Critique et analyse cinématographique

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (7)

Nous arrivons bientôt au bout de ce carnet de bord rétrospectif du BIFFF 2021. Dans cette sélection de six films, trois d’entre eux parlent du cinéma d’une manière ou d’une autre, par une mise en abyme, avec des personnages d’acteurs, ou encore à travers la salle et le bâtiment proprement dit. Mais parmi ces trois films, un seul parvient à donner une dimension un tant soit peu réflexive à son sujet : Slate, du coréen Jo Ba-reun.

Diva de Jo Seul-yeah

Thriller psychologique classique à base d’amnésie et de rivalité entre plongeuses de haut niveau. Tout est propre, convenu, attendu. D’un ennui profond.

The Weasels’Tale de Juan José Campanella

Dans sa présentation d’avant-film, Juan José Campanella convoquait la comédie classique et Billy Wilder pour parler de son film. De Sunset Boulevard, subsiste en effet la vieille actrice sur le retour s’ennuyant ferme dans une grande demeure avec d’anciens complices tout aussi vieux et sur le retour qu’elle. Au-delà de ça, l’intrigue et l’esthétique de ce téléfilm, ainsi que ses acteurs cabotins, rappelle plutôt les grandes heures d’Au théâtre ce soir que les références écrasantes invoquées par le réalisateur.

Slate de Jo Ba-reun ⭐⭐

Se rêvant depuis toute petite comme une héroïne, la jeune actrice Yeon-hee se retrouve projeté dans l’univers d’un film qu’elle n’a pas encore tourné, une réalité alternative où on la prend très vite pour la « Soul Slayer », une sorte d’élue censée ramener l’équilibre dans cette dystopie gouvernée par des forces démoniaques. Si le film, dans son déroulé et son esthétique, est tout ce qu’on en attend et donc pas forcément très passionnant à suivre, il renferme pourtant une grande idée – laquelle prend toute sa dimension dans sa scène finale – qui est que chaque film, chaque tournage, cache un monde bien à lui, indépendant, et dans lequel les personnages peuvent se désolidariser de leurs interprètes pour prendre leur indépendance. L’accès au monde parallèle par l’intermédiaire du clap (« slate ») vient d’ailleurs cristalliser cette idée.

L’Odyssée sanglante du lapin rose d’Arno Pluquet ⭐⭐

À la limite du regardable – vu en trois fois, pour ma part – ce curieux mix entre un film trash amateur, tendance Jean-Jacques Rousseau, et du faux auteurisme pompeux à base de monologues psycho-vaseux type « dans quel état j’ère », cette Odyssée sanglante du lapin rose – tourné en grande partie dans les murs du cinéma Styx à Bruxelles – renferme tout de même plus de vivacité et d’envie de faire du cinéma que bon nombre de films proprets de cette sélection du BIFFF. Il ne ressemble en tout cas à aucun autre film vu dans ce cadre, même si l’on pourrait arguer qu’il ne ressemble à rien, tout court.

Voice of Silence de Park Jung-hun ⭐⭐

Cette histoire supposément « mignonne » de l’amitié naissante entre une petite fille et son ravisseur, sur fond de kidnappings organisés en Corée du Sud, fait de belles promesses dans ses prémisses mais n’atteint bizarrement à aucune espèce d’émotion dans sa résolution et s’avère au final être passé à côté de toute une série de morceaux de bravoure qui semblaient pourtant assurés, sans non plus prendre une voie « alternative », en mode mineur ou décalé, qui lui aurait attribué une forme d’originalité.

A Divisao de Vicente Amorim 🔴

Apparemment adapté – ou monté à partir – d’une série, ce long film à l’esthétique pompière, dont la manière d’ériger la stature de l’homme fort porteur d’armes rappelle un certain cinéma fasciste et renvoie au funeste Tropa de Elite, film également brésilien dont il se situe dans la « droite » lignée, commet d’irréparables « coups d’éclats » esthétiques, comme ce plan en début de film sur des enfants morts ou encore ses interminables fusillades dans lesquelles les armes sont filmés comme des membres virils et les coups tirés comme des éjaculations. Profondément puant !

Le BIFFF s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (6)

Plus le BIFFF s’éloigne, plus il devient compliqué de tenir ce petit journal de bord maintenant rétrospectif, tant certains films s’estompent voire disparaissent de ma mémoire. Dans ce qu’il reste, quelques images de Hotel Poseidon et de Dick Maas Methode.

Aporia de Rec Revan 🔴

Dans la présentation du film sur son site, le BIFFF prend les devants et nie tout exotisme quant à la présence de ce film labélisé premier film de genre venu d’Azerbaïdjan. Malheureusement, je ne vois pas trop ce qui caractérise Aporia ou en fait l’originalité mis à part cette particularité de provenance. Survival classique, avec une touche de film de zombies pour dire, le film se traîne, accumule les clichés, et les performances approximatives, avant de se clore sans avoir vraiment commencé.

De Dick Maas Methode de Jeffrey De Vore ⭐⭐

Dès le début, certains propos des témoins, venant faire l’éloge de son vivant du réalisateur Dick Maas, peuvent faire bondir n’importe quel cinéphile d’obédience classique ou « cahiers », tant le mépris qui suinte pour le cinéma d’auteur est manifeste. Il faut donc dépasser cette impression de débarquer dans une fête à la saucisse pour, sur la longueur, se sentir malgré tout embarqué dans cette odyssée un peu folle d’un cinéma ultra-populaire hollandais, ayant assumé pleinement son mauvais goût et ayant même fait de celui-ci sa pierre angulaire, voire son sujet. Le documentaire parvient assez bien à capter rétrospectivement quelque chose de cette vitalité et de cette insouciance qui mena in fine à la création d’une œuvre – noble ou pas, peu importe – dont les extraits montrés mettent paradoxalement l’eau à la bouche, le tout dans un esprit « sale gosse » de cinéphile fou en quête de curiosités déviantes.

Seobok de Yong-joo Lee

Thriller de science-fiction incroyablement classique, que l’on a l’impression d’avoir déjà vu des dizaines et des dizaines de fois, Seobok déterre qui plus est une vieille tarte à la crème SF : le clône humain. Propre et convenu, Seobok ne laisse aucune trace après vision.

Violation de Dusty Mancinelli et Madeleine Sims-Fewer

Déplaisant mélange entre un épate-bourgeois coup-de-poing et un film à thèse prétentieux sur le viol, fort de son sujet « choquant » et de son look arty, Violation est un bel attrape-gogos, qui commence plutôt bien avec des scènes contemplatives et quotidiennes bien filmées et bien jouées, mais qui pète littéralement un cable à mi-parcours, lorsqu’il doit choisir entre devenir un revenge-movie cra-cra ou un film indie-bobo, plagiant au détour l’Antichrist de Lars Von Trier.

Keeping Company de Josh Wallace

Dans cette comédie satirique au gros trait, la parodie lourdaude de Psychose côtoie une allégorie drolatique sur la société capitaliste et les abus de toutes sortes, notamment ceux des compagnies d’assurance. Avec ses personnages (volontairement) caricaturaux et ses acteurs (involontairement) insupportables, Keeping Company gâche un petit potentiel d’humour mordant et engagé, qui point par à-coups derrière un grand déballage hystérique et forcément misanthrope.

Hotel Poseidon de Stef Lernous ⭐⭐

Film flamand éminemment bizarroïde, à mi-chemin entre du sous-David Lynch et du théâtre provoc, Hotel Poseidon réserve une seconde partie pas inintéressante du tout, en forme de cauchemar éveillé. Il n’en reste malheureusement pas grand-chose une semaine après vision, si ce n’est l’impression d’avoir vu une tentative inégale mais notable de cinéma fantastique introspectif et foutraque, dans un flux de films interchangeables certes plus maîtrisés formellement mais nettement plus banals.

Le BIFFF s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (5)

Cinquième retour sur les films de ce BIFFF en ligne, désormais clôturé. Gros coup de cœur pour le film brésilien Carro Rei, peut-être le meilleur de cette édition.

The Barcelona Vampiress de Lluís Danés 🔴

Horrible film à thèse sur le mal, doublé d’un film à costumes terriblement pompier, mal joué – l’acteur principal est tout simplement épouvantable – et déguisé derrière un habillage formel – une scène en noir et blanc, une scène en couleur, une scène en noir et blanc… oh tiens, une robe rouge ! – qui pousse certains à crier au chef d’œuvre, The Barcelona Vampiress est la grosse boursouflure de ce festival. Quand on pense que ce navet a récolté une récompense de meilleur film en Catalogne….

Carro Rei de Renata Pinheiro ⭐⭐⭐⭐

Étonnant film brésilien, allégorie politique et poétique débutant presque « bêtement » par un concept qui pourrait donner matière à une comédie familiale – à savoir la connexion bien réelle, et factuelle, entre un enfant et une voiture –, Carro Rei développe tout un monde et une intrigue convoquant avec lyrisme et générosité à la fois le transhumanisme ou encore l’hypothèse d’une connexion spirituelle et/ou fétichiste entre les hommes et les objets, le tout sur fond de fable écolo-sociale. Dans cet univers allégorique où l’homme et la machine communiquent d’égal à égal, où le coffre d’une voiture peut ouvrir sur une grotte secrète, introspective et rétrospective un peu comme la matrice d’une vie humaine, et où la vie peut jaillir sous la forme de plantes rampantes du capot des voitures, tout est sujet à questionnement et à émerveillement, parfois aussi à réticence et à perplexité. Carro Rei est en tout cas sans conteste le film le plus riche, le plus original et le plus intriguant de ce BIFFF.

The Old Ways de Christopher Alender

Film de possession en huis-clos prenant ses bases scénaristiques et mythologique au Mexique, The Old Ways se regarde sans déplaisir mais utilise ses rebondissements attendus comme autant de passages obligés, de croix que l’on coche sur une liste « à faire », et dont il ne reste rien une semaine après vision, dont acte.

Superdeep d’Arseny Sukhin

Une sorte de mix entre les plus grands « hits » de la SF au cinéma – Alien, The Thing, etc. – mais transposé sous terre et en Russie, léché visuellement et particulièrement ennuyeux.

Vera de Verdad de Beniamino Catena ⭐⭐⭐

Vera, une adolescente italienne disparue brusquement, réapparaît deux ans plus tard sous les traits d’une femme adulte bien plus âgée. Parallèlement, au Chili, un homme d’âge mûr récemment réveillé d’un coma, est en quête de sens et semble en avoir trouvé quand il entend parler de la disparition de Vera. Difficilement lisible dans un premier temps – si l’on n’a pas lu de résumé du film a priori – cette histoire de vies parallèles, de réincarnation et de cosmogonie, si elle n’est pas exempte de maladresses et de lourdeurs – notamment dans l’interprétation et les dialogues de la partie italienne du film – propose une hétérogénéité bienvenue, dans le principe de base et dans la narration, que l’on n’a pas spécialement retrouvée dans la plupart des autres films de ce BIFFF, même réussis.

Post Mortem de Péter Bergendy

Extrêmement classique et bavard, ce film hongrois lorgnant sur Les Autres d’Amenabar et sur le genre gothique en général a semble t’il emporté l’adhésion de pas mal de festivaliers. Difficile pourtant de se passionner pour ce classicisme plat, cette lumière tamisée pour créer des ambiances, cette enfant souriante érigée en « sidekick » énervant du héros il est vrai d’une grande fadeur pris à part…. Il y a derrière ce film de spectres en temps de peste espagnole, une allégorie sur les fantômes du passé, à la fois évidente et peu lisible. Ce qui reste et ressort du film, c’est son dernier quart en forme de morceau de bravoure lors duquel – enfin ! – les fantômes se déchaînent et attaquent. Il y a donc au moins une petite demi-heure efficace dans ce film par ailleurs très pépère.

Le BIFFF 2021 s’est tenu en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (4)

Le BIFFF touche déjà à sa fin et mes carnets de bord sont à la bourre…. Vus plus ou moins à mis parcours, ces six films n’auront que peu marqué mon festival, si ce n’est l’intérêt documentaire de Hail Satan ? ou l’aspect intriguant de Lucky.

