Critique et analyse cinématographique

Bilan critique du 35ème FIFF de Namur

Attendu comme le messie et accompagné de tout un lexique salvateur du courage et de la persévérance, le 35ème FIFF (Festival International du Film Francophone de Namur) a bien eu lieu, évidemment dans des conditions particulières. Puisque la sélection de cette édition singulière a été saluée, notamment par le jury officiel, cela nous donne le champ libre pour en relativiser la qualité et la pertinence, quand bien même elle intervient donc dans un contexte qui restreint l’échantillon de films à la disposition des programmateurs. Si cette sélection nous paraissait peu excitante a priori mais que nous étions prêt à l’explorer sans trop de préjugés et faire des découvertes, force est de constater que nos craintes étaient plus que fondées et que l’écart de qualité avec des éditions précédentes du festival ne peut pas être entièrement justifié par la crise globale – et, dans ce cas-ci, culturelle – liée au covid.

I. Le palmarès du 35ème FIFF de Namur

Palmarès :

Bayard d’Or du Meilleur film : Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï.
Bayard spécial du Jury : Josep d’Aurel.
Bayard du Meilleur scénario : Antoaneta Opris & Alexander Nanau pour Collectiv.
Bayard de la Meilleure photographie : Yann Maritaud pour Slalom.
Bayard de la Meilleure interprétation : Virginie Efira dans Adieu les cons.
Prix Agnès : Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï.
Deux Mentions spéciales : La Nuit des Rois de Philippe Lacôte et Si le vent tombe de Nora Martirosyan.

Thibaut Grégoire : Comme la remise des prix était retransmise en direct « online », cela me permet de donner à la fois mon avis sur le palmarès mais également sur le déroulement de cette cérémonie. Celle-ci a commencé en beauté avec le prix BeTv – traduction, prix du film populaire et populo – remis à l’épouvantable Un Triomphe, sorte d’ersatz théatro-carcéral du Grand bain, avec un Kad Merad mauvais comme un cochon. Que dire ensuite du prix du public remis au film d’Albert Dupontel. Adieu les cons, c’est plus ou moins ce que j’aurais envie de dire aux spectateurs qui ont voté pour ce film et à un jury qui a apparemment unanimement aimé ce film réac et visuellement hideux. Concernant le palmarès en tant que tel – donc les prix remis par le jury de la compétition officielle –, on se retrouve devant une configuration à la fois consensuelle et tout de même bizarroïde. Ce jury « généreux » a voulu apparemment citer tous les films qu’il a aimé, en donnant notamment deux mentions spéciales, mais a par ailleurs donné deux prix à un film discutable tout en en oubliant un autre, qui me semble être le seul vrai bon film de la sélection. On me rétorquera que les goûts et les couleurs…. Mais ce qui m’a le plus agacé, ce sont les mots choisis pour justifier ces choix et l’autocongratulation qui a suivi. Quand Benchetrit a parlé d’un Bayard d’or remis à l’unanimité à un film d’une pudeur incroyable, je pensais que la victoire était acquise à Heidi en Chine de François Yang, mais ce curieux jury a décidé de remettre son prix de la pudeur à un film qui en a peu. Dans Petit Samedi, Paloma Sermon-Daï fait peut-être preuve d’une certaine pudeur quand elle filme son frère toxicomane lors de ses confessions à sa psychothérapeute, mais n’en a pratiquement aucune quand elle filme sa mère seule, la tournant même carrément au ridicule quand celle-ci fantasme une discussion avec l’animateur d’une radio catholique, ou quand elle insulte une bande de jeunes qui se moque légèrement d’elle. Deux prix pour ce très petit film, c’est en tout cas largement surpayé. D’autant plus quand on sait que l’autre prix reçu est censé récompenser un film qui valorise l’égalité homme-femme, remis ici à un film dont le personnage féminin n’est décrit et montré qu’en tant que mère. À côté de cette double aberration, le jury a également remis un prix du scénario à un autre film documentaire… à la rigueur pourquoi pas, mais ça ne fait que souligner l’aspect surécrit et quasiment hollywoodien du film-dossier Collective. Puis il y a aussi le prix spécial qui devrait probablement récompenser un film audacieux et qui se transforme en prix de la consensualité en revenant au gentil Josep. Après cette remise de prix des plus douteuses, Benchetrit s’est permis de s’autocongratuler, lui et son jury, et a même proposé de manière badine qu’on leur remette un prix du palmarès, tellement celui-ci est fabuleux. À ce degré d’autosatisfaction et de ridicule, il n’y a probablement plus rien à dire et je m’arrête donc là.

