emmanuelle Seigner, Anne Consigny…. Willem Dafoe y est étonnamment sobre, mis à part les quelques pétages de plombs réglementaires, mais rien qui ne justifie vraiment son prix d’interprétation à Venise.

Profondément agaçante, cette vision victimaire de l’artiste, le présentant presque comme un Christ sacrifié, un dommage collatéral de la société, est à la fois bête et difficilement regardable, se complaisant dans son rôle de film « arty », poseur et fier de lui.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Mug » de Malgorzata Szumowska

Présenté en compétition lors de la dernière Berlinale, le film de la polonaise Malgorzata Szumowska s’y est vu attribué le Grand Prix du Jury. Film de festival par excellence, il commence avec tous les clichés et les tics du genre, mais parvient tout de même à s’en éloigner par certains aspects.

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La scène d’ouverture de Mug – une démonstration de misanthropie à base de gens obèses en sous-vêtements se ruant sur de la marchandise à -70% dans une grande surface – est l’une des plus rebutantes vues de longue date, une espèce de condensé de toute la suffisance hautaine et moralisatrice d’un cinéma de l’épate voulant choquer le bourgeois en festivals. D’autres coups d’éclats du même cru émaillent le début du film, dont une scène de danse particulièrement gratinée, qui semble juger, en mêlant plans de distanciation et gros plans vulgaires, un personnage féminin de la pire façon qui soit. Autant dire que le film part sur de très mauvaises bases, voire qu’il se saborde complètement en quelques plans dans ses toutes premières minutes. Lorsqu’il dévoile enfin ses cartes et expose son vrai sujet – la greffe de visage d’un homme accidentée et son ostracisation progressive par la communauté extrêmement pieuse dans laquelle il baigne –, il commence à explorer des voies moins désagréables, sans réellement se sauver. Puis, la dernière partie révèle quelques scènes plus intéressantes, dont une fantasmée lors d’un mariage, qui utilise assez habilement l’alternance de la mise au point sur tel puis tel personnage. La satire assez décomplexée et féroce de l’église que fait le film dans cette dernière partie – notamment à travers une scène d’exorcisme tournée en dérision, et un plan final qui fait un clin d’œil direct à la Dolce Vita de Fellini – s’avère également fonctionner. Sans dévier vraiment de son programme démonstratif, Mug aura au moins pu sauver quelques moments, faire vivre certaines choses. Ce n’est déjà si mal.

Thibaut Grégoire

 

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FIFF 2018 – Carnet de bord (4)

Le FIFF est terminé mais nous avons encore des choses à dire sur quelques film vus en fin de festival : notamment un enthousiasme programmé pour le dernier Rithy Panh – qui figure d’ailleurs au palmarès – et une grosse déception envers le premier film de Meryem Benm’Barek, que de bons échos nous avaient survendu.

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Les Drapeaux de papier de Nathan Ambrosioni

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Au FIFF, Les Drapeaux de papier était vendu comme le premier film de son réalisateur, le jeune Nathan Ambrosioni (18 ans), puisqu’il faisait même partie de la compétition Première Œuvre. Les spectateurs du BIFFF savent que ce n’est pas le cas puisque Ambrosioni y présentait il y a un an et demi son long métrage Therapy, lequel n’était déjà pas son premier. Mais parlons plutôt du présent film…. Guillaume Gouix et Noémie Merlant y jouent un frère et une sœur qui se retrouvent. Le premier a passé plusieurs années de sa vie en prison. La réinsertion sera compliquée, tout comme la refonte des liens familiaux. On se trouve donc ici devant du lourd, du social, du psychologique. Le film ressemble à la fois à une dissertation d’adolescent sur la réinsertion, mais arbore également les marques d’un cinéma de la démonstration hystérique, d’un pseudo-réalisme coup-de-poing. On a dès lors l’impression de se trouver devant un court d’étudiant, étiré en long, et joué par des acteurs professionnels. Ceux-ci se plient d’ailleurs docilement aux volontés de leur réalisateur, à l’image de Guillaume Gouix, rejouant pour la énième fois sa partition de brute au grand cœur, mais avec une dimension parodique involontaire. Chaque scène croule sous le poids de sa propre lourdeur, des regards appuyés, des silences pesants, des non-dits, du passif suggéré mais néanmoins souligné des personnages, etc. Tant d’intériorité manifeste et surjouée ne peut que se fissurer à un moment donné, et exploser en règlement de comptes spectaculaire. Tout est dit et en même temps pas grand-chose. (TG)