Shadows de Glenn Chan

Misant tout sur son pitch vendeur – une psy pouvant lire dans l’esprit de ses patients – mais surtout sur la confrontation entre le bien et le mal, personnifiés respectivement par l’héroïne et son ennemi juré, un autre psy dont la barbichette atteste qu’il n’est pas très gentil, Shadows déroule son intrigue assez prenante avec toute l’efficacité nécessaire, mais veut embrasser trop de sous-intrigues à la fois, et finit paradoxalement par laisser un goût de trop peu, après tant d’efforts pour justement remplir la coupe à ras-bord. Ce qu’il en reste n’est que le souvenir d’un film agréable à regarder, jamais ennuyeux, mais profondément superficiel.

Anything for Jackson de Justin G. Dyck

Quasi huis-clos au départ vaguement original – un couple de vieux séquestrent une femme enceinte pour faire renaitre leur petit fils décédé par un rituel satanique – Anything for Jackson mise ensuite principalement sur le physique inquiétant de ses protagonistes et sur ses situations à la limite du loufoque. Pur film d’ambiance qui dégénère tout de même allègrement dans le grand-guignolesque lors de son final, Anything for Jackson laisse en tête quelques images, mais pas grand-chose de bien consistant.

Hail Satan ? de Penny Lane ⭐⭐

Très instructif, ce documentaire édifiant présente un groupe « religieux » se revendiquant sataniste (The Satanic Temple) mais charriant en réalité des actions visant à prôner la laïcité dans l’Amérique puritaine et profonde, qui se radicalise de plus en plus en se réfugiant dans un christianisme sectaire et idéologiquement dangereux. En suivant certains membres de ce groupe d’influence dans leurs combats politiques, le film se constitue plus en tant que document, que témoignage, assez précieux sur les Etats-Unis à un instant t que comme un grand film de cinéma utilisant véritablement son médium en termes esthétiques, ce qui n’est pas le cas.

Méandre de Mathieu Turi

Assez beau visuellement, notamment dans son utilisation des lumières de différentes couleurs et dans sa manière de filmer les méandres du titre, ses tunnels étroits que parcourt à longueur de temps l’héroïne prisonnière, Méandre n’en est pas moins un exercice de style un peu vain, un court étiré en long, réminiscent de beaucoup de films de SF claustrophobique du même acabit – dans la lignée de Cube – et surtout plombé par un psychologisme lourdingue à base de traumatisme fondateur, et patati et patata.

Lucky de Natasha Kermani ⭐⭐

Commençant comme un slasher bizarroïde avec une touche de surréalisme, Lucky déroule son scénario en forme d’énigme dans lequel une femme se retrouve tous les jours harcelée par le même tueur masqué, qu’elle a beau tuer à chaque coup mais qui n’en revient pas moins le lendemain. Dans sa dernière partie, le film dévoile ses cartes et surtout son allégorie sur les violences faites aux femmes, de manière assez appuyée voir lourdingue, gâchant quelque peu le plaisir du mystère qu’entretenait la première partie. N’en reste pas moins un film curieux, intriguant, mais très imparfait.

Bring Me Home de Kim Seung-woo

Film « coup-de-poing » profondément misanthrope dans lequel tous les personnages sont soit mauvais soit cons soit les deux à la fois, Bring Me Home remporte apparemment tous les suffrages des « bifffeurs » en ligne, toujours en quête du dernier polar corréen désespéré. Mais Kim Seung-woo n’est pas Bong Joon-ho, ni même Na Hong-jin, c’est juste un petit malin fort habile pour exhiber sa maîtrise et forcer une noirceur d’apparat, proche de l’épate-bourgeois.

Le BIFFF se tient en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (3)

Troisième vague de six films, toujours évoqués dans l’ordre de vision, avec encore une fois un vrai coup de cœur (Beyond the Infinite Two Minutes) ainsi que deux autres films intéressants (Possessor et Sound of Violence) qui surnagent.

Sound of Violence d’Alex Noyer ⭐⭐

Atteinte de surdité lors de son enfance, Alexis a découvert assez tôt qu’elle pouvait retrouver l’ouïe en s’adonnant à la violence, lors d’un drame familial fondateur. Plusieurs années plus tard, Alexis est étudiante en musique et compose d’étranges symphonies à base de cris de terreurs et de bruits de chair ou d’os broyés, sons qu’elle récolte lors de meurtres assez sanglants. Contrairement à certains films de ce BIFFF qui tentent de se faire plus cons qu’ils ne sont (par exemple, Cyst), Sound of Violence utilise une base et des rebondissements dignes d’une série Z nanardesque mais traite son sujet de manière très sérieuse, ou pour tout le moins au premier degré. Ce qu’il en ressort est un film assez curieux et hypnotique, flottant dans cet entre-deux et traversé de fulgurances visuelles, comme ces flashs accompagnant les fameux « sons de la violence », ou encore un final « hallucinant » dans lequel un corps humain devient au sens littéral une source sonore et musicale.

Possessor de Brandon Cronenberg ⭐⭐

Deuxième long métrage de Brandon Cronenberg (fils de David, donc), Possessor est une nouvelle occasion de se rendre compte que – une fois n’est pas coutume dans ce type de configuration – le fils est clairement influencé artistiquement par le père et chasse plus ou moins sur les mêmes terres que lui. Racontée à la fois simplement et de manière à constamment cultiver l’interrogation et le mystère, cette histoire de tueuse à gage parasitant le corps d’autrui pour commettre son méfait et remplir son contrat est surtout le prétexte pour Brandon Cronenberg à un bel étalage de savoir-faire esthétique. Film de pur formalisme, effectivement très beau à regarder, et souvent hypnotisant, Possessor n’en a pas moins les atours d’une jolie coquille vide, presque aussi dévitalisée et froide que sa protagoniste, en fin de parcours.

Ropes de José Luis Montesinos

Énième huis-clos et pas le dernier de ce BIFFF, Ropes met en scène un classique du genre, une personne handicapée, en fauteuil, aux prises avec une entité malveillante – ici un chien enragé – dans une demeure déserte et sans voisins. Le cahier des charges est plus ou moins rempli mais considérablement alourdi par un psychologisme éreintant et des « astuces » scénaristiques qui font lever les yeux au ciel. Hantée par sa mauvaise conscience, l’héroïne parle avec l’apparition de sa sœur décédée dont elle pense avoir causé la mort, ce qui permet forcément d’amener du dialogue là où il ne devrait pas y en avoir. Plus le film avance, plus il sombre dans l’emphase à la limite du ridicule.

Honeydew de Devereux Milburn

Si ce petit « survival » crapoteux permet d’abord d’admirer la progéniture de Steven Spielberg en la personne de son fils Sawyer – qui interprète ici le rôle principal – et de se rendre compte par la même occasion que le talent n’est pas forcément héréditaire, il parvient aussi tant bien que mal à installer une petite ambiance malaisante dans un cadre propice : une ancienne ferme décrépite toujours habitée par ses vieux propriétaires dégénérés et aux tendances cannibales. Le film est très lent et la partie survival ne commence en réalité que dans sa dernière partie – voire ne commence jamais – mais laisse en tête quelques images inquiétantes, à défaut d’un réel enthousiasme ou de la moindre émotion quelle qu’elle soit.

Beyond the Infinite Two Minutes de Junta Yamaguchi ⭐⭐⭐

Comme pour Host de Rob Savage, c’est de la contrainte induite par son concept que Beyond the Infinite Two Minutes tire son originalité esthétique et ses plus belles idées. Avec son paradoxe temporel unique – deux écrans reliés avec deux minutes de décalage donnant aux personnages la possibilité de voir leur futur (très) proche –, cette comédie met sur pied un rythme et un type de narration jamais ou rarement vus, dans lesquels le bégaiement et la répétition constituent le cœur même de l’action. Filmé en faux plan-séquence, Beyond the Infinite Two Minutes arrive miraculeusement à rendre fluide et linéaire cet effet de va-et-vient scénaristique, créant – dans cette petite capsule spatio-temporelle confinée et réduite à une heure – un microcosme synthétique, une sorte de miniature SF à l’échelle de l’humain et du trivial, à la fois d’une grande modestie et véritablement ambitieuse.

The Closet de Kim Kwang-bin

Intriguant de prime abord, ce thriller fantastique coréen excelle dans un premier temps à créer des ambiances, à placer ses pions et son histoire d’enfant possédé, doublé d’un thriller de disparition à l’encrage plus réaliste, mais déçoit assez vite en cédant aux facilités et au grand-guignolesque, avec spécialiste du paranormal et transe cauchemardesque à la clé. Le climax du film est en cela particulièrement pénible, pompier et interminable.

Le BIFFF se tient en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (2)

Le BIFFF continue en ligne et le seul moyen de se rendre compte de la manière dont sont accueillis les films est de faire un tour sur les réseaux sociaux. Là, on peut y voir que les emballements sont à peu près les même que lors des éditions normales : les comédies horrifiques et les films « à concept » remportent en général le plus de suffrage…. Pour ma part, c’est également un film à concept qui aura retenu mon attention dans ce nouvel échantillon de six films : ni plus ni moins que le premier film réalisé sur Zoom.

Host de Rob Savage ⭐⭐⭐

Mis en valeur comme étant le premier film entièrement réalisé sur Zoom, Host tire de sa forme particulière le meilleur parti possible, de plusieurs manières : d’abord, sur un plan purement esthétique, de mise en scène et de montage, le film parvient à utiliser pleinement son médium comme vecteur de sens et d’horreur, notamment à travers le recours à des filtres pour créer de véritables effets de terreur ; ensuite, dans le caractère « méta » et immersif que produit le film sur son audience, parvenant grâce à ce recours « contraint » à Zoom à créer quelque chose de neuf dans un film de possession, à savoir l’illusion pour le spectateur d’assister – voire de participer – en temps réel à une séance d’invocation des esprits. En cela, Host dépasse le cadre de l’exercice de style efficace mais vain auxquels les détracteurs systématiques du « found footage » voudront assurément le cantonner.

Alien on Stage de Lucy Harvey et Danielle Kummer

Très survendu, ce documentaire au titre alléchant suit une troupe de théâtre amateur composée de chauffeurs de bus ayant eu l’idée saugrenue d’adapter sur scène, pour leur petite œuvre de charité, ni plus ni moins que le Alien de Ridley Scott. Ils y arrivent tant bien que mal à force de persévérance et d’abnégation…. Alien on Stage est exactement le type de film dont il est compliqué de dire du mal, et par déformation (professionnelle ou non) beaucoup semblent se sentir obligés d’en dire du bien…. Disons tout de même que ce documentaire pose quelques questions éthiques quant à sa fabrication et, plus particulièrement, à la manière dont a été « monté » son climax, à savoir la représentation des modestes chauffeurs de bus au Leicester Square Theatre à Londres devant une foule bien trop acquise à leur cause. Quand on comprend à demi-mot – mais ce n’est jamais honnêtement dit – que l’une des deux réalisatrices a grandement œuvré pour cette « mise en valeur », le mot « instrumentalisation » vient subrepticement en tête. Ce fameux climax risque d’ailleurs d’agir à rebrousse-poil de l’effet « épiphanie » qu’il semble vouloir atteindre, puisque la pièce apparaît comme ce qu’elle est probablement : un spectacle de fin d’année, assez mal joué et dont on ne sait trop s’il est volontairement drôle ou pas, quand bien même les rires exagérés de la salle en délire et les éloges du public bobo-londonien en guise d’apothéose attesteraient du génie de cette création.

Cyst de Tyler Russell

Faux nanar esthétiquement assez léché mais délibérément laid dans ses effets, Cyst semble vouloir concourir au concours du film le plus con de l’histoire de l’humanité, avec son pitch « unique » : un kyste géant qui tue, il fallait y penser…. Ces tentatives de séries Z auto-conscientes, dont le but est de « réussir » un mauvais film, sont toujours ambigües, à la fois agaçantes par leur cynisme affiché et impressionnantes par leur débilité jusqu’auboutiste.

Vicious Fun de Cody Calahan

Après Bloody Hell, voici l’autre comédie gentiment horrifique de ce BIFFF, reposant ici sur un concept un peu plus original – quoique – : un sympathique loser se retrouve malgré lui à participer à une réunion nocturne de serials killers anonymes dans un bar après fermeture. Après les premiers quiproquos laborieux, le film dégénère vite en jeu de massacre et en course-poursuite assez banals, que le casting sans grand charisme et un humour tombant souvent à plat ne rehaussent pas vraiment.