Guillaume Richard : Petit Samedi est un film franchement faible (voir la notule ci-dessous) et largement inférieur à un autre documentaire de la compétition, Heidi en Chine, qui est un des rares films qui nous a stimulé dans cette sélection elle aussi faible. Certains se féliciteront peut-être du fait que ce soit une namuroise qui ait gagné le Bayard (et sans doute aussi, bêtise ambiante oblige, parce que c’est une femme) mais il ne faut pas pousser bobonne non plus. Je suis resté de marbre devant Josep, je n’ai donc rien à en dire. Remettre le prix du scénario à un documentaire est toujours compliqué bien qu’il y ait évidemment toujours une forme d’écriture. C’est ici l’efficacité, presque américaine, de Collectiv qui semble être récompensée, car il y a des moments dans le film qui doivent moins à l’écriture qu’au montage et au principe de révélation propre au documentaire. N’est-il pas dommage de remettre le prix d’interprétation à Virginie Efira et à un film qui n’en a pas besoin ? Enfin, le prix Agnès d’une valeur de 5.000 €, décerné « à l’auteur dont l’œuvre témoigne d’un regard original et novateur sur l’égalité homme-femme et d’un imaginaire égalitaire« , autrement dit un prix dont la consistance et la finalité sont discutables, revient là encore à Petit Samedi sans qu’on sache exactement pourquoi au regard d’autres films de la compétition qui semblent bien plus égalitaires à ce niveau là. Bref, ce palmarès n’a ni queue ni tête.

II. La compétition officielle du 35ème FIFF de Namur

-> 1982 de Oualid Mouaness – Fiction – Liban – avec Nadine Labaki, Mohamad Dalli, Rodrigue Sleiman

Thibaut Grégoire : Le début de la guerre du Liban vue par le prisme de l’enfance et d’une classe de primaire devant être évacuée au moment des premiers bombardements. Le film est gentillet, les scènes avec les enfants sont plutôt réussies tandis que celles entre adultes sont innommables, gâchées par des dialogues de soap-opera et par un jeu du même acabit – mention à Nadine Labaki. 1982 est lisse et ennuyeux, mais probablement sauvé du naufrage complet par ses plus jeunes personnages et par un final qui embrasse complètement leur point de vue, notamment par le recours au dessin et la référence au manga.

Guillaume Richard : Rien à signaler dans ce téléfilm laborieux où Nadine Labaki réussit encore à surjouer les émotions les plus intimes. Oualid Mouaness cherche néanmoins par moments à filmer à hauteur d’enfants, notamment lorsque Beyrouth et les attaques militaires sont vues à travers l’imagination d’un jeune garçon incarné par Mohamad Dalli. Cela donne lieu à quelques plans relativement mémorables (épuisants pour nous, mais pourquoi pas…) qui ne parviennent cependant pas à sauver l’ensemble, même si un rapprochement inévitable (et qu’on souhaiterait évité dans la perspective d’une remise de prix) peut être fait avec les événements dramatiques qui ont frappé la capitale du Liban le 4 août dernier. Le film ne fonctionne pas tant Oualid Mouaness peine à filmer et à emboîter aussi bien l’histoire d’amour qui unit Labaki à un autre professeur que celle du garçon qui veut déclarer sa flamme à une fille.

-> Adieu les cons d’Albert Dupontel – Fiction – France – avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié

Thibaut Grégoire : Le cinéma de Dupontel ne m’a jamais plu et ce n’est pas avec cette comédie rance et laide que ça va changer. Le jury a exprimé son amour pour le film, notamment en couronnant Virginie Efira pour son interprétation. Faire triompher une actrice pour un de ces plus mauvais rôles, c’est toujours très embarrassant. Je pensais que ce film allait enfin montrer que Dupontel est un faux gentil, vaguement réac, mais il n’en est apparemment rien. Tout le monde aime Adieu les cons, les professionnels comme le public. Finalement, cet horrible titre est peut-être ironique….