Note : 2/10

 

Une année polaire de Samuel Collardey

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Suivant un enseignant danois installé au Groenland, officiellement pour « éduquer » la population locale, Samuel Collardey applique sa méthode maintenant habituelle et théorisée, à savoir la « refictionnalisation » du réel. Il prend donc comme protagonistes des personnes réelles et leur font rejouer des situations qu’elles ont réellement vécues en y instillant de manière difficilement dosable de la fiction. Il fait ainsi de ces gens de véritables héros de cinéma, dans le sens le plus « mainstream » et premier degré du terme. Une année polaire, dans sa dernière partie, vire d’ailleurs carrément au film d’aventures à dimension humaniste. Si le résultat est inégal – on pense parfois à National Geographic – la démarche de Collardey et son travail avec les acteurs de transcendance du réel restent intéressants. (TG)

Note : 6/10

 

Les Tombeaux sans noms de Rithy Panh

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Il est parfois difficile d’isoler un film de Rithy Panh de l’ensemble de son œuvre documentaire. De ses films, on dira souvent qu’ils opèrent un devoir de mémoire, de recollection et de conservation de cette mémoire. Dans le cas des Tombeaux sans noms, on pourra parler plus précisément d’un travail d’exorcisme. L’exorcisme est au centre même du film, exorcisme de la parole, des démons de l’histoire du Cambodge, mais aussi exorcisme des esprits. La mémoire des victimes passe par un dispositif d’incarnation. Elles sont incarnées par les photos, par les cercueils remplis de pierre, et jusque dans l’invocation de leurs esprits, notamment dans une scène de transe cathartique. Même la voix-off disant un texte original épouse cette idée d’incarnation. Il faut aller au bout de ce processus, dire les choses, les redire, les jouer, les rejouer, les assimiler les transcender, puis encore les réapprendre, continuellement. C’est ce travail que fait Rithy Panh, inlassablement, de film en film, et c’est ce geste résolu, ininterrompu, qui fait toute la force de son cinéma. (TG)

Note : 8/10

 

Sofia de Meryem Benm’Barek

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Reparti avec le prix du scénario de la section « Un Certain Regard » au dernier festival de Cannes et sorti en France sous une pluie de bonnes critiques, Sofia nous a laissé plus que sceptiques. A commencer par son scénario, qui serait donc sa principale force. Péniblement écrit avec les gimmicks attendus du film d’auteur engagé, il ne nous épargne rien : un twist pénible pour nous mettre une bonne claque (sic), des dialogues surlignés en rouge (avec ces phrases qui se terminent toujours avec le nom de l’interlocuteur, du style « Tu sais, Sofia », « Non mais attends, c’est pas comme ça que ça se passe, maman »), un manque de subtilité dans la description des rapports de classes où plusieurs personnages paraissent moins humains qu’archétypaux (seuls Sofia et Omar sont épargnés, on imagine que c’était l’idée, mais ça fonctionne mal) même si, par exemple, le flic est moins crapuleux qu’attendu ou le père plus effacé (ça ne change néanmoins pas grand-chose à la fonction que doit remplir chaque situation dans le déroulement du récit) ; ou encre le recours à des scènes de règlements de comptes hyper théâtrales qui frôlent parfois le comique involontaire tellement elles sont poseuses (la scène entre femmes sur la terrasse, par exemple). L’écriture parvient néanmoins à travailler plusieurs niveaux : l’intime, la pression sociale ou les hérésies d’une société tiraillée entre les traditions et la modernité. Mais n’est-ce pas le dénominateur commun de la plupart des films nord-africains récents ? Il n’y a donc là rien d’original. La mise en scène de Meryem Benm’Barek demeure également extrêmement classique. Rien ne vient déstabiliser son petit programme (c’est le but de ce genre de films auquel il ne faut rien demander de plus). Il reste alors Sofia, étrange personnage qui garde en elle cette impulsion naturelle que son milieu tend à tout prix à réprimer pour gravir les échelons dans la société. Il est beau de voir un personnage marqué par un héritage génétique prononcé conserver un lien avec cette impulsion inexplicable face à l’hypocrisie qui l’entoure. C’est certainement là une idée peu émancipatrice et un cliché sur la lutte des classes, mais pourtant bien ancré dans le corps d’une femme qui lutte entre différents désirs, différentes aspirations de vie, et qui se voit « rappelée à elle malgré elle ». Ce serait alors un des seuls points de réel d’un film lourd et convenu alors que de nombreux films marocains ou algériens nous ont livré de meilleurs exemples récemment. (GR)

Note : 3,5/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


FIFF 2018 – Carnet de bord (2)

Les choses se précisent au FIFF, des films se démarquent par leur originalité, leurs démarches singulières. Retour sur les films vus dimanche et lundi.

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L’Ordre des médecins de David Roux

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Après une première partie en forme d’Hippocrate light et télévisuel, balisé par des dialogues affligents et plombé par le (sur)jeu monolithique et crispé de Jérémie Rénier, le film embraye sur une seconde, laquelle décrit la préparation d’un deuil, convoquant à la fois une esthétique neutre de film à débat sur une chaîne de la télé publique et un pathos appuyé. L’Ordre des médecins semble ainsi accumuler toutes les tares d’un cinéma qui se cherche entre film à sujet lourd et fausse distance « auteur ». On se retrouve une nouvelle fois devant un film de scénario appliqué, enchaînant les scènes « à faire » avec la constance d’un métronome : scène professionnelle, réunion familiale, « respiration » musicale, etc. Il n’y a vraiment rien à sauver dans ce type de produits formatés. (TG)

Note : 2/10

 

L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier

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Un des plus beaux sujets que le cinéma peut traiter est le rattachement à ce qu’il y a en nous d’humain, ou ce qu’il peut en rester. Face à la catastrophe et à l’apocalypse qui s’annonce, L’heure de la sortie fait le pari de raconter cette histoire au milieu d’un genre qui ne semblait pas s’y prêter au départ (le thriller fantastique). Marnier s’intéresse à un groupe d’enfants modèles qui lentement se désaffecte pour se préparer à l’apocalypse. Or, cette lente désaffection, cette désensibilisation au monde, s’avérera impossible. D’une brillante intelligence, le film évite tous les clichés et s’impose comme une réflexion profonde et bouleversante sur ce que doit être l’homme, aujourd’hui, à l’heure où tout semble s’écrouler autour de nous. (GR)

Note : 9/10

 

Genèse de Philippe Lesage

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Le film surprend et fonctionne essentiellement grâce à la construction en deux temps de son récit. La confrontation entre les deux parties produit un étrange sentiment qui se rapproche sans doute de ce qu’à cherché à traquer le cinéaste : la genèse des sentiments amoureux, la genèse mystérieuse du fait d’être vivant et d’être incapable de lutter contre les affects qui nous submergent. Sans cette confrontation narrative, le film aurait été banal. Il accumule en effet trop de clichés des teen movies, J. D. Salinger à la main, comme ces scènes de danse en boîte censées aider le spectateur à entrer dans l’histoire. Il subsiste encore par moments quelques scènes curieuses, comme une scène de viol à la composition graphique qui détonne par rapport à l’ensemble du film. Le propos politique sous-jacent, visant notamment une certaine normativité ambiante, questionne également l’hypocrisie de la société canadienne. Genèse mérite donc d’être analysé en détails car il contient des pistes intéressantes à explorer. (GR)

Note : 6,5/10

 

En Liberté ! de Pierre Salvadori

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Voir le contre/contre

 

Braquer Poitiers de Claude Schmitz

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D’un argument de comédie policière convoquant un univers de pieds nickelés battu et rebattu, Braquer Poitiers parvient à tirer quelque chose de totalement singulier en utilisant des comédiens non-professionnels et en ayant mis sur pied un dispositif de tournage particulier. Fasciné par le personnage réel de Wilfrid Ameuille, propriétaire de Car Wash à Poitiers, Claude Schmitz a brodé une ébauche narrative très vague autour de lui en ajoutant plusieurs duos de personnages typés (les bons belges, les « cagoles », les jeunes de banlieue). Le travail d’épure du film, prélevant des moments dans des blocs compacts de tournage, permet de saisir une certaine vérité des personnages, au-delà des clichés avec lesquels il joue. Ce qu’il en résulte est un film compact (60 minutes), parlant du sur-place et de l’ennui mais paradoxalement rapide et constamment vivant. (TG)

Note : 7,5/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


« En liberté ! » de Pierre Salvadori : Contre/contre

Pas de pour/contre, mais plutôt deux avis différents, pouvant néanmoins se rejoindre par certains aspects, sur le nouveau film de Pierre Salvadori, présenté au FIFF de Namur.

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Thibaut Grégoire (plutôt contre) :

Plus décalé, plus fou que ses films précédents, En liberté ! peut apparaître comme une sorte de lâcher-prise pour Pierre Salvadori, bien qu’il soit tout de même encadré par certaines limites. D’entrée, on est frappé par le côté tape-à-l’œil de la scène d’ouverture, qui sera amenée à être répétée ad nauseam tout au long du film. Mais cette répétition, cette déconstruction des scènes et des personnages, fait partie intégrante du film, et sa vulgarité manifeste est elle aussi amenée à être déconstruite. Ce côté débridé, décomplexé, est plutôt à mettre à l’avantage d’En liberté !, c’est ce qui le place au-dessus du tout-venant de la comédie française, tout comme l’honnête qualité d’écriture de certains dialogues, de certaines scènes. Ça ne le met pourtant pas à l’abri de tomber à plat la plupart du temps et de pâtir en outre du jeu outré de ses comédiens – Pio Marmaï et Adèle Haenel, principalement – même s’il faut tout de même sauver la prestation de l’excellent Damien Bonnard.

Note : 4,5/10

 

Guillaume Richard (très contre) :

Après le navrant Le monde est à toi, la deuxième cartouche de la comédie française labellisée auteur de 2018 s’avère tout aussi ratée et pas drôle. Le principe est le même : on copie des modèles et on rend un hommage pop à une forme de comédie qu’on ne pratique plus. Le tout sous la forme d’un hommage qui ne parvient jamais à trouver un souffle et à dépasser le système forclos dans lequel il s’enferme. La faute à un scénario raté (on retarde jusqu’au bout les quiproquos avec une rare lourdeur), des dialogues calamiteux, un jeu d’acteur catastrophique qui voit dans le cabotinage le seul moyen de donner corps au comique, et à un humour qui fonctionne par le recours systématique à la « bouche bée » : il faut créer du décalage absurde et le rendre palpable dans le récit à travers l’ébahissement des personnages secondaires (soit la forme d’humour la plus facile et la plus désagréable à regarder, selon moi) . En Liberté ! accumule également les maladresses censées pourtant nous faire mourir de rire (sic) : pourquoi se moquer des gens qui pratiquent le SM, qui est une forme d’expression du désir comme une autre ? Et ne parlons pas du sentimentalisme très 1er degré qui ne s’intègre pas du tout à l’ensemble du film. Ce dernier en est même freiné :  la mièvrerie assumée par Salvadori semble servir de gage de sécurité, de bouée de sauvetage (pour garder à flot un public « plus large » ?), et empêche la comédie d’être totale et de fonctionner. Bref : je n’ai pas ri une seule fois devant ce film pathétique et prétentieux.

Note : 2/10


FIFF 2018 – Carnet de bord (1)

Une découverte documentaire et un excellent duo d’acteurs ont été pour nous les bonnes surprises de ce début de FIFF. Retours argumentés sur ces films et sur d’autres.

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Nos Batailes de Guillaume Senez

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Prototype parfait du film belge d’auteur à hauteur d’homme teinté de réalisme psychologique, Nos Batailes, revenu pourtant de Cannes avec une bonne réputation, étonne par sa banalité, son manque d’audace et son respect du cahier de charges attendu. Il n’y a aucune faille, aucun écart, aucune surprise. Senez n’a que des cris sourd et des larmes chaudes à nous offrir pour raconter une énième histoire de personnage-courage qui doit lutter pour s’en sortir. Le cinéaste accumule tous les clichés du genre et même, c’est le pompon !, le recours à un morceau de musique populaire pour souligner un moment de bonheur éphémère entre deux batailles. Ce genre de films est tout simplement épuisant par sa naïveté, sa vulgarité qui veut nous être montrée comme de la « pudeur » et surtout son inculture, que l’on ressent derrière le poids d’un auteur persuadé d’avoir réalisé un film fort et important, alors qu’il est d’une effrayante banalité. Les acteurs sont également mauvais et surjouent, mais peuvent-ils faire autrement dans ce type de film ? Le plus inquiétant, c’est qu’il sert de porte-étendard au cinéma belge. Ce constat est dur mais il faut voir les choses en face : il est temps de passer à autre chose, de produire des films plus audacieux et moins programmatiques, de remettre en question les modes de production et les privilèges. Il est temps de tout renverser. (GR et TG)

Note : 3/10

 

Un amour impossible de Catherine Corsini

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On pourrait sauter sur ce film à bras raccourcis, le taxer de classicisme, lui reprocher sa linéarité ou l’absence de recul par rapport à son sujet. Il faut dire que le film est coscénarisé par Christine Angot, qui semble être la dernière ambulance à la mode sur laquelle on tire. Certes, le film est surécrit, semble s’épanouir dans le classicisme le plus appliqué, et repose sur l’autofiction crue et égocentrée d’Angot. Mais il en découle également une certaine fluidité narrative et une assez belle clarté des enjeux. Sans parvenir à transcender réellement son scénario et ses sujets, Un amour impossible est paradoxalement agréable à suivre, d’autant plus que ses deux comédiens principaux (Virginie Efira et Niels Schneider) sont tous deux excellents. (TG)

Note : 5/10

 

Lola et ses frères de Jean-Paul Rouve

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Que dire d’un film dans lequel il faut absolument que tous les personnages soient sauvés, que le « happy end » soit total, et qui se termine pratiquement sur un plan « mon chéri » dans lequel des gens s’embrassent et s’accolent au ralenti ? Le dernier film de Jean-Paul Rouve – aidé au scénario par inénarrable David Foenkinos – est un feel good movie au carré, une sorte d’apogée béate du genre, dans lequel tous les personnages se mêlent de la vie des autres « pour leur bien ». On peut retrouver le même type de personnages, de trame narrative, d’absence de mise en scène et de bons sentiments à la pelle à la télévision : ça s’appelle Camping Paradis. (TG)

Note : 2/10

 