Signal 100 de Lisa Takeba ⭐⭐

Adapté d’un manga, Signal 100 est ce qui semble désormais s’appeler « un Battle Royal », à savoir une sorte de plagiat assumé du manga et du film du même nom dans lequel une classe de lycéens luttent pour la survie en devant respecter un certain nombre de règles et/ou éviter des pièges. Ici, de règles, il y en a 100 comme le titre l’indique, 100 choses à ne pas faire pour des lycéens sous l’effet d’une hypnose collective les poussant au suicide en cas de manquement à ces fameuses règles. Évidemment, c’est bien foutu, efficace, ludique, jouissif par moments, légèrement gore, attendu, sans temps morts, insignifiant, sympathique, vite consommé et potentiellement vite oublié.

Son de Ivan Kavanagh

Avec son héroïne dont on ne sait si elle est folle ou pas, sa secte mystérieuse, son enfant démoniaque et son « twist » final convenu, Son semble être un condensé voire un pastiche du parfait petit film de genre s’il fallait expliquer au néophyte ce qu’est un film de genre, avec en prime un peu de cannibalisme…. Voilà un beau film de comptable, qui coche bien toutes les cases, de manière roublarde et non sans brio esthétique, mais désespérément attendu et sans originalité.

Le BIFFF se tient en ligne du 6 au 18 avril 2021

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BIFFF 2021 – Carnet de bord (1)

Après une année de relâche forcée, le BIFFF nous revient enfin, forcément en version « online ». Ne changeons donc pas les bonnes habitudes et reprenons-les là où nous les avions laissées : il est temps d’enchaîner les projec… euh, les streamings, et de chercher les pépites parmi une bonne quarantaine de productions pré et post-covid proposées par les gentils programmateurs. Cette année, pas de cote sur 10 mais plutôt un système d’étoiles (ou de bulle rouge, en cas de navet). Pour chaque publication, les films seront évoqués dans l’ordre où ils auront été vu par votre serviteur.

Caveat de Damian McCarthy 🔴

Sur l’affiche du film et dans les phrases d’accroche utilisées par le festival pour mettre en avant Caveat, l’accent est mis sur cette peluche décrépite figurant un lapin-tambour, lequel est censé faire atrocement peur…. Jugez vous-même d’après photo, mais autant vous dire que le lapin Frank de Donnie Darko est à mon humble avis bien plus flippant que ce pauvre doudou mal conservé. D’autant plus que ce lapinou est en réalité un élément presque anecdotique et à la signification plus que floue dans ce qui n’est au final qu’un huis-clos psychologique d’ambiance, assez mal fagoté et répétitif. Exercice de style vain et terriblement ennuyeux, Caveat est par ailleurs le premier film « de confinement » détecté par mes soins dans cette sélection qui en sera à mon humble avis très riche.

La Stanza de Stefano Lodovichi ⭐⭐

Autre film confiné, La Stanza a presque des allures de théâtre filmé, avec son huis-clos strict dans une maison d’hôte désertée et ses trois personnages. Alors que son mari vient de les abandonner elle et son fils, Stella s’apprête à se suicider lorsqu’un invité inattendu, Giulio, sonne à la porte. Animé par des motivations initialement floues, l’étrange locataire finit par séquestrer Stella et son mari volage Sandro avant de leur révéler son identité et la raison de sa rancune à leur égard. La Stanza est un film à révélation qui bascule assez vite dans le fantastique, lequel basculement permet au film de passer de « théâtre filmé » à quelque chose de plus allégorique et atypique. Sans réellement quitter le domaine de l’exercice de style et en cédant à plusieurs reprises aux sirènes de l’hystérie, le film n’est pas dénué d’un certain charme principalement dû à son « twist » fantastique.

Psycho Goreman de Steven Kostanski ⭐⭐⭐

Curieux mais jouissif mélange entre une série Z gore et un hommage distancié aux productions Amblin, le tout agrémenté d’un esprit légèrement subversif et punk, Psycho Goreman surprend par son ton totalement décomplexé et son esthétique à la limite entre le kitsch et la laideur assumée. Le film est en outre « dominé » par une jeune actrice hors-norme (Nita-Josee Hanna), tour à tour désopilante ou insupportable, mais qui imprime sans aucun doute sa personnalité dans ce film diablement sympathique.

Extro de Naoki Murahashi ⭐⭐⭐

« Mockumentaire » sur les figurants de cinéma, Extro se divise en deux parties finalement assez distinctes : la première suivant l’un de ces « héros de l’ombre », Haginoya dont l’envie de bien-faire est parfois à deux doigts de ruiner les prises sur un tournage ; la seconde se concentrant sur un ressort comique plus classique, le duo de flics maladroits faisant capoter une mission sous couverture, la couverture étant en l’occurrence celle de figurants sur un plateau de tournage. Le film referme quelques morceaux de bravoure comiques qui se savourent en tant que tels, mais c’est surtout dans son épiphanie finale, due – cinéma bis japonais oblige – à un « kaiju », qu’il touche à une dimension toute autre et procure in fine et contre toute attente une véritable émotion cinéphile.

Bloody Hell d’Alister Grierson

Comédie (gentiment) horrifique à base de famille de dingos assoiffés de sang ayant jeté leur dévolu sur la mauvaise victime, Bloody Hell aurait probablement très bien fonctionné en salles, dans l’ambiance bifffesque, et se laisse regarder avec un petit intérêt poli tout en ayant le mérite de ne pas ennuyer. Bénéficiant d’une mise en scène et d’un montage passe-partout, misant tout sur l’efficacité et la rapidité – avec en prime quelques allers-retours scénaristiques assez roublards, le film a tout de la pochade anecdotique, vue sans déplaisir mais très vite oubliée – au point qu’il est actuellement déjà compliqué à l’auteur de ces lignes d’en parler, tant le souvenir s’estompe de plus en plus.

The Shift d’Alessandro Tonda 🔴

Film « coup-de-poing » annoncé comme tel de ce BIFFF, The Shift est une coproduction mettant en scène un attentat kamikaze à Bruxelles mais tournée en partie à Liège par un réalisateur italien et avec dans le rôle principal une actrice française (Kamoulox !). Blague à part, le choc annoncé s’avère être un gros pétard mouillé, un téléfilm « rtbf-esque » digne des meilleures « fulgurances » de mise en scène de La Trêve ou d’Ennemi public. Dans un autre contexte et si le cœur y était, cette tentative de rendre « efficace » un film sur un attentat terroriste pourrait me mettre en colère, mais même pas…. The Shift est juste une petite daube insignifiante qui refoule légèrement.

Le BIFFF se tient en ligne du 6 au 18 avril 2021

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FILM FEST GENT 2020 – « There is No Evil » de Mohammad Rasoulof

Ours d’or à la dernière Berlinale, There is No Evil était présenté hors compétition à Gand. Inégal et démonstratif, il représente à lui seul le triomphe des films à sujets dans les festivals, même s’il présente également certaines qualités ponctuelles.

J’entendais récemment dans un podcast François Bégaudeau – notamment scénariste et acteur de la Palme d’Or Entre les Murs – dire la chose suivante : « Quand on reçoit une palme d’or des mains d’un type qu’on trouve très con, on se dit qu’on doit avoir fait un très mauvais film, ce qui est d’ailleurs peut-être le cas. ». On se souvient que la palme en question avait été attribué à l’unanimité par un jury présidé par Sean Penn. Et cette réflexion de Bégaudeau résonne en moi en parallèle à ma réflexion sur un film vu à Gand mais couronné en début d’année par ni plus ni moins que l’Ours d’Or à Berlin. Le prix lui avait effectivement été remis par un jury dont on peut rétrospectivement se poser des questions sur les membres et leurs goûts cinématographiques – présidé par un acteur, Jeremy Irons, et composé d’autres acteurs pour le moins inégaux, Béjo et Marinelli, de cinéastes médiocres, Jacir et Lonnergan, d’une productrice et tout de même d’un réalisateur intéressant, à savoir Kleber Mendonça Filho.

À la vision du film, je me disais que le film avait à la fois les attributs d’un film à prix – de par son sujet et son aspect programmatique – mais arborait également une construction typique d’un genre de film qui en reçoit généralement peu : le film à sketches. Si qualifier de sketches les quatre parties formant les deux heures et demi de There is No Evil est un peu fallacieux, ces parties n’en restent pas moins distinctes – un peu comme quatre courts métrages mis bout à bout – et ne se relient véritablement que par un seul fil conducteur, à savoir son sujet : les exécutions sommaires de prisonniers politiques en Iran. Plus précisément encore, le film questionne – comme le dit bien son titre – sur les notions de bien et de mal en rapport avec cette problématique, montrant des exécuteurs à visage humains, ou au contraire des soldats ayant refusé d’obéir aux ordres et devant dès lors fuir pour éviter d’être à leur tour exécutés. Bien évidemment, les quatre parties se répondent entre elles, la seconde et la dernière semblant aussi être liées plus intimement, même si rien ne permet de l’affirmer pleinement.

Le film déroute car il s’agit pleinement d’un film à sujet, qui assume celui-ci et le traite parfois assez lourdement, mais également d’un film formaliste et expérimentant pour le coup une forme peu employée traditionnellement par lesdits films à sujets. Il déroute parfois aussi par les chemins que prennent certaines de ses parties – notamment la deuxième, qui s’aventure carrément dans le domaine de l’action et du suspense. Pourtant, There is No Evil ne manque pas de tomber dans les travers du film à thèse, voire du film coup-de-poing, aux moments les plus déterminants. La fin en forme de claque de la première partie – qui pour le coup est en soi un court métrage à part entière, avec sa « chute », son twist final qui a dû bien agir comme l’électrochoc et l’attrape-jurys qu’il est – en est un exemple, tout comme cette manie de retarder à tout bout de champs des révélations que l’on devine cruciales, à la manière d’un mauvais soap-opera.

Il y a aussi beaucoup de symboles dans ce film, forcément. L’un deux est incarné par un renard, à la fin du dernier épisode : il en est d’abord question dans un dialogue, déjà très explicite ; puis il apparaît une première fois, comme un clin d’œil à ce dialogue, avant d’apparaître une seconde fois lors d’une fin « anti-climatique », plus « poétique ». Pourquoi dire une chose clairement une seule fois quand on peut enfoncer le clou de manière répétée et appuyée ? C’est un peu la grande question soulevée par un film traitant le même sujet quatre fois plutôt qu’une. Cet aspect de long film démonstratif, mettant bien les points sur les i, a donc hypnotisé le jury de la Berlinale. Ce n’en est pas un « très mauvais film » pour autant, juste une œuvre forcément inégale par sa construction, parfois réellement surprenante, et parfois réellement lourde.

Thibaut Grégoire

Le Festival de Gand s’est tenu du 13 au 24 octobre 2020

Plus d’infos sur le site du festival


Bilan critique du 35ème FIFF de Namur

Attendu comme le messie et accompagné de tout un lexique salvateur du courage et de la persévérance, le 35ème FIFF (Festival International du Film Francophone de Namur) a bien eu lieu, évidemment dans des conditions particulières. Puisque la sélection de cette édition singulière a été saluée, notamment par le jury officiel, cela nous donne le champ libre pour en relativiser la qualité et la pertinence, quand bien même elle intervient donc dans un contexte qui restreint l’échantillon de films à la disposition des programmateurs. Si cette sélection nous paraissait peu excitante a priori mais que nous étions prêt à l’explorer sans trop de préjugés et faire des découvertes, force est de constater que nos craintes étaient plus que fondées et que l’écart de qualité avec des éditions précédentes du festival ne peut pas être entièrement justifié par la crise globale – et, dans ce cas-ci, culturelle – liée au covid.

I. Le palmarès du 35ème FIFF de Namur

Palmarès :

Bayard d’Or du Meilleur film : Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï.
Bayard spécial du Jury : Josep d’Aurel.
Bayard du Meilleur scénario : Antoaneta Opris & Alexander Nanau pour Collectiv.
Bayard de la Meilleure photographie : Yann Maritaud pour Slalom.
Bayard de la Meilleure interprétation : Virginie Efira dans Adieu les cons.
Prix Agnès : Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï.
Deux Mentions spéciales : La Nuit des Rois de Philippe Lacôte et Si le vent tombe de Nora Martirosyan.

Thibaut Grégoire : Comme la remise des prix était retransmise en direct « online », cela me permet de donner à la fois mon avis sur le palmarès mais également sur le déroulement de cette cérémonie. Celle-ci a commencé en beauté avec le prix BeTv – traduction, prix du film populaire et populo – remis à l’épouvantable Un Triomphe, sorte d’ersatz théatro-carcéral du Grand bain, avec un Kad Merad mauvais comme un cochon. Que dire ensuite du prix du public remis au film d’Albert Dupontel. Adieu les cons, c’est plus ou moins ce que j’aurais envie de dire aux spectateurs qui ont voté pour ce film et à un jury qui a apparemment unanimement aimé ce film réac et visuellement hideux. Concernant le palmarès en tant que tel – donc les prix remis par le jury de la compétition officielle –, on se retrouve devant une configuration à la fois consensuelle et tout de même bizarroïde. Ce jury « généreux » a voulu apparemment citer tous les films qu’il a aimé, en donnant notamment deux mentions spéciales, mais a par ailleurs donné deux prix à un film discutable tout en en oubliant un autre, qui me semble être le seul vrai bon film de la sélection. On me rétorquera que les goûts et les couleurs…. Mais ce qui m’a le plus agacé, ce sont les mots choisis pour justifier ces choix et l’autocongratulation qui a suivi. Quand Benchetrit a parlé d’un Bayard d’or remis à l’unanimité à un film d’une pudeur incroyable, je pensais que la victoire était acquise à Heidi en Chine de François Yang, mais ce curieux jury a décidé de remettre son prix de la pudeur à un film qui en a peu. Dans Petit Samedi, Paloma Sermon-Daï fait peut-être preuve d’une certaine pudeur quand elle filme son frère toxicomane lors de ses confessions à sa psychothérapeute, mais n’en a pratiquement aucune quand elle filme sa mère seule, la tournant même carrément au ridicule quand celle-ci fantasme une discussion avec l’animateur d’une radio catholique, ou quand elle insulte une bande de jeunes qui se moque légèrement d’elle. Deux prix pour ce très petit film, c’est en tout cas largement surpayé. D’autant plus quand on sait que l’autre prix reçu est censé récompenser un film qui valorise l’égalité homme-femme, remis ici à un film dont le personnage féminin n’est décrit et montré qu’en tant que mère. À côté de cette double aberration, le jury a également remis un prix du scénario à un autre film documentaire… à la rigueur pourquoi pas, mais ça ne fait que souligner l’aspect surécrit et quasiment hollywoodien du film-dossier Collective. Puis il y a aussi le prix spécial qui devrait probablement récompenser un film audacieux et qui se transforme en prix de la consensualité en revenant au gentil Josep. Après cette remise de prix des plus douteuses, Benchetrit s’est permis de s’autocongratuler, lui et son jury, et a même proposé de manière badine qu’on leur remette un prix du palmarès, tellement celui-ci est fabuleux. À ce degré d’autosatisfaction et de ridicule, il n’y a probablement plus rien à dire et je m’arrête donc là.

Guillaume Richard : Petit Samedi est un film franchement faible (voir la notule ci-dessous) et largement inférieur à un autre documentaire de la compétition, Heidi en Chine, qui est un des rares films qui nous a stimulé dans cette sélection elle aussi faible. Certains se féliciteront peut-être du fait que ce soit une namuroise qui ait gagné le Bayard (et sans doute aussi, bêtise ambiante oblige, parce que c’est une femme) mais il ne faut pas pousser bobonne non plus. Je suis resté de marbre devant Josep, je n’ai donc rien à en dire. Remettre le prix du scénario à un documentaire est toujours compliqué bien qu’il y ait évidemment toujours une forme d’écriture. C’est ici l’efficacité, presque américaine, de Collectiv qui semble être récompensée, car il y a des moments dans le film qui doivent moins à l’écriture qu’au montage et au principe de révélation propre au documentaire. N’est-il pas dommage de remettre le prix d’interprétation à Virginie Efira et à un film qui n’en a pas besoin ? Enfin, le prix Agnès d’une valeur de 5.000 €, décerné « à l’auteur dont l’œuvre témoigne d’un regard original et novateur sur l’égalité homme-femme et d’un imaginaire égalitaire« , autrement dit un prix dont la consistance et la finalité sont discutables, revient là encore à Petit Samedi sans qu’on sache exactement pourquoi au regard d’autres films de la compétition qui semblent bien plus égalitaires à ce niveau là. Bref, ce palmarès n’a ni queue ni tête.

II. La compétition officielle du 35ème FIFF de Namur

-> 1982 de Oualid Mouaness – Fiction – Liban – avec Nadine Labaki, Mohamad Dalli, Rodrigue Sleiman

Thibaut Grégoire : Le début de la guerre du Liban vue par le prisme de l’enfance et d’une classe de primaire devant être évacuée au moment des premiers bombardements. Le film est gentillet, les scènes avec les enfants sont plutôt réussies tandis que celles entre adultes sont innommables, gâchées par des dialogues de soap-opera et par un jeu du même acabit – mention à Nadine Labaki. 1982 est lisse et ennuyeux, mais probablement sauvé du naufrage complet par ses plus jeunes personnages et par un final qui embrasse complètement leur point de vue, notamment par le recours au dessin et la référence au manga.

Guillaume Richard : Rien à signaler dans ce téléfilm laborieux où Nadine Labaki réussit encore à surjouer les émotions les plus intimes. Oualid Mouaness cherche néanmoins par moments à filmer à hauteur d’enfants, notamment lorsque Beyrouth et les attaques militaires sont vues à travers l’imagination d’un jeune garçon incarné par Mohamad Dalli. Cela donne lieu à quelques plans relativement mémorables (épuisants pour nous, mais pourquoi pas…) qui ne parviennent cependant pas à sauver l’ensemble, même si un rapprochement inévitable (et qu’on souhaiterait évité dans la perspective d’une remise de prix) peut être fait avec les événements dramatiques qui ont frappé la capitale du Liban le 4 août dernier. Le film ne fonctionne pas tant Oualid Mouaness peine à filmer et à emboîter aussi bien l’histoire d’amour qui unit Labaki à un autre professeur que celle du garçon qui veut déclarer sa flamme à une fille.

-> Adieu les cons d’Albert Dupontel – Fiction – France – avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié

Thibaut Grégoire : Le cinéma de Dupontel ne m’a jamais plu et ce n’est pas avec cette comédie rance et laide que ça va changer. Le jury a exprimé son amour pour le film, notamment en couronnant Virginie Efira pour son interprétation. Faire triompher une actrice pour un de ces plus mauvais rôles, c’est toujours très embarrassant. Je pensais que ce film allait enfin montrer que Dupontel est un faux gentil, vaguement réac, mais il n’en est apparemment rien. Tout le monde aime Adieu les cons, les professionnels comme le public. Finalement, cet horrible titre est peut-être ironique….

Guillaume Richard : Pas vu, ou plutôt évité (à cause de préjugés, qui apparemment se sont vérifiés).

-> Collectiv d’Alexander Nanau – Documentaire – Roumanie

Thibaut Grégoire : Film à sujet, film-dossier, Collective documente les scandales politiques liés au service de santé en Roumanie ces dernières années. Le film est clairement divisé en deux parties, à la fois structurellement et qualitativement. Suivant des journalistes engagés, clairement habitué à la caméra et déterminés à tirer parti de celle-ci, la première ressemble presque à un film de fiction américain, façon Spotlight, une machinerie bien huilée dont le but principal est de convaincre à tout prix. La seconde s’intéresse au nouveau ministre de la santé, présenté comme atypique et humain, et l’accompagne dans sa découverte pas à pas de magouilles qui l’ébahissent. Lors de cette seconde partie, le film s’éloigne de son chemin balisé et de la démonstration pure et simple. C’est là qu’il peut réellement exister en tant que film de cinéma, même s’il s’avère dans son ensemble être plutôt un document, une pièce de l’histoire politique contemporaine, qu’un véritable film d’auteur.

Guillaume Richard : Ce documentaire roumain s’intéresse à l’incendie du Colectiv Club, une discothèque de Bucarest, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes et révélant un scandale sanitaire au sein des hôpitaux du pays. Ce que montre le film est indiscutablement fort, des survivant(e)s de la tragédie à la situation lamentable des soins de santés (nous voyons des cadavres pourrir sur leurs lits), en passant par la corruption généralisée qui gangrène plusieurs niveaux de la société. Co-produit par HBO Europe, Collectiv ressemble ainsi à une machine de guerre hollywoodienne, à mi-chemin du documentaire Netflix et du film d’investigation tel que Spotlight de Tom McCarthy, Oscar du meilleur film en 2016. Le film reste néanmoins connecté au réel en révélant la réalité des mensonges et, fort heureusement, de la survivance et du courage. Il devient moins programmatique lorsque Alexander Nanau cesse de suivre le journaliste qui a révélé les différents scandales pour pénétrer dans le quotidien du nouveau ministre de la santé, un jeune idéaliste qui rêve d’éradiquer la corruption. Collectiv est construit en deux temps et c’est ce qui lui permet d’échapper au schématisme lourd que laissait présager sa première demi-heure.

-> Heidi en Chine de François Yang – Documentaire – Suisse

Thibaut Grégoire : Accompagnant sa mère Heidi sur les traces du passé de sa famille et de la Chine, dans un voyage lui permettant de retrouver des frères et une sœur qu’elle n’a jamais vraiment connus, François Yang déploie un récit humain dans lequel l’intime enrobe et accueille une quête d’identité liée à l’histoire socio-politique d’un pays et parvient à en dire beaucoup sur le sujet qu’il étreint sans jamais tomber dans la démonstration ou le didactisme. La manière dont ce film supplante à mon avis tous les autres au sein de la compétition officielle en dit long sur la cohérence de celle-ci. Évidemment, ce documentaire intimiste n’a pas vraiment été l’objet d’une mise en avant de la part de l’organisation du festival ou des médias le couvrant, on a préféré mettre l’accent sur les films à sujets et/ou coup-de-poing. C’est finalement assez logique qu’il n’ait pas récolté de prix, même si cela me met profondément en colère.

Guillaume Richard : Le film le plus fort vu cette année au festival, alors que son titre m’avait bêtement refroidi ! Merci à Thibaut, dénicheur de talents, pour la découverte. C’est incompréhensible que Heidi en Chine n’ait pas gagné au moins un prix. Le voilà très probablement destiné aux oubliettes. Dès les premières minutes, on est pris par le mystère et l’émotion devant cette femme à l’histoire singulière, qui est la mère du cinéaste et dont les zones obscures de sa vie vont être lentement éclaircies. François Yang filme toujours frontalement (Dieu merci, les plans de dos, sur la nuque, sont minoritaires voire absents) et aux côtés des protagonistes sans avoir besoin d’un dispositif qui aurait pu être aliénant ou inutile. Bien au contraire, en faisant confiance à la magie irréductible du réel et au pouvoir de révélation du documentaire, François Yang parvient à dépasser le cadre de la petite chronique familiale, dont il dresse un portrait à la fois émouvant et complexe, pour toucher quelque chose de plus universel. La dernière partie, qui repose sur la révélation du demi-frère d’Heidi, fonctionne comme une puissante épiphanie où les larmes n’ont rien d’impudique mais en disent beaucoup sur une histoire intime (celle de la famille) et collective (celle de la Chine).

-> Josep d’Aurel – Fiction/Animation – France – avec les voix de Sergi López, Bruno Solo, David Marsais

Thibaut Grégoire : Pour aborder un sujet historique délicat – la guerre d’Espagne et les camps de prisonniers – le dessinateur Aurel a choisi une ligne claire, une animation (très) épurée et un didactisme aplanissant. Pourquoi pas… Mais lorsqu’apparaissent enfin à l’écran les vrais dessins du protagoniste Josep – caricaturiste emprisonné dans un camp – dans toute la brutalité de leurs traits, la fadeur appliquée du reste du film ne ressort que plus flagrante. Là encore – comme dans 1982 – le final vient peut-être sauver quelque chose et justifier l’utilisation du dessin pour raconter cette histoire…. Mais ce n’est pas assez pour imprimer quelque chose durablement dans une mémoire de spectateur à mon avis, en tout cas pas dans la mienne puisque les estampes s’estompent déjà peu à peu.

Guillaume Richard : Vu deux fois, avec la même impossibilité de me laisser affecter. Si le film jouit d’un consensus critique qui me paraît exagéré (il faut consulter les critiques presses sur Allociné, certaines sont bien sucrées), je suis resté absolument sur le carreau, et je fixe donc rendez-vous au film plus tard pour une nouvelle rencontre.

-> La Déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau-Lavalette – Fiction – Québec – avec Kelly Dépeault, Éléonore Loiselle, Caroline Néron

Thibaut Grégoire : L’indéniable navet de cette sélection : une espèce de caricature boursoufflée de l’idée fausse que l’on pourrait se faire d’un film québécois hystérique. C’est un peu comme si un monteur fou avait réalisé une compile de tout ce qu’il y a de pire et exaspérant dans le cinéma de Xavier Dolan – cinéaste par ailleurs apprécié – tout en grossissant le trait jusqu’à en faire une parodie. On en revient encore à la pudeur, à ce qu’il faut filmer ou pas, ce que l’on choisit de montrer et comment on le fait. Dans le cas présent, est-il nécessaire de faire un film sur des jeunes drogués en n’omettant dans aucun plan – presque littéralement – de montrer des jeunes filles et des jeunes garçons en train de se remplir le pif allègrement. Si le film est involontairement parodique, il prend en tout cas volontairement ses spectateurs pour des idiots auxquels il faut bien bourrer le mou et enfoncer le clou.

Guillaume Richard : Vingt ans plus tard, la scène culte de Titanic où Leonardo DiCaprio porte Kate Winslet les bras levés dans le vent fait encore des émules. Ici, elle est même saupoudrée d’un peu de Dolan pour mieux la lisser encore : le ridicule peut tuer, malheureusement. Et il atteint des sommets dans ce navet intersidéral venu du Québec. Catherine, dont on se demande comment elle n’est pas déjà morte d’une overdose, rencontre un bad boy pas si paumé et plutôt mélancolique. Il la ramène chez elle en vélo et c’est là qu’elle monte à l’arrière et profite de l’air en levant les bras horizontalement. Pour ceux qui n’avaient pas encore compris, elle se sent libre, ou plutôt elle trouve une forme de liberté en fuyant ses problèmes. L’adolescence, ça peut être beau et destructeur à la fois. Comment Catherine en est-elle arrivée là ? Ses parents ont des disputes violentes. Elle regarde aussi avec envie un groupe de jeunes marginaux. Et là bam, tabarnak, comme tous les gens qui rencontrent des problèmes, la pauvre petite sombre dans la drogue ! Le film s’ouvre sur un horrible plan de sa nuque où on l’entend respirer (par pitié, quand en finira-t-on avec ce cliché épuisant ?) et plus tard, quand ça ne va pas, elle plonge sous l’eau, vraisemblablement dans une piscine (?), au cas où on ne comprendrait pas qu’elle étouffe. Le film est donc très convenu et, comme Slalom, il clignote beaucoup. On suit ainsi la déchéance programmée de Catherine et on sait exactement à quelles scènes s’attendre. Quand son chum se suicide à la fin, Anaïs Barbeau-Lavalette a le mauvais goût de filmer et de monter des séquences où le garçon semble radieux, tel un ange qu’on aurait crucifié trop tôt. À ce moment, malheureusement (encore), j’ai ri, ce n’était plus possible de se retenir.

-> La Nuit des Rois de Philippe Lacôte – Fiction – Côte d’Ivoire – avec Koné Bakary, Steve Tientcheu, Rasmané Ouédraogo

Thibaut Grégoire : Il a fallu dépasser les premières scènes et un style de jeu très « télénovelas » pour entrer dans ce film qui embrasse dans son esthétique et sa narration des influences du théâtre africain et de la tradition orale. Les rites de croyance empruntant constamment à la théâtralité qui sont montrés dans le film font à la fois l’intérêt et la limite du film, le délimitant dans un carcan défini. La Nuit des rois exerce néanmoins un certain pouvoir de fascination, qu’il est difficile d’expliquer, mais échoue dans son dernier tiers à porter son discours sur la croyance et le pouvoir des histoires vers une dimension métaphysique et/ou fantastique qui ne se devine qu’entre les lignes.

Guillaume Richard : Dans une prison d’Abidjan, un jeune prisonnier est désigné comme nouveau « Roman », un rituel qui consiste à l’obliger de raconter des histoires toute une nuit. Durant celle-ci, une événement des plus improbables se produit : Barbe Noire, le chef des prisonniers, meurt et se réincarne en Bambi dans la forêt qui entoure la prison ! Ce postulat grotesque est renforcé par les chorégraphies des prisonniers qui jouent les histoires que raconte Roman et d’autres passages fulgurants qui n’ont peur de rien (un éléphant numérique qui passe à l’attaque !). Malgré cet ésotérisme fumeux, La Nuit des Rois tente un pari résolument anti-naturaliste avec honnêteté et persévérance. Comme nous aimons les films poreux, on ne peut pas lui reprocher cette dimension conceptuelle plutôt minoritaire dans le cinéma actuel où dominent la psychologie, le réalisme et le naturalisme.

-> La Troisième Guerre de Giovanni Aloi – Fiction – France – avec Anthony Bajon, Karim Leklou, Leïla Bekhti

Thibaut Grégoire : On peut apparemment voir dans ce film une immersion existentielle dans le vide patriotique et la paranoïa de jeunes hommes et femmes sans repères, lesquels se réfugient dans l’armée suite à un électrochoc – ici les attentats de novembre 2015 en France. Je n’y ai pour ma part vu qu’un film coup-de-poing extrêmement naïf qui enfile des lieux communs sur le non-interventionnisme de l’armée et le sentiment d’impuissance des soldats. J’aurais effectivement aimé que la mise en scène nous place plus dans la tête des protagonistes mais ce que l’on voit n’est qu’une enfilade de scènes « à faire » montrant leur impuissance sur le terrain. Peut-être que je suis passé à côté de ce film, que je n’y ai pas vu ce qu’il fallait y voir…. Ce que j’ai vu et entendu m’a fortement déplu : des pistes scénaristiques lâchées dans le vent puis rattrapées en cours de route pour servir de « deus ex-machina », une voix-off laborieuse et échouant à mon avis à saisir le basculement psychologique qui mène le héros à ses actes de la fin du film, une bande son plutôt assommante et un casting inégal duquel il faut tout de même sauver le prometteur Anthony Bajon, au jeu et à la personnalité singulière.

Guillaume Richard : La Troisième Guerre, le deuxième film que j’ai aimé durant le festival, s’intéresse à ce qui se passe dans la tête de trois militaires engagés dans les rues de Paris pour endiguer la menace terroriste. La force du film réside moins dans le portrait résolument psychologique des personnages que dans la description du vide absurde et presque métaphysique qui l’entoure. Les trois militaires, comme des machines tournant à vide, sont en effet livrés à eux-mêmes et obligés de se raconter des histoires dans lesquelles le mal à combattre doit trouver une place. Ils voient littéralement le mal partout et en même temps, comme on le sait, ils ne peuvent pas intervenir en dehors de leurs missions. Le film montre bien cela, et va parfois plus loin sans pour autant aller là où on pouvait l’attendre : dans la science fiction, où une troisième guerre aurait pu éclater. Léo (Anthony Bajon) y fait pourtant allusion dans un monologue. Le film postule plutôt que la troisième guerre est déjà en cours contre Daech mais aussi peut-être, plus maladroitement, dans les affrontements entre les casseurs ayant intégrés la lutte des gilets jaunes et la police. C’est clairement la limite politique du film, qui est ici plutôt contradictoire. Car lorsque la Marseillaise retentit et est chantée par les militaires d’une façon un peu retenue et saccadée, on se dit que le film réussit quand même à faire ressentir toute l’absurdité d’une guerre difficile à mener.

-> Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï – Documentaire – Belgique

Thibaut Grégoire : J’ai toujours du mal avec ce type de dispositif documentaire qui consiste pour un réalisateur ou une réalisatrice à filmer des membres de sa famille frontalement, dans la quotidienneté, pour exposer un « problème » qui les travaille intimement. Dans Petit Samedi, Paloma Sermon-Daï filme son grand-frère, Damien, qui souffre de toxicomanie, et ses rapports avec sa mère, laquelle semble se dédier exclusivement à surveiller et prendre soin de ce fils fragile – qui en retour prend également soin d’elle –, parfois au détriment de ses autres enfants. Puisque de pudeur il a été question au moment ou le Bayard d’Or a été remis à ce film, parlons-en plus longuement. Le film est à mon avis à la fois déséquilibré et intéressant quant à son degré de pudeur, justement. Premièrement, concernant certaines scènes, il est difficile de dire ce qui est rejoué et ce qui a été pris sur le vif. Dans un cas comme dans l’autre, ce qu’il en ressort, c’est que les scènes où la réalisatrice filme son frère seul ou face à sa psy, dans la manière de filmer et dans ce qui est dit et montré, referment il est vrai une certaine dose de retenue, quand bien même le personnage se place tout de même dans une démarche confessionnelle, directe et sans beaucoup de filtres par rapport à ce qu’il déballe. Par contre, d’autres scènes, avec la mère, sont d’après moi beaucoup plus problématique. Là encore, qu’il s’agisse de scènes rejouées ou non, le résultat est dans les faits nettement plus impudique, se rapprochant même par moments de la sinistre émission « Strip-Tease ». La pudeur ne relève pas seulement ce que les personnes sont prêtes à donner devant la caméra, c’est aussi la manière dont ceci est capté par celui qui filme, et aussi ce que le spectateur est prêt à recevoir de ce qui est donné et capté. La question de la pudeur et du malaise doit à mon avis prendre en compte ces trois parties prenantes du film (filmé / filmeur / spectateur).

Guillaume Richard : Beaucoup de films, qu’ils soient de fiction ou de documentaire, reposent aujourd’hui sur une équation bien connue : « mettre en place un dispositif de distanciation = éviter le pathos ». Sauf qu’à force de prendre des distances, on peut en arriver à ne plus rien raconter du tout. C’est l’impression que m’a laissé Petit Samedi avec ses longs plans fixes léchés et toujours cadrés à plusieurs mètres des protagonistes, soit tout l’inverse de Heidi en Chine qui est aux côtés de ses personnages tout en réussissant à éviter le pathos et à dépasser le cadre de la petite chronique familiale. Il y a dans Petit Samedi une artificialité créée par ce respect de la distance, qui se double d’une sorte de vacuité puisque peu de choses émergent des séquences. Celles avec la mère sont ainsi gênantes, on la voit par exemple parler à des jeunes qui se moquent d’elle dans une scène qu’on dirait maladroitement prédisposée. Le dispositif fonctionne un peu avec le frère, qui est le véritable sujet du film, mais l’ensemble reste conventionnel.

-> Si le vent tombe de Nora Martirosyan – Fiction – Arménie – avec Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan

Thibaut Grégoire : Il y a quelques idées et quelques images qui me plaisent et qui me restent de ce film dont je ne peux par ailleurs pas dire grand-chose. C’est peut-être le fait d’avoir vu trop de (mauvais) films en peu de temps et d’essayer de concevoir un avis et/ou un ressenti sur chacun, qui m’empêche de comprendre pourquoi j’apprécie celui-ci. J’en vois les défauts – certains dialogues martelés, un maniérisme parfois embarrassant, – mais j’ai préféré en garder les qualités, que je n’arrive malheureusement pas à verbaliser. Au lieu de me lancer dans des lieux communs, je préfère donc ne pas dire plus que ceci.

Guillaume Richard : Pas vu.

-> Slalom de Charlène Favier – Fiction – France – avec Noée Abita, Jérémie Renier, Muriel Combeau

Thibaut Grégoire : Encore un « grand » film à sujet au sein de cette compétition, cette fois-ci sur l’emprise et les abus sexuels – en l’occurrence dans le sport. Slalom est un film-démonstration, qui veut retracer le parcours d’une ado sous emprise, du début des abus jusqu’au moment où elle trouve la force de dire « Non » – c’est le dernier mot prononcé à la fin du film, qui sonne comme un « CQFD » conclusif. Malheureusement, le film échoue à capter tous les moments de cette trajectoire, ces « slaloms » qui devraient pourtant constituer le cœur du film, qui sont bien là visuellement mais que la mise en scène échoue à théoriser et/ou à élever émotionnellement en les mettant en parallèle avec ce que vit l’héroïne. Reste Noée Abita dans le rôle principal, qui n’aurait sans doute pas volé un prix d’interprétation….

Guillaume Richard : Tronquant une paire de ski offrant légèreté et agilité pour se chausser de très gros sabots, Slalom prolonge la tradition du film coup de poing, maîtrisé au millimètre près, qui ne cesse de clignoter en appuyant sur de nombreux détails afin de bien suggérer au spectateur ce qui l’attend. En l’occurrence, une agression sexuelle suivie d’une relation toxique d’emprise d’un moniteur de ski sur une jeune skieuse talentueuse. Si le film évite une chute fracassante grâce à ses 20 dernières minutes, la montée comme la descente furent pénibles à force de mâchouiller un seul et même sujet, sans surprises ni autres perspectives, ce qui est le problème de bien des films dits « à sujet ». La preuve avec le personnage de Maximilien, l’ado bien coiffé que Lyz (Noée Abita) embrasse sans suite. Mention spéciale également aux plans de montagnes dont on ne sait s’ils ont été imposés par la région Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma qui a co-produit le film ou s’ils évoquent quelque chose de précis.

-> Une vie démente d’Ann Sirot & Raphaël Balboni – Fiction – Belgique – avec Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay

Thibaut Grégoire : Au sein d’une sélection très faible, on en vient à surévaluer et réévaluer des films pour ce que j’appellerais des qualités négatives. Une vie démente n’est selon moi pas à proprement un film à sujet car son sujet – Alzheimer – n’est finalement qu’une manière de parler des personnages qu’il met en scène et d’observer les acteurs dans leur jeu. Le film n’est également pas obscène dans sa représentation de la maladie car il parvient à détourner cette obscénité par un « décalage poétique » plus ou moins réussi. Au-delà de ce que le film n’est pas, il s’avère plutôt honnête et humble, et permet surtout à ses acteurs d’exister et de créer ensemble. Le prix d’interprétation pour un ou plusieurs membres du casting n’aurait là non plus pas été démérité, d’autant plus quand on sait où il a fini par atterrir – je vise là le rôle et le film, pas l’actrice.

Guillaume Richard : Vous n’avez pas d’idées de cadeaux pour Noël ? Ann Sirot et Raphaël Balboni peuvent vous aider grâce à la ligne de vêtements qu’ils semblent avoir développée autour du thème floral et verdoyant qu’on retrouve dans Une vie démente, décliné à la fois en masque, t-shirts ou jeu de lit (personnellement, je commanderai(s) ce dernier). La présentation du film par l’équipe s’accompagnait ainsi d’un mini défilé de mode. Est-ce qu’ils fabriqueront également une autre gamme de vêtements inspirée des séquences où les personnages se rendent chez le médecin ou le banquier ? Durant celles-ci, la couleur de leurs habits, chaque fois différente, s’accorde avec celle de la pièce sans qu’on en comprenne réellement la finalité, si ce n’est peut-être d’apporter une touche décalée à la belge. Celle-ci est sous-entendue dans le titre qui joue sur son double sens, et le film, par moments, parvient à être dément sans oser creuser dans ce sillon. Il opte au contraire pour un portrait sensible et attendu d’une femme atteinte d’une maladie neurodégénérative. Le programme est connu : petit à petit, la situation va se dégrader jusqu’à atteindre des moments parfois éprouvants. Même si le film s’intéresse aux relations des quatre personnages principaux (les acteurs sont très bons, aidés par la liberté octroyée par la mise en scène), il peine à montrer autre chose que les dégâts causés par la maladie. Le choix de filmer les séquences frontalement et en une prise n’apporte pas grand chose, et laisse peu de place au spectateur pour respirer. Et lorsque c’est le cas, et que l’émotion monte, une musique additionnelle envahissante vient parfois tartiner les scènes. Dommage.

-> Vaurien de Peter Dourountzis – Fiction – France – avec Pierre Deladonchamps, Ophélie Bau, Sébastien Houbani

Thibaut Grégoire : Là aussi, il s’agit d’un film qui repose pour moi sur une qualité négative. Ce n’est pas du tout un film à sujet et j’imagine que c’est ça qui ne m’a pas déplu. C’est un film de personnage. On suit un protagoniste qui n’est pas attachant, pas sympathique, qui s’avère même être une ordure. On le suit, c’est tout. La dimension arbitraire de cette démarche peut agacer ou intéresser. Dans le flux de films à thèses et à grands sujets de société, terminer le FIFF – c’était le dernier film que j’ai vu en salles cette année – par un film qui ne parle de rien sinon d’un homme et de sa trajectoire, et qui le fait de manière déterminée, voire bornée, n’était pas désagréable même si le film en tant que tel n’est certainement pas agréable.

Guillaume Richard : Pas vu.

III. Les films « hors-compétition »

-> Un triomphe d’Emmanuel Courcol – Fiction – France – avec Kad Merad, David Ayala, Sofian Khammes (Film de clôture)

Thibaut Grégoire : Comme dans Le Grand bain de Gilles Lellouche, le « feel-good movie » rassembleur dissimule ici également quelque chose d’un peu rance sur la masculinité retrouvée à travers une activité (re)valorisante. Un triomphe, dans ce qu’il raconte, est vraiment très curieux et pervers, car il met en scène un « loser » – un acteur raté – qui entraînent d’autres « losers » – des détenus – dans un projet de pièce de théâtre censé les aider dans leur parcours, alors qu’au final, c’est lui – le mauvais acteur professionnel, donc – qui va tirer profit de cette « aventure humaine » pour se mettre en valeur. À cet égard, le climax du film est tout simplement insupportable, d’autant plus qu’il est « porté » par un monologue surjoué par le cabotin Kad Merad, qui est effectivement un mauvais acteur.

-> La Francisca, une jeunesse chilienne de Rodrigo Litorriaga – Fiction – Belgique – avec Javiera Gallardo, Aatos Flores, Francisco Ossa (Les Pépites)

Thibaut Grégoire : Derrière la chronique vendue par le titre et l’aspect monotone d’un film classique se cache en réalité un déplaisant film à twist, ou la banalité du quotidien et l’arrière fond socio-politique dissimule un secret qui permet de terminer le film en forme de claque administrée au spectateur. Rodrigo Litorriaga manipule ses spectateurs et les endort pour mieux leur révéler avec fracas ce qu’ils auraient été trop bête pour découvrir d’eux-mêmes. Cette « pépite » pue trop pour être de l’or.

-> Ailleurs, partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter – Documentaire – Belgique (Place au doc belge)

Thibaut Grégoire : Difficile d’émettre un avis de cinéphile sur ce genre de documentaire d’installations : le récit en voix-off d’un réfugié iranien en errance posé sur des images de caméras de surveillance venues des quatre coins du monde. Comme concernant un court-métrage vu également cette année au FIFF – Nuit debout, avec un dispositif en trois écrans, destiné aux musées mais ici projeté en salles –, le film échappe à l’analyse car, soit il s’auto-suffit conceptuellement, soit son contenu est trop flou pour ne pas devoir être accompagné d’une solide note d’intention en amont de sa vision.

-> China Dream de Hugo Brilmaker et Thomas Licata – Documentaire – Belgique (Place au doc belge)

Thibaut Grégoire : Couronné de manière incompréhensible d’un prix du public du documentaire, ce reportage léché et maniériste terminera probablement sur La Trois. Que ce film-ci ait été préféré à Heidi en Chine, voire même à Collective ou Petit Samedi, en dit long sur la manière dont la majorité des spectateurs conçoivent le documentaire. Tant que celui-ci sera représenté par ces productions belges qui passent à la télé, « documentaire » sera toujours synonyme de « reportage » dans la tête du grand public.

-> Douce France de Geoffrey Couanon – Documentaire – France (FIFF Campus)

Thibaut Grégoire : Dans ce documentaire « engagé », des adolescents mènent l’enquête sur l’utilité et les potentiels dangers de l’installation d’un nouveau complexe commercial sur des champs d’agriculture dans la région parisienne. Difficile de savoir à la vision de ce film à quel point les adolescents filmés sont autonomes dans leur démarche, tant ils semblent plutôt être instrumentalisés – par leurs professeurs et/ou par l’équipe du film – pour choisir la « bonne » voie et adopter la « bonne » opinion sur le sujet. Un documentaire qui ne donne à ce point aucune clé sur sa fabrication et tente de gommer toute trace de la méthode utilisée ne peut que s’exposer à des interrogations sur l’honnêteté de sa démarche.

Le 35ème FIFF s’est déroulé du 2 au 9 octobre 2020 à Namur


FILM FEST GENT 2019 – Journal de bord

Petit retour sur les films vus lors de cette sélection du Film Fest Gent. Classement et cotations….

 

1/ Zeroville de James Franco (7/10)

2/ Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu (6/10)

3/ Little Joe de Jessica Hausner (6/10)

4/ The Art of Self-Defense de Riley Stearns (6/10)

5/ A Girl Missing de Kôji Fukada (6/10)

6/ The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch (6/10)

7/ Knives Out de Rian Johnson (6/10)

8/ Light of My Life de Casey Affleck (5/10)

9/ Le Lac des oies sauvages de Yi’nan Diao (5/10)

10/ Les Misérables de Ladj Ly (5/10)

11/ Atlantique de Mati Diop (5/10)

12/ Il Traditore de Marco Bellocchio (5/10)

13/ The Lighthouse de Robert Eggers (4/10)

14/ Never Grow Old de Ivan Kavanagh 4/10)

15/ Ghost Tropic de Bas Devos (4/10)

16/ Vivarium de Lorcan Finnegan (4/10)

17/ Instinct de Halina Reijn (2/10)

 

La 46ème édition du Festival du Film de Gand s’est tenue du 8 au 18 octobre 2019

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FILM FEST GENT 2019 – Palmarès

Les membres du Jury de cette édition 2019 du Film Fest Gent, Joachim Lafosse, Guy Lodge, Midge Costin, Radu Jude, Fiorella Moretti et Dora Bouchoucha Fourati, ont rendu leur verdict,et ont attribué le Grand Prix du festival au film mongol Öndög de Quan’an Wang.

Grand Prix du meilleur film : Öndög de Quan’an Wang

Prix George Delerue de la meilleure musique : Monos d’Alejandro Landes

Prix spécial du jury pour la meilleure réalisation : Martin Eden de Pietro Marcello

La 46ème édition du Festival du Film de Gand s’est tenue du 8 au 18 octobre 2019

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FILM FEST GENT 2018 – « Werk ohne Autor » de Florian Henkel von Donnersmarck

Apparemment, le nouveau film de Florian Henkel Von Donnersmarck (La Vie des autres, The Tourist) a fait forte impression à la dernière Mostra de Venise, où il a remporté l’adhésion du public et où une partie de la critique lui prédisait une place de choix au palmarès – qu’il n’a heureusement pas collectée. Concernant un film de trois heures, affreusement classique et filmé comme un épisode de Plus belle la vie, il y a de quoi se poser des questions….

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Déjà, quand un film de cette longueur arrive, dans sa première demi-heure, à faire figurer une scène d’une rare abjection, dont on pensait le sort réglé à tout jamais – à savoir une scène de chambre à gaz montrée sans aucune distance, en pleine lumière, et avec moult gros plans sur les visages des victimes – on peut dire que ça part très mal. Le film est donc enterré une première fois mais puisque des mauvaises raisons nous poussent à rester dans la salle, nous en avons encore pour deux heures et demi à pleurer sur ses restes.

Et là, un étrange phénomène se produit, proche du syndrome de Stockholm. Malgré le geste inadmissible qu’a commis le film, on se prend à le suivre malgré tout, à finir par le trouver moins pire, à attendre le dénouement… tout en gardant à l’esprit que l’on est en train de voir une daube néo-classique de la pire espèce.

Il faut dire que, alors qu’il ne se pose aucune question sur sa manière de représenter le nazisme et l’holocauste, le film se pique de s’en poser sur l’art en général. On croit rêver ! Et la position qu’il véhicule sur l’art contemporain est particulièrement gratinée. Faisant d’abord mine de le défendre, en opposition à la censure de tous bords – d’abord du nazisme, puis du communisme – le film s’achemine ensuite vers une satire moqueuse de celui-ci, avant de tout bonnement le nier, puisqu’il revient à l’éloge d’un certain vérisme, à travers les œuvres que finit par peindre le héros, des copies conformes de photos, donc du photoréalisme.

Et le discours alambiqué sur l’œuvre d’art que fait la dernière partie du film colle finalement très bien au projet. Non seulement, il fait l’éloge du classicisme et du naturalisme, mais il dit carrément qu’en art, rien ne vaut l’impersonnalité, d’où le titre : Werk ohne Autor (une œuvre sans auteur). Cela nous permettra de dire de manière assez roublarde que le film porte bien son titre, mais c’est surtout particulièrement édifiant quant à la manière dont ce type de production, ce type de réalisateur, conçoivent le cinéma, comme quelque chose devant être dévitalisé, objectivisé, dénué de personnalité. En fait, Florian Henkel von Donnersmarck est lui-même son pire détracteur. Il met au sein même de son film le discours qui permet de le ramener à ce qu’il est réellement : une non-œuvre, un grand « rien » artistique.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Shoplifters » de Hirokazu Kore-eda

Palme d’or lors du dernier Festival de Cannes, Shoplifters était probablement l’occasion idéale pour un jury de récompenser une œuvre globale, cohérente, plus qu’un film en particulier – même si l’on peut légitimement se poser la question de savoir si la majorité des membres de ce jury-là avait déjà vu un film de Kore-eda.

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Comme souvent chez le cinéaste, Shoplifters parle de la famille sous un angle anti-déterminisme, en explorant des liens qui sont beaucoup plus du ressort de l’humain que du sang, de la lignée. C’est peut-être encore plus le cas dans ce film-ci que dans les précédents, puisqu’il va jusqu’à une certaine forme de subversion du cadre familial, finissant par donner en modèle un exemple de famille hétéroclite et marginale.

Le titre français, Une affaire de famille, joue d’ailleurs beaucoup plus que le titre anglais sur cette donnée-là, sur le statut flou et ambigu de la famille présentée dans le film. Car ce n’est qu’au fur et à mesure que l’on apprend à connaître cette famille qui n’en est – aux yeux de la société, tout du moins – pas vraiment une. Si l’on comprend assez vite que cette famille est effectivement à la marge, puisqu’elle vit principalement de petits larcins en tous genres – d’où, donc, ce fameux titre anglais –, son histoire ne fait qu’affleurer, dans la première partie, au détour de quelques dialogues et situations, qui dévoilent progressivement un passé éclaté.

Mais le projet du film est précisément de construire ou de reconstruire cette famille, la présenter comme telle, indiscutablement. Ce que l’on apprend petit à petit de la constitution progressive de la famille – les membres s’y sont greffés un à un, les enfants, ont été recueillis, etc . – ne fait que la consolider véritablement en tant que tel, au sens empirique et sentimental du terme. Et ce n’est qu’au moment de l’intrusion de la police, de l’autorité, représentant celle du regard de la société, que cette image familiale vole en éclat, sous le poids des conventions, des garde-fous moraux.

Shoplifters oppose alors ces deux visions, celle de la famille et celle de l’autorité morale, pour finalement prendre entièrement parti pour la première, et se lancer dès lors dans un processus de reconstruction partielle de cette famille éclatée, en recollant comme il peut les morceaux qui restent. Alors qu’il est traditionnellement assimilé à un symbole de l’autorité, le concept de la famille tel que le construit et le reconstruit Kore-eda est justement envisagée comme le contrepoint de cette autorité, et s’épanouit dans la marge.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Leto » de Kirill Serebrennikov

Lors du dernier Festival de Cannes, Leto avait fait parler de lui, plus par le contexte de sa présentation – son réalisateur, Kirill Serebrennikov était assigné à domicile à Moscou et ne pouvait donc se rendre sur la Croisette – que par le film lui-même, pourtant très défendu par la critique mais parti finalement sans prix. Pour notre part, tandis que le premier long métrage de Serebrennikov (Le Disciple, 2016) nous avait laissé perplexe, ce sont des sentiments mitigés que nous avons éprouvés devant Leto, cela étant dû aux promesses extraordinaires que le film fait lors de sa première demi-heure, pour ensuite se diriger vers d’autres voies plus traditionnelles.

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S’intéressant à l’émergence d’une scène rock dans l’URSS des années 80, Leto s’ouvre donc sur la promesse d’un film choral flamboyant et vertigineux, avec une première demi-heure foisonnante, visuellement et thématiquement, le tout dans une vivacité de groupe réellement stimulante. C’est ce que l’on attend donc et, même si le film explore encore cette piste par moment, il se recentre principalement sur quelque chose de plus attendu, à savoir un triangle amoureux entre trois des protagonistes antérieurement présentés. Ce n’est pas tant que le tournant que prend le film soit moins réussi ou même moins intéressant que son début, le ressenti qu’il nous laisse tenant plutôt d’une déceptivité intrinsèque au film. Reste à savoir si ce pacte rompu entre le spectateur et le film joue contre celui-ci ou si cela en fait justement l’identité, cette rupture étant dès lors utilisée comme un moteur pour dynamiter ce qui semblait rouler sur des rails. Il nous semble tout de même que ce film qui aurait pu être grand, n’est finalement qu’intéressant.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Fatwa » de Mahmoud Ben Mahmoud

Sur un sujet similaire à celui de Weldi (Mon cher enfant) de Mohamed Ben Attia – qui sort plus ou moins simultanément – Fatwa de Mahmoud Ben Mahmoud suit un père sur les traces de son fils radicalisé, en essayant de comprendre, entre autres, les raisons de cette radicalisation.

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Contrairement à Ben Attia, Mahmoud Ben Mahmoud place la quête du père après la mort de son enfant, dans ce qui apparaît premièrement comme un accident de moto. C’est donc une véritable enquête, presque policière, qui préside ici à la narration. L’autre différence majeure avec Weldi est que Fatwa est totalement linéaire et univoque, qu’il ne remet jamais en question ce qui est montré au spectateur, là où le premier créait une sorte de réalité parallèle, ou du moins la possibilité de celle-ci, d’une piste presque onirique, fantasmée.

Fatwa ne propose rien d’analogue, puisque aucune subtilité ne vient affleurer dans son déroulé monolithique, borné, de film à sujet édifiant et assommant. Tout ici est appuyé par de longs tunnels dialogués mettant constamment les points sur les i, enfoncé par une interprétation « habitée », concernée par les enjeux trop lourds du film. C’est comme s’il était exclu de faire du cinéma, de pouvoir créer quelque chose, apporter une vision non-compassée, non-officielle, sur le sujet.

Ce type de films en devient presque dictatorial, car il vous semonce presque d’adopter totalement son point de vue, d’acquiescer à tout, d’oublier votre esprit critique et votre volonté de voir malgré tout du cinéma poindre derrière le mur apparemment infranchissable du sujet. La claque finale qu’il administre à son spectateur, sorte de lapin sorti d’un chapeau, manifestation absurde et ridicule de la toute-puissance du scénariste-démiurge sur ses personnages-pantins, est emblématique de ce cinéma-marteau, qui ne pense qu’à enfoncer son propos comme un clou, peu importe les moyens utilisés et en dépit de toute considération esthétique ou de mise en scène.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « The Cannibal Club » de Guto Parente

Émoustillé plus tôt dans l’année par un film de genre brésilien s’étant avéré l’un des meilleurs films de l’année (Les Bonnes Manières de Juliana Rojas et Marco Dutra), on était, si pas impatient, au moins curieux de découvrir ce film de cannibales doublé d’une critique sociétale au pays de Lula.

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Le titre révélant absolument tout, il n’est pas vraiment question de mystère dans ce film assez direct, qui va tout de suite à son sujet sans trop de tergiversations, même s’il instaure tout de même une certaine forme de suspense dans son déroulé narratif. The Cannibal Club suit Otavio et Gilda, un couple de cannibales nantis qui adorent s’adonner à de petits jeux pervers avec leurs employés de maisons, lesquels jeux terminent souvent par la dégustation desdits employés.

Le « twist » étant que Gilda et Otavio font partie d’un véritable club de nantis pervers cannibales, soit l’élite de la société brésilienne, dépeinte comme un ramassis de dégénérés dans leur tour d’ivoire. La critique est virulente, violente, et totalement dénuée de second degré. C’est la grosse faiblesse du film, cette impression qu’il donne d’assister à un règlement de compte politique, un meeting d’un parti d’extrême gauche dans lequel on va – paradoxalement – « bouffer du riche ».

C’est également ce qui empêche le film d’être drôle, même si l’on reconnaît ça et là quelques tentatives de faire rire jaune. Mais c’est bel et bien le malaise qui l’emporte, malaise dont on ne sait trop s’il est provoqué consciemment ou non par le film. Lorsqu’on arrive au bout de la vision, à un final sanglant qui clôture de manière assez logique un film prônant en fait l’insurrection, la prise de pouvoir, on continue de se poser des questions sur la manière qu’il a eu de procéder, sur les raccourcis et autres simplifications qu’il a utilisés pour convaincre, un peu à la manière d’un tract électoral d’opposition.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Cold War » de Pawel Pawlikowski

Prix de la mise en scène à Cannes, au sein d’un palmarès globalement décrié, le film polonais Cold War avait des allures de caricatures de film de festivals, avec son format 4/3 et son noir et banc léché. Qu’en est-il ? Le film dépasse-t-il cette apparence très lisse ?

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Lisse semble être le mot-clé, tant Cold War apparaît, après vision, comme totalement insignifiant. Qu’un tel film ait pu se dégager d’une sélection de vingt films, être apprécié d’une énorme majorité de la critique et figurer dans un palmarès qui a exclu de grands films tels que Burning ou Les Éternels, est impensable.

Découpé en plusieurs parties, le film suit la progression de l’amour fou et contrarié entre Wiktor et Zula dans l’Europe des années 50, sur fond de guerre froide. Outre son habillage « sobre », cette allure austère que lui confèrent le format et la bichromie, Cold War transpire le classicisme, que ce soit dans le fond ou dans la forme. Cette histoire d’amour qui commence par une rencontre et se termine dans la tragédie – sans trop d’effusions tout de même, restons dignes, restons « sobres » – est étonnement plate et linéaire.

Reste donc un film du milieu, propre sur lui, qu’apprécieront les partisans du fameux « less is more », cet éloge institutionnalisé de la mollesse et du formatage. Qu’y a-t-il de véritablement stimulant dans cet objet gentil, sans aspérités, détendu et dévitalisé ? C’est une question qu’il faudrait poser plus souvent, étant donné ce qui semble devenir maintenant un mètre-étalon en matière de bon goût. C’est donc ce type de cinéma qui plaît à la critique, qui plaît aux jurys ? Un cinéma qui n’éprouve rien, qui ne s’ébranle jamais, qui va où on lui dit d’aller… ?

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « The Old Man and the Gun » de David Lowery

Depuis son premier film, Ain’t Them Bodies Saints, en 2013, David Lowery n’a cessé de brouiller les pistes, oscillant constamment entre une image d’auteur et une autre de faiseur de studios. Après avoir réalisé quelques épisodes de séries et un remake passé plus ou moins inaperçu de Peter et Elliott le Dragon, il était revenu à un film d’auteur personnel et métaphysique, le très incompris et controversé A Ghost Story.

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Dans The Old Man and the Gun, il retravaille avec un des acteurs de Pete’s Dragon, à savoir Robert Redford, qui a d’ores et déjà annoncé qu’il s’agissait de son dernier rôle… avant de se rétracter. Il faut dire que le film est une véritable ode à l’acteur, un message amoureux du réalisateur envers lui mais aussi envers tout un pan du cinéma américain classique. Et c’est par ces aspects-là que le film séduit le plus, par cet amour communicatif qui transparaît lors de quelques séquences d’anthologie.

Parmi celles-ci, un montage d’images en guise de flashback, qui aurait probablement dû clore le film, lui conférant ainsi une profondeur inespérée. Dans ce montage, une vingtaine de courtes séquences retrace le parcours du personnage principal, vieux briscard du braquage de banque, dans le domaine de l’évasion « professionnelle ». Aux séquences originales, tournées pour le film, se mêlent des extraits de films antérieurs, mettant en scène Redford jeune dans des rôles similaires.