Guillaume Richard : Pas vu, ou plutôt évité (à cause de préjugés, qui apparemment se sont vérifiés).

-> Collectiv d’Alexander Nanau – Documentaire – Roumanie

Thibaut Grégoire : Film à sujet, film-dossier, Collective documente les scandales politiques liés au service de santé en Roumanie ces dernières années. Le film est clairement divisé en deux parties, à la fois structurellement et qualitativement. Suivant des journalistes engagés, clairement habitué à la caméra et déterminés à tirer parti de celle-ci, la première ressemble presque à un film de fiction américain, façon Spotlight, une machinerie bien huilée dont le but principal est de convaincre à tout prix. La seconde s’intéresse au nouveau ministre de la santé, présenté comme atypique et humain, et l’accompagne dans sa découverte pas à pas de magouilles qui l’ébahissent. Lors de cette seconde partie, le film s’éloigne de son chemin balisé et de la démonstration pure et simple. C’est là qu’il peut réellement exister en tant que film de cinéma, même s’il s’avère dans son ensemble être plutôt un document, une pièce de l’histoire politique contemporaine, qu’un véritable film d’auteur.

Guillaume Richard : Ce documentaire roumain s’intéresse à l’incendie du Colectiv Club, une discothèque de Bucarest, causant la mort de plusieurs dizaines de personnes et révélant un scandale sanitaire au sein des hôpitaux du pays. Ce que montre le film est indiscutablement fort, des survivant(e)s de la tragédie à la situation lamentable des soins de santés (nous voyons des cadavres pourrir sur leurs lits), en passant par la corruption généralisée qui gangrène plusieurs niveaux de la société. Co-produit par HBO Europe, Collectiv ressemble ainsi à une machine de guerre hollywoodienne, à mi-chemin du documentaire Netflix et du film d’investigation tel que Spotlight de Tom McCarthy, Oscar du meilleur film en 2016. Le film reste néanmoins connecté au réel en révélant la réalité des mensonges et, fort heureusement, de la survivance et du courage. Il devient moins programmatique lorsque Alexander Nanau cesse de suivre le journaliste qui a révélé les différents scandales pour pénétrer dans le quotidien du nouveau ministre de la santé, un jeune idéaliste qui rêve d’éradiquer la corruption. Collectiv est construit en deux temps et c’est ce qui lui permet d’échapper au schématisme lourd que laissait présager sa première demi-heure.

-> Heidi en Chine de François Yang – Documentaire – Suisse

Thibaut Grégoire : Accompagnant sa mère Heidi sur les traces du passé de sa famille et de la Chine, dans un voyage lui permettant de retrouver des frères et une sœur qu’elle n’a jamais vraiment connus, François Yang déploie un récit humain dans lequel l’intime enrobe et accueille une quête d’identité liée à l’histoire socio-politique d’un pays et parvient à en dire beaucoup sur le sujet qu’il étreint sans jamais tomber dans la démonstration ou le didactisme. La manière dont ce film supplante à mon avis tous les autres au sein de la compétition officielle en dit long sur la cohérence de celle-ci. Évidemment, ce documentaire intimiste n’a pas vraiment été l’objet d’une mise en avant de la part de l’organisation du festival ou des médias le couvrant, on a préféré mettre l’accent sur les films à sujets et/ou coup-de-poing. C’est finalement assez logique qu’il n’ait pas récolté de prix, même si cela me met profondément en colère.