Des moutons et des hommes de Karim Sayad

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Ce très beau film documentaire s’intéresse aux relations qu’entretiennent quelques habitants d’Alger avec leurs moutons, juste avant l’Aïd où les bêtes sont sacrifiées. On suit par exemple Habib, un garçon doux qui cherche à renforcer sa virilité grâce aux combats de moutons, une pratique marginale dans le pays. Sauf que son mouton, qui le suit comme un chien et auquel il s’attache affectivement, finit par ressembler à son maître : une fois dans l’arène, il ne peut pas combattre. C’est à la fois bouleversant et désarmant. Il n’y a pas une fausse note dans le regard que porte Karim Sayad sur le quotidien de ses protagonistes. Discrètement et sans jamais appuyer lourdement sur les effets, il parvient même à adresser des piques envers les dérives du pouvoir religieux et la situation politique du pays. On pourrait encore aller plus loin en comparant l’homme et l’animal ou en analysant la façon dont les enfants construisent leur imaginaire à travers les moutons. Un grand film, donc. (GR)

Note : 8/10

 

Mitra de Jorge Leon

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Tout à l’inverse de Des moutons et des hommes, Jorge León semble incapable de trouver la bonne distance et le bon équilibre dans Mitra qui se rêve en film-total mais qui ressemble plus à un fourre-tout prétentieux. En 1h20, León traite en effet d’au moins 4 sujets : l’arrestation politique et l’internement forcé d’une psychanalyste en Iran (Mitra, donc) ; le quotidien de malades mentaux dans un hôpital psychiatrique ; la réalisation d’une création à la Monnaie inspirée des récits de Mitra et des malades ; la destruction de l’ancien hôpital où se trouvait les malades. Le cinéaste filme à fois les traces et les récits, le visible et l’invisible, la pudeur croise l’impudeur, sans qu’on puisse y trouver une quelconque cohérence. Pourquoi filmer en contrepoint l’internement de la psychanalyste et les malades ? Quel est le rapport ? León n’hésite pas user d’effets pompeux et dérangeants. Il remet par exemple en situation une malade terrorisée dans une ancienne pièce de l’hôpital désaffecté qui servait de chambre d’isolement. Ou il utilise une infirmière au visage angélique comme « médiatrice » entre les spectateurs et les malades, presque comme un personnage de fiction. Que vient-elle faire ici ? Et puis il y a tout ce qui tourne autour de la création sonore qui reste difficilement audible tant pour le spectateur que pour la cohérence du film. Le cafouillage de Mitra nous paraît donc total et, au final, comme souvent lorsqu’on voit trop grand, ce sont tous les aspects du film qui sont déforcés et rendus artificiels. (GR)

Note : 3/10

 

Textes de Thibaut Grégoire et Guillaume Richard


Sorties Cinéma – 20/06/2018

Une fois n’est pas coutume, c’est dans les chemins balisés et les reprises de formes et de figures institutionnelles qu’il faut cette semaine aller chercher pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. La rom-com américaine intègre enfin un jeune héros homosexuel dans sa mécanique bien huilée et Bruno Podalydès trouve son bonheur dans un univers suranné mais écrin parfait pour son cinéma comico-poétique.

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Love, Simon de Greg Berlanti

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Au-delà de l’aspect « mainstream » de cette comédie romantique aux rebondissements attendus et aux bons sentiments en rafales, c’est sa manière d’intégrer comme ressort principal et déterminant l’homosexualité de son personnage principal qui interpelle. Plus qu’un film à sujet qui s’imposerait des limites par rapport à ce que son auteur jugerait conforme à « la réalité des choses », ce « feel-good movie » de studio, reprenant sans reculs tous les clichés et archétypes du genre, mais dont le protagoniste principal se trouve être un adolescent homosexuel, entérine complètement l’entrée du héros positif homosexuel dans un cadre de divertissement grand public, de consommation courante. Love, Simon apparaît donc comme la dernière étape d’une intégration définitive de l’homosexualité au sein des normes hollywoodiennes.

Note : 6/10

 

Bécassine de Bruno Podalydès

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D’une base et d’un personnage ayant à ce point vieilli, aussi bien esthétiquement qu’idéologiquement, on pouvait craindre le pire concernant une adaptation cinématographique qui semblait être uniquement guidée par des impératifs commerciaux et d’air du temps, en pleine vague d’adaptations à tout va de BD francophones. Mais la reprise à son compte par Bruno Podalydès de cet univers dépassé et les transformations qu’il y opère afin de le rendre conforme à son cinéma comico-poétique se révèlent payantes. Chez Podalydès, Bécassine n’a de la bécasse que le nom et la bienveillance amusée avec laquelle le cinéaste la traite, ainsi que la globalité de cet univers suranné, font du film une comédie à la fois burlesque et humaine, positive sans être niaise.