Cette séquence montée apporte une émotion immédiate, qui ne demande pas forcément une connaissance énorme de la filmographie de Robert Redford mais parle forcément à un imaginaire cinéphile inconscient. Le personnage lui-même, incapable de renoncer à ce qui le rend heureux – en l’occurrence, braquer des banques, donc – renvoie à l’acteur et à sa manière toujours investie, passionnée, de s’impliquer dans des films.

Décrit comme ça, The Old Man and the Gun pourrait presque apparaître comme un petit chef d’œuvre, un classique instantané tablant sur l’émotion, mais une bonne émotion, qui ne serait pas manipulatrice. Pourtant, David Lowery ne résiste malheureusement pas à quelques coquetteries, s’attarde inutilement sur une amourette entre Redford et Sissy Spacek, rêve en filmant ces acteurs qu’il admire, et tombe également à pieds-joints dans quelques tares du cinéma indépendant américains, à travers des tics d’écriture institutionnalisés ou des scènes « à faire ».

Assez court (1h30), le film paraît ainsi beaucoup plus long qu’il ne l’est et reste globalement très en surface, ne faisant finalement qu’effleurer de petites fulgurances éphémères et évanescentes. C’est typiquement ce que l’on serait tenté d’appeler un film « gentil », bienveillant à tous les égards – que ce soit avec ses acteurs ou avec ses spectateurs – mais qui ne dépasse que trop rarement cette bienveillance de bon aloi, cette espèce de qualité médiane, « à l’ancienne ».

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Transit » de Christian Petzold

Obsédé par la figure de l’exilé, Christian Petzold s’attache à la travailler, en prenant ses marques dans une certaine forme de classicisme traditionnel, tout en subvertissant véritablement celui-ci.

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Dans Transit, il pousse cette idée encore plus loin en adaptant un roman d’Anna Seghers qui se déroule durant la seconde guerre mondiale, en en conservant son récit et son contexte, mais en appliquant cette base à des décors et une vie contemporaine. Ce décentrage, concept programmatique du film, produit un véritable vertige et implique forcément une résonnance entre ces deux réalités historiques plaquées l’une sur l’autre, ces deux contextes qui se répondent et se nourrissent l’un l’autre. Cette idée de décentrage intervient également dans certaines scènes en particulier du film et dans la manière dont il est raconté. Le recours à une voix-off narrative donne ainsi l’impression de renforcer le classicisme d’apparat du film, mais sert en réalité le travail sur le décentrage. Jamais cette voix-off ne commente en direct ce qui se passe, créant ainsi une sorte de confusion constante, de recherche et de réveil de l’attention. Lors des premières interventions de la voix-off, le regard du spectateur se met à chercher dans l’images des éléments décrits. Il en trouve généralement certains mais se heurte souvent à un mur concernant la globalité de ce dont parle le narrateur. Le spectateur de Transit est ainsi mis constamment à contribution, il participe à un travail de reconstitution chaotique, celle d’une histoire et de l’Histoire qui se racontent parallèlement, toutes deux d’une manière éclatée. C’est ce travail de reconstruction suite à l’éclatement, au cœur du film, qui en fait toute sa force tranquille.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « A Bluebird in My Heart » de Jérémie Guez

Thriller français mettant en scène un acteur danois et deux actrices belges, Tu ne tueras point (A Bluebird in My Heart) sent bon la coproduction foireuse et le Tax Shelter. Il permet en outre de voir un « talent » de la génération des scénaristes « petits malins » biberonnés au cinéma américain de passer à la réalisation.

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Pour résumer clairement le film et donner une petite idée de ce qu’il représente, on pourrait parler d’un film de Jean-Claude Van Damme, période DTV, sans Jean-Claude Van Damme, et visant la sortie en salle. À savoir, l’histoire très originale d’un ex-détenu visant à mener une vie paisible loin de son passé, mais hanté par les démons de celui-ci lorsqu’il venge la fille de son hébergeuse, agressée et violée par un délinquant notoire. C’est tout ce qu’on a déjà vu des centaines de fois, mais passé à la moulinette d’un pseudo-réalisme passe-partout et mâtiné de dialogues ineptes.

Ce n’est pas anodin de constater que Jérémie Guez fut notamment le scénariste de Lukas, la dernière tentative de come-back en date de JCVD, mais également de films tels que La Nuit a dévoré le monde ou encore Carnivores, lesquels tendaient à perpétuer une mouvance très à la mode, celle de l’abattage des barrières entre cinéma de genre et cinéma d’auteur. Tu ne tueras point est un exemple parlant de l’inanité de la plupart de ces tentatives (il existe heureusement quelques exceptions à la règle, dont l’excellent L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier, à sortir en janvier 2019), exposant nettement un enfonceur de portes ouvertes ayant l’impression d’inventer l’eau chaude.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Capharnaüm » de Nadine Labaki

Inimaginable tire-larmes martyrologique de la pire espèce, le dernier film de Nadine Labaki a obtenu le Prix du Jury lors du dernier festival de Cannes. Une aberration qui n’est probablement pas la seule de ce palmarès bancal.

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Qu’un personnage puisse se rebeller contre la société et contre la condition qui est la sienne est probablement la seule bonne idée de Capharnaüm, le nanar édifiant et criard de Nadine Labaki. Ce personnage, c’est Zain, 12 ans, lequel refuse que sa sœur mineure soit mariée contre son gré, refuse d’être exploité par les adultes, et refuse jusqu’au fait même d’être né. C’est d’ailleurs de manière très cynique que Labaki encadre son récit par cette dernière donnée, le procès qu’intente Zain envers ses parents pour l’avoir mis au monde. Ça aurait été trop bête que cette idée géniale passe inaperçu, il fallait bien la mettre aussi grossièrement en avant pour qu’on ne retienne pratiquement que cela d’un film qui fait par ailleurs la part belle à l’humiliation, à l’hystérie et aux plans obscènes au ralenti censés dénoncé toute la misère du monde expérimentée par le pauvre Zaïn, victime sacrificielle du film. Mais non content de se déchaîner sur son pauvre personnage, véritable chair-à-pâté d’un cinéma démonstratif qui ne recule devant aucune audace, aucune démonstration de vulgarité, le film lui confère aussi une parole d’auteur, une sorte de voix du sage faisant la morale à l’humanité toute entière à travers les mots de la réalisatrice et de ses coscénaristes, probablement tout content de pouvoir exprimer un point de vue « fort » sur la condition humaine et l’état du monde. Dans la catégorie des films boursoufflés, autosatisfaits, et sûr de leurs effets, Capharnaüm se pose là.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Kursk » de Thomas Vinterberg

Tourné en partie en Belgique, le nouveau film de Thomas Vinterberg permet à celui-ci d’asseoir un peu plus sa transformation progressive en réalisateur académique et de fortifier sa collaboration avec l’acteur Matthias Schoenaerts, déjà à l’affiche de son précédent film.

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Film catastrophe somme toute classique, dont le casting ressemble à une espèce d’euro-pudding habilement dosé – le belge Matthias Schoenaerts, la française Léa Seydoux, le britannique Colin Firth, le suédois Max Von Sidow – et s’appliquant bien sûr à faire parler tous ses protagonistes russes en anglais, Kursk a tout de la reconstitution classique, délibérément grand public et simplificatrice, du moins en apparence.

Mais Thomas Vinterberg, à la tête de cette grosse machine, ne renonce pourtant pas à quelques ambitions, comme par exemple le fait d’ouvrir son film par une assez longue scène de mariage qui permet de cerner certains des personnages principaux, faisant ainsi directement référence au Voyage au bout de l’enfer de Cimino. Dans sa seconde partie, le film se fait aussi très politique et lorgne du côté de la dénonciation pure et simple, avec une critique assez cinglante de comment fut traitée la crise du Kursk par les autorités russes.

On a donc envie de sauver quelques petites choses de ce film par ailleurs extrêmement académique, tout en gardant en tête que la critique politique ne va pas sans un certain éloge parallèle des britanniques, présentés comme des sauveurs potentiels et personnifiés par le « chevalier blanc » Colin Firth.

La vision ce film permet également de faire un point assez clair sur ce qu’il reste du Dogme 95 : au moment même où Lars Von Trier livre l’un de ses films les plus personnels et monumentaux (The House that Jack Built), Thomas Vinterberg réalise cet objet très propre et finalement assez politiquement correct.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « Duelles » d’Olivier Masset-Depasse

Huit ans après le coup d’éclat éphémère Illégal – suivi d’un calme plat assez éloquent –, le belge Olivier Masset-Depasse revient finalement sur le devant de la scène avec l’adaptation d’un roman de Barbara Abel. Après une première mondiale à Toronto, le film est présenté à Gand….

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Une fois n’est pas coutume, commençons par une question : quelle est la définition de « faire son intéressant » ? C’est, par exemple, adapter le roman d’une auteur belge et, plutôt que de se contenter de garder le titre dudit roman, lui préférer celui – agrémenté d’un « s », tout de même – d’un tout autre roman de cette même auteur. C’est aussi, toujours par exemple, vouloir à tout prix adapter ce roman, lequel se déroule de nos jours, dans les années 60, histoire de bien pouvoir montrer ses muscles et briller par la reconstitution ou les « beaux » plans stylisés, à la manière de….

Avec Duelles – adaptation, donc, de Derrière la haine de Barbara Abel –, Olivier Masset-Depasse s’en donne à cœur-joie, « hitchcocke » et esthétise à tout-va en orchestrant son duel téléphoné entre la brune et la blonde, thriller paranoïaque à la petite semaine. Rien ne vit et tout sent le renfermé dans ce téléfilm de luxe qui ne raconte strictement rien de plus que son petit suspense domestique mais se donne des grands airs par sa stylisation à outrance.

Par son côté désespérément premier degré et le jeu outré de ses comédiens (Veerle Baetens en tête), Duelles aurait pleinement sa place à la télévision un samedi soir. Ce serait d’ailleurs dans l’ordre des choses que l’on retrouve Olivier Masset-Depasse d’ici un an ou deux à la tête d’une des « merveilleuses » séries de création de la RTBF.

Thibaut Grégoire

 

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FILM FEST GENT 2018 – « At Eternity’s Gate » de Julian Schnabel

Après, entre autres, Vincente Minnelli et Maurice Pialat, Julian Schnabel se pique de livrer sa version du destin de Vincent Van Gogh, en insistant sur son regard d’artiste-peintre sur la chose. Le film a valu un prix à son acteur principal, Willem Dafoe lors de la dernière Mostra de Venise.

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Depuis le début de sa carrière de cinéaste, Julian Schnabel a réalisé pas moins de cinq biopics, dont désormais deux sur des peintres : Basquiat en 1996 et ce At Eternity’s Gate, sur Vincent Van Gogh. Artiste peintre lui-même, Schnabel profite de ces films pour exposer par les dialogues et sa mise en scène sa vision de la pratique de l’art et la position de l’artiste, qu’il aime à dépeindre « maudit ». Van Gogh était la figure idéale pour ce genre de discours martyrologique, incompris et martyrisé de son vivant, ostracisé pour sa folie ou son hypersensibilité.

Maniaque du plan impressionniste, de la contre-plongée et autre pirouettes acrobatiques de la caméra, Julian Schnabel s’en donne en outre à cœur joie pour tenter d’exprimer visuellement ce qui traverse son personnage, cette manière dont la nature s’empare de lui pour qu’il la transcende, cette folie créatrice…. Certains évoquent en vain le nom de Terrence Malick pour qualifier ce film. On préférera utiliser l’analogie de l’enfant turbulent qui fait joujou avec la caméra super-8 de son grand-père.

Il n’y a en effet rien de Malick dans ce pensum lourdingue et verbeux doublé d’un « international-pudding » grotesque – on y croise tout à trac Oscar Isaac en Gauguin, Matthieu Amalric en médecin, Mads Mikkelsen en prêtre, Emmanuelle Seigner, Anne Consigny…. Willem Dafoe y est étonnamment sobre, mis à part les quelques pétages de plombs réglementaires, mais rien qui ne justifie vraiment son prix d’interprétation à Venise.

Profondément agaçante, cette vision victimaire de l’artiste, le présentant presque comme un Christ sacrifié, un dommage collatéral de la société, est à la fois bête et difficilement regardable, se complaisant dans son rôle de film « arty », poseur et fier de lui.

Thibaut Grégoire

 

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