Guillaume Richard : Le film le plus fort vu cette année au festival, alors que son titre m’avait bêtement refroidi ! Merci à Thibaut, dénicheur de talents, pour la découverte. C’est incompréhensible que Heidi en Chine n’ait pas gagné au moins un prix. Le voilà très probablement destiné aux oubliettes. Dès les premières minutes, on est pris par le mystère et l’émotion devant cette femme à l’histoire singulière, qui est la mère du cinéaste et dont les zones obscures de sa vie vont être lentement éclaircies. François Yang filme toujours frontalement (Dieu merci, les plans de dos, sur la nuque, sont minoritaires voire absents) et aux côtés des protagonistes sans avoir besoin d’un dispositif qui aurait pu être aliénant ou inutile. Bien au contraire, en faisant confiance à la magie irréductible du réel et au pouvoir de révélation du documentaire, François Yang parvient à dépasser le cadre de la petite chronique familiale, dont il dresse un portrait à la fois émouvant et complexe, pour toucher quelque chose de plus universel. La dernière partie, qui repose sur la révélation du demi-frère d’Heidi, fonctionne comme une puissante épiphanie où les larmes n’ont rien d’impudique mais en disent beaucoup sur une histoire intime (celle de la famille) et collective (celle de la Chine).

-> Josep d’Aurel – Fiction/Animation – France – avec les voix de Sergi López, Bruno Solo, David Marsais

Thibaut Grégoire : Pour aborder un sujet historique délicat – la guerre d’Espagne et les camps de prisonniers – le dessinateur Aurel a choisi une ligne claire, une animation (très) épurée et un didactisme aplanissant. Pourquoi pas… Mais lorsqu’apparaissent enfin à l’écran les vrais dessins du protagoniste Josep – caricaturiste emprisonné dans un camp – dans toute la brutalité de leurs traits, la fadeur appliquée du reste du film ne ressort que plus flagrante. Là encore – comme dans 1982 – le final vient peut-être sauver quelque chose et justifier l’utilisation du dessin pour raconter cette histoire…. Mais ce n’est pas assez pour imprimer quelque chose durablement dans une mémoire de spectateur à mon avis, en tout cas pas dans la mienne puisque les estampes s’estompent déjà peu à peu.

Guillaume Richard : Vu deux fois, avec la même impossibilité de me laisser affecter. Si le film jouit d’un consensus critique qui me paraît exagéré (il faut consulter les critiques presses sur Allociné, certaines sont bien sucrées), je suis resté absolument sur le carreau, et je fixe donc rendez-vous au film plus tard pour une nouvelle rencontre.

-> La Déesse des mouches à feu d’Anaïs Barbeau-Lavalette – Fiction – Québec – avec Kelly Dépeault, Éléonore Loiselle, Caroline Néron

Thibaut Grégoire : L’indéniable navet de cette sélection : une espèce de caricature boursoufflée de l’idée fausse que l’on pourrait se faire d’un film québécois hystérique. C’est un peu comme si un monteur fou avait réalisé une compile de tout ce qu’il y a de pire et exaspérant dans le cinéma de Xavier Dolan – cinéaste par ailleurs apprécié – tout en grossissant le trait jusqu’à en faire une parodie. On en revient encore à la pudeur, à ce qu’il faut filmer ou pas, ce que l’on choisit de montrer et comment on le fait. Dans le cas présent, est-il nécessaire de faire un film sur des jeunes drogués en n’omettant dans aucun plan – presque littéralement – de montrer des jeunes filles et des jeunes garçons en train de se remplir le pif allègrement. Si le film est involontairement parodique, il prend en tout cas volontairement ses spectateurs pour des idiots auxquels il faut bien bourrer le mou et enfoncer le clou.

Guillaume Richard : Vingt ans plus tard, la scène culte de Titanic où Leonardo DiCaprio porte Kate Winslet les bras levés dans le vent fait encore des émules. Ici, elle est même saupoudrée d’un peu de Dolan pour mieux la lisser encore : le ridicule peut tuer, malheureusement. Et il atteint des sommets dans ce navet intersidéral venu du Québec. Catherine, dont on se demande comment elle n’est pas déjà morte d’une overdose, rencontre un bad boy pas si paumé et plutôt mélancolique. Il la ramène chez elle en vélo et c’est là qu’elle monte à l’arrière et profite de l’air en levant les bras horizontalement. Pour ceux qui n’avaient pas encore compris, elle se sent libre, ou plutôt elle trouve une forme de liberté en fuyant ses problèmes. L’adolescence, ça peut être beau et destructeur à la fois. Comment Catherine en est-elle arrivée là ? Ses parents ont des disputes violentes. Elle regarde aussi avