Critique et analyse cinématographique

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L’eau qui (en)dort

En sortant du film El Agua d’Elena López Riera, l’on se demande légitimement qui peut bien aimer un film comme celui-là. La réponse ? Les programmateurs de la Quinzaine des Réalisateurs, plus quelques critiques parisiens peut-être soudoyés, dont le jadis fiable Jean-Marc Lalanne.

Rappelons que le triste sire a récemment recommandé des chefs d’œuvre tels que Les Cyclades ou encore Mon crime, alors qu’il crache allègrement sur Paul Thomas Anderson et notamment sur son dernier film en date, Licorice Pizza. Il est parfois bon de remettre l’église au milieu du village.

El Agua est une purge inimaginable vendue comme un grand film féministe, un téléfilm vaseux, pseudo chronique d’une jeunesse qui s’emmerde, entrecoupé de face caméra aux velléités documentaires mais dont on peine à croire à la véracité. Même les images « réelles » d’inondations n’apportent pas le moindre intérêt car elles n’entrent pas une seconde en dialogue avec les images et l’intrigue de la fiction, d’une platitude inouïe.

Il aurait fallu sortir de la salle, ce n’est pas faute d’y avoir été poussé, mais notre stupide persévérance et ce fameux espoir de trouver des choses à sauver, nous aura contraint à rester en place… fichu syndrome de Stockholm ! Jusqu’au grotesque plan final, de nouveau un face caméra « lourd de sens », comme une espèce de pied de nez au spectateur qui s’est fait avoir, qui n’est pas sorti et qui ne s’est pas endormi, les limites du supportable furent largement franchies. Quand il n’y a rien à sauver, la messe est dite, même si de faux prophètes continuent de nous exhorter à nous polluer les rétines.

Reprise des hostilités

Ce qu’il y a de bien avec les films de la saga John Wick, c’est qu’ils sont complètement débiles. Ce qu’il y de pas bien dans la saga John Wick, c’est que de nombreux crétins en parlent comme s’il s’agissait de véritables films, sérieux, ambitieux, le tout sous le prisme de la réussite technique et/ou de mise en scène, confondue là avec de la mise en place ou de la chorégraphie.

Dans la série des gogos, l’inénarrable Merej, youtubeur notoire, a commis une vidéo, comme tous les jours, dans laquelle il pointe quelques films qui seraient « meilleurs que John Wick »…. Et le plus étonnant, c’est que la vidéo ne dure pas plusieurs années, temps qu’il faudrait pour énumérer tous les films qui sont meilleurs que John Wick.

Parmi les films ainsi pointés, il y a notamment The Mission de Johnnie To, film que je n’avais pas vu et que je me suis donc empressé de rattraper, comme possédé, comme si la parole de Merej avait la moindre importance. C’est un film culte pour pas mal de geeks qui se prennent pour des cinéphiles, ça je le savais déjà.

Étonnamment, le film est plus intéressant qu’il n’en a l’air, parce que, contrairement à ce que laissait entendre le vidéaste à casquette, il ne s’agit pas d’un film d’action chorégraphique dans lequel, parfois, il ne se passe rien, mais plutôt d’un petit film de gangster contemplatif et intimiste, qui fait plus grand cas de l’amitié entre ses protagonistes que de leurs missions absurdes. Mais pas sûr que les fans de la première heure de ce film y voient la comédie d’amitié viril qu’il est pourtant.

Les John Wick sont des comédies aussi, bien évidemment, involontaires ou non peu importe, mais leur manière de jouer avec le passif d’acteur de Keanu Reeves et de faire du Matrix « cheap » est tout bonnement hilarante. Ils réussissent néanmoins l’exploit de passer de « revenge movie » clinquant, à film de combats expérimental et sans intrigue dans son troisième opus. En attendant les trois heures dont on imagine déjà la teneur hautement philosophique du quatrième épisode…. Wait and see mais ça promet. (À suivre… ou pas)

BIFFF 2021 – Carnet de bord (7)

Nous arrivons bientôt au bout de ce carnet de bord rétrospectif du BIFFF 2021. Dans cette sélection de six films, trois d’entre eux parlent du cinéma d’une manière ou d’une autre, par une mise en abyme, avec des personnages d’acteurs, ou encore à travers la salle et le bâtiment proprement dit. Mais parmi ces trois films, un seul parvient à donner une dimension un tant soit peu réflexive à son sujet : Slate, du coréen Jo Ba-reun.

Diva de Jo Seul-yeah

Thriller psychologique classique à base d’amnésie et de rivalité entre plongeuses de haut niveau. Tout est propre, convenu, attendu. D’un ennui profond.

The Weasels’Tale de Juan José Campanella

Dans sa présentation d’avant-film, Juan José Campanella convoquait la comédie classique et Billy Wilder pour parler de son film. De Sunset Boulevard, subsiste en effet la vieille actrice sur le retour s’ennuyant ferme dans une grande demeure avec d’anciens complices tout aussi vieux et sur le retour qu’elle. Au-delà de ça, l’intrigue et l’esthétique de ce téléfilm, ainsi que ses acteurs cabotins, rappelle plutôt les grandes heures d’Au théâtre ce soir que les références écrasantes invoquées par le réalisateur.

Slate de Jo Ba-reun ⭐⭐

Se rêvant depuis toute petite comme une héroïne, la jeune actrice Yeon-hee se retrouve projeté dans l’univers d’un film qu’elle n’a pas encore tourné, une réalité alternative où on la prend très vite pour la « Soul Slayer », une sorte d’élue censée ramener l’équilibre dans cette dystopie gouvernée par des forces démoniaques. Si le film, dans son déroulé et son esthétique, est tout ce qu’on en attend et donc pas forcément très passionnant à suivre, il renferme pourtant une grande idée – laquelle prend toute sa dimension dans sa scène finale – qui est que chaque film, chaque tournage, cache un monde bien à lui, indépendant, et dans lequel les personnages peuvent se désolidariser de leurs interprètes pour prendre leur indépendance. L’accès au monde parallèle par l’intermédiaire du clap (« slate ») vient d’ailleurs cristalliser cette idée.

L’Odyssée sanglante du lapin rose d’Arno Pluquet ⭐⭐

À la limite du regardable – vu en trois fois, pour ma part – ce curieux mix entre un film trash amateur, tendance Jean-Jacques Rousseau, et du faux auteurisme pompeux à base de monologues psycho-vaseux type « dans quel état j’ère », cette Odyssée sanglante du lapin rose – tourné en grande partie dans les murs du cinéma Styx à Bruxelles – renferme tout de même plus de vivacité et d’envie de faire du cinéma que bon nombre de films proprets de cette sélection du BIFFF. Il ne ressemble en tout cas à aucun autre film vu dans ce cadre, même si l’on pourrait arguer qu’il ne ressemble à rien, tout court.

Voice of Silence de Park Jung-hun ⭐⭐

Cette histoire supposément « mignonne » de l’amitié naissante entre une petite fille et son ravisseur, sur fond de kidnappings organisés en Corée du Sud, fait de belles promesses dans ses prémisses mais n’atteint bizarrement à aucune espèce d’émotion dans sa résolution et s’avère au final être passé à côté de toute une série de morceaux de bravoure qui semblaient pourtant assurés, sans non plus prendre une voie « alternative », en mode mineur ou décalé, qui lui aurait attribué une forme d’originalité.

A Divisao de Vicente Amorim 🔴

Apparemment adapté – ou monté à partir – d’une série, ce long film à l’esthétique pompière, dont la manière d’ériger la stature de l’homme fort porteur d’armes rappelle un certain cinéma fasciste et renvoie au funeste Tropa de Elite, film également brésilien dont il se situe dans la « droite » lignée, commet d’irréparables « coups d’éclats » esthétiques, comme ce plan en début de film sur des enfants morts ou encore ses interminables fusillades dans lesquelles les armes sont filmés comme des membres virils et les coups tirés comme des éjaculations. Profondément puant !

Le BIFFF s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (6)

Plus le BIFFF s’éloigne, plus il devient compliqué de tenir ce petit journal de bord maintenant rétrospectif, tant certains films s’estompent voire disparaissent de ma mémoire. Dans ce qu’il reste, quelques images de Hotel Poseidon et de Dick Maas Methode.

Aporia de Rec Revan 🔴

Dans la présentation du film sur son site, le BIFFF prend les devants et nie tout exotisme quant à la présence de ce film labélisé premier film de genre venu d’Azerbaïdjan. Malheureusement, je ne vois pas trop ce qui caractérise Aporia ou en fait l’originalité mis à part cette particularité de provenance. Survival classique, avec une touche de film de zombies pour dire, le film se traîne, accumule les clichés, et les performances approximatives, avant de se clore sans avoir vraiment commencé.

De Dick Maas Methode de Jeffrey De Vore ⭐⭐

Dès le début, certains propos des témoins, venant faire l’éloge de son vivant du réalisateur Dick Maas, peuvent faire bondir n’importe quel cinéphile d’obédience classique ou « cahiers », tant le mépris qui suinte pour le cinéma d’auteur est manifeste. Il faut donc dépasser cette impression de débarquer dans une fête à la saucisse pour, sur la longueur, se sentir malgré tout embarqué dans cette odyssée un peu folle d’un cinéma ultra-populaire hollandais, ayant assumé pleinement son mauvais goût et ayant même fait de celui-ci sa pierre angulaire, voire son sujet. Le documentaire parvient assez bien à capter rétrospectivement quelque chose de cette vitalité et de cette insouciance qui mena in fine à la création d’une œuvre – noble ou pas, peu importe – dont les extraits montrés mettent paradoxalement l’eau à la bouche, le tout dans un esprit « sale gosse » de cinéphile fou en quête de curiosités déviantes.

Seobok de Yong-joo Lee

Thriller de science-fiction incroyablement classique, que l’on a l’impression d’avoir déjà vu des dizaines et des dizaines de fois, Seobok déterre qui plus est une vieille tarte à la crème SF : le clône humain. Propre et convenu, Seobok ne laisse aucune trace après vision.

Violation de Dusty Mancinelli et Madeleine Sims-Fewer

Déplaisant mélange entre un épate-bourgeois coup-de-poing et un film à thèse prétentieux sur le viol, fort de son sujet « choquant » et de son look arty, Violation est un bel attrape-gogos, qui commence plutôt bien avec des scènes contemplatives et quotidiennes bien filmées et bien jouées, mais qui pète littéralement un cable à mi-parcours, lorsqu’il doit choisir entre devenir un revenge-movie cra-cra ou un film indie-bobo, plagiant au détour l’Antichrist de Lars Von Trier.

Keeping Company de Josh Wallace

Dans cette comédie satirique au gros trait, la parodie lourdaude de Psychose côtoie une allégorie drolatique sur la société capitaliste et les abus de toutes sortes, notamment ceux des compagnies d’assurance. Avec ses personnages (volontairement) caricaturaux et ses acteurs (involontairement) insupportables, Keeping Company gâche un petit potentiel d’humour mordant et engagé, qui point par à-coups derrière un grand déballage hystérique et forcément misanthrope.

Hotel Poseidon de Stef Lernous ⭐⭐

Film flamand éminemment bizarroïde, à mi-chemin entre du sous-David Lynch et du théâtre provoc, Hotel Poseidon réserve une seconde partie pas inintéressante du tout, en forme de cauchemar éveillé. Il n’en reste malheureusement pas grand-chose une semaine après vision, si ce n’est l’impression d’avoir vu une tentative inégale mais notable de cinéma fantastique introspectif et foutraque, dans un flux de films interchangeables certes plus maîtrisés formellement mais nettement plus banals.

Le BIFFF s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (5)

Cinquième retour sur les films de ce BIFFF en ligne, désormais clôturé. Gros coup de cœur pour le film brésilien Carro Rei, peut-être le meilleur de cette édition.