Note : 6/10

 

Une prière avant l’aube de Jean-Stéphane Sauvaire

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En adaptant à l’écran le livre autobiographique de Billy Moore, retraçant son expérience en tant que détenu dans les prisons thaïlandaises, Jean-Stéphane Sauvaire tend à proposer un cinéma immersif, plongeant son personnage principal et son spectateur au centre même des plans et de l’action, ne laissant aucun répit ni à l’un ni à l’autre. Cette manière de procéder constitue à la fois la force et la faiblesse du film : force parce que le filmage et la mise en scène, collant à la peau et à la sueur des personnages – notamment dans les scènes de combats ou d’échauffourées – contraignent pour ainsi dire à ne pas perdre une miette du film, à être constamment « la tête sous l’eau », sans échappatoire possible ; faiblesse parce que l’on peut considérer cette démarche comme totalitaire, ne laissant aucune place à la distanciation du spectateur, donc à la réflexion.

La critique sur Le Suricate Magazine

Note : 4,5/10

 

Agatha, ma voisine détective de Karla von Bengtson

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Esthétique épurée et scénario explicatif pour ce dessin animé à destination du très jeune public. Quelques digressions poétiques affleurent – le lézard parlant – et quelques descriptions du monde de l’enfance font mouche, mais le film n’arrive malgré tout pas à se départir de cette impression qu’il prend parfois les enfants pour plus idiots qu’ils ne sont.

Note : 4,5/10


Sorties Cinéma – 13/06/2018

Le « reboot » féminin de Ocean’s Eleven ne déçoit ni ne surprend, mais c’est un film italien qui tire son épingle du jeu dans les sorties de la semaine, tandis qu’un film d’horreur de série B se vautre dans le grotesque.

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The Place de Paolo Genovese

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Si l’on craint d’abord un film à sketch ou du théâtre filmé, ce film italien a priori classique et patrimonial – il ne s’agit pas vraiment d’un film d’auteur – séduit sur la longueur par la manière dont il développe son concept simple mais complexifié par l’écriture et le montage. La proposition qu’il fait d’un film de dialogues couplé d’un film choral, dans lequel les face-à-face successifs et alternés qui se jouent entre le personnage principal – sorte de figure floue d’ange planificateur ou double fictionnel du créateur démiurge – et ses jouets, des quidams venant lui demander un service en échange d’un autre, se révèle finalement intrinsèquement cinématographique. C’est par le montage alterné et la stratégie de dévoilement progressive, qui serait pratiquement impossible, ou tarabiscotée, au théâtre, que le film parvient à créer une montée en puissance, tout en restant toujours enfermé entre quatre murs dans un bistro, fixé sur une table où l’on discute autour d’un café.

Note : 6/10

 

Ocean’s 8 de Gary Ross

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Ce « reboot » déguisé en suite d’Ocean’s Eleven opère quelques changements assez simple : remplacer George Clooney par Sandra Bullock, Brad Pitt par Cate Blanchett ou encore Matt Damon par Rihanna. Le concept de « féminisation » ne va en réalité pas beaucoup plus loin que ces conversions anecdotiques, et l’on peut même directement mettre à la corbeille l’hypothèse d’un film « féministe », puisque celui-ci fait quand même perpétrer par ses héroïnes un vol de diamants, là où les hommes se contentaient de billets de banques.

Lire la critique sur Le Suricate Magazine

Note : 5,5/10

 

Action ou vérité de Jeff Wadlow

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Comme la série des Final Destination ou encore le récent Wish Upon, Action ou vérité met sur place un petit jeu de massacre dans lequel de jeunes et pas si innocents étudiants se retrouvent pris malgré eux. Ici, il s’agit d’une partie d’action ou vérité possédée par un démon, lequel est bien décidé à mener les joueurs à leur perte. Si le système fonctionne durant la première partie du film, celui-ci s’effondre dans la seconde, lorsqu’il se met à inventer de nouvelles règles et à sortir des révélations grotesques comme des lapins d’un chapeau. Le film aurait gagné à se concentrer sur son idée de départ – le jeu – et à ne pas dévier sur une espèce de grand règlement de compte entre amies et de ménage à trois à l’eau de rose.

Note : 3/10


Sorties Cinéma – 11 et 18/04/2018

À l’affiche ces deux dernières semaines : un auteur majeur avec un film majeur, deux auteurs majeurs avec des films mineurs, deux auteurs mineurs avec des films mineurs et un rien du tout avec une affligeante mascarade.

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Isle of Dogs de Wes Anderson

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De retour à l’animation en stop-motion neuf ans après Fantastic Mr. Fox, Wes Anderson perfectionne sa méthode et continue de développer son cinéma dans le carcan de cette technique tout particulière, tout en approfondissant les thèmes qu’il semble désormais accoler à ce type de films, à cette partie-là de sa filmographie.

Critique sur Le Suricate Magazine

Note : 8/10

 

Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot de Gus Van Sant

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Un Gus Van Sant de la veine classique de l’auteur, biopic plutôt académique du dessinateur de presse John Callahan, ancien alcoolique et cloué à un fauteuil roulant suite à un accident de voiture. Si le film a bel et bien un aspect convenu intrinsèque au genre, le traitement du personnage principale et sa quête de subversion à travers l’humour – plus que tout son parcours du combattant en tant qu’handicapé ou qu’alcoolique anonyme – l’emmène sur un terrain un peu moins balisé et un peu plus hétérogène.

Note : 6,5/10

 

The Third Murder de Hirokazu Kore-Eda

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Texte sur Le Rayon Vert

Note : 6,5/10

 

Finding Your Feet de Richard Loncraine

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« Feel good movie » typique mettant en scène des personnages d’un âge certain dans des situations de comédie romantique, Finding Your Feet s’inscrit pleinement dans une mouvance de films anglais très formatés et ciblés, dont le parangon était probablement l’Indian Palace de John Madden. Avec ses acteurs devenus « monstres sacrés » de la comédie britannique et son scénario ronronnant, le film de Richard Loncraine ne révolutionne assurément pas le genre. (…) Pourtant, Finding Your Feet remporte l’adhésion grâce à sa bonne humeur communicative, son casting très investi et le degré de sympathie assez élevé qu’inspirent ses personnages.

Critique sur Le Suricate Magazine

Note : 6/10

 

Lean on Pete d’Andrew Haigh

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Après avoir réalisé deux films et une série autour de l’homosexualité (Greek Pete, Weekend et Looking) ainsi qu’un film assez cruel, presque « hanekien », sur le couple (45 Years), le britannique Andrew Haigh semble se diriger vers quelque chose de plus « mainstream » avec l’adaptation d’un roman (La Route sauvage de Willy Vlautin) sur l’amitié entre un jeune garçon et un cheval, ainsi que sur leur périple à travers les États-Unis.

Critique sur Le Suricate Magazine

Note : 4,5/10

 

Taxi 5 de Franck Gastambide

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Petit bijou de mauvais goût, de racisme patenté et de misogynie exacerbée, servi sur un plateau par le beauf 2000, Franck Gastambide, et son acolyte le plus mauvais acteur du monde, Malik Bentalha. Réussissant l’exploit d’être encore moins drôle que le sinistre Taxi 4, Taxi 5 déterre au passage l’inénarrable Bernard Farcy, perdu dans les oubliettes de la nanarophilie perverse, et dont l’apparition momifiée n’est pas le plus triste de cette sale histoire.

Note : 1/10