The Barcelona Vampiress de Lluís Danés 🔴

Horrible film à thèse sur le mal, doublé d’un film à costumes terriblement pompier, mal joué – l’acteur principal est tout simplement épouvantable – et déguisé derrière un habillage formel – une scène en noir et blanc, une scène en couleur, une scène en noir et blanc… oh tiens, une robe rouge ! – qui pousse certains à crier au chef d’œuvre, The Barcelona Vampiress est la grosse boursouflure de ce festival. Quand on pense que ce navet a récolté une récompense de meilleur film en Catalogne….

Carro Rei de Renata Pinheiro ⭐⭐⭐⭐

Étonnant film brésilien, allégorie politique et poétique débutant presque « bêtement » par un concept qui pourrait donner matière à une comédie familiale – à savoir la connexion bien réelle, et factuelle, entre un enfant et une voiture –, Carro Rei développe tout un monde et une intrigue convoquant avec lyrisme et générosité à la fois le transhumanisme ou encore l’hypothèse d’une connexion spirituelle et/ou fétichiste entre les hommes et les objets, le tout sur fond de fable écolo-sociale. Dans cet univers allégorique où l’homme et la machine communiquent d’égal à égal, où le coffre d’une voiture peut ouvrir sur une grotte secrète, introspective et rétrospective un peu comme la matrice d’une vie humaine, et où la vie peut jaillir sous la forme de plantes rampantes du capot des voitures, tout est sujet à questionnement et à émerveillement, parfois aussi à réticence et à perplexité. Carro Rei est en tout cas sans conteste le film le plus riche, le plus original et le plus intriguant de ce BIFFF.

The Old Ways de Christopher Alender

Film de possession en huis-clos prenant ses bases scénaristiques et mythologique au Mexique, The Old Ways se regarde sans déplaisir mais utilise ses rebondissements attendus comme autant de passages obligés, de croix que l’on coche sur une liste « à faire », et dont il ne reste rien une semaine après vision, dont acte.

Superdeep d’Arseny Sukhin

Une sorte de mix entre les plus grands « hits » de la SF au cinéma – Alien, The Thing, etc. – mais transposé sous terre et en Russie, léché visuellement et particulièrement ennuyeux.

Vera de Verdad de Beniamino Catena ⭐⭐⭐

Vera, une adolescente italienne disparue brusquement, réapparaît deux ans plus tard sous les traits d’une femme adulte bien plus âgée. Parallèlement, au Chili, un homme d’âge mûr récemment réveillé d’un coma, est en quête de sens et semble en avoir trouvé quand il entend parler de la disparition de Vera. Difficilement lisible dans un premier temps – si l’on n’a pas lu de résumé du film a priori – cette histoire de vies parallèles, de réincarnation et de cosmogonie, si elle n’est pas exempte de maladresses et de lourdeurs – notamment dans l’interprétation et les dialogues de la partie italienne du film – propose une hétérogénéité bienvenue, dans le principe de base et dans la narration, que l’on n’a pas spécialement retrouvée dans la plupart des autres films de ce BIFFF, même réussis.

Post Mortem de Péter Bergendy

Extrêmement classique et bavard, ce film hongrois lorgnant sur Les Autres d’Amenabar et sur le genre gothique en général a semble t’il emporté l’adhésion de pas mal de festivaliers. Difficile pourtant de se passionner pour ce classicisme plat, cette lumière tamisée pour créer des ambiances, cette enfant souriante érigée en « sidekick » énervant du héros il est vrai d’une grande fadeur pris à part…. Il y a derrière ce film de spectres en temps de peste espagnole, une allégorie sur les fantômes du passé, à la fois évidente et peu lisible. Ce qui reste et ressort du film, c’est son dernier quart en forme de morceau de bravoure lors duquel – enfin ! – les fantômes se déchaînent et attaquent. Il y a donc au moins une petite demi-heure efficace dans ce film par ailleurs très pépère.

Le BIFFF 2021 s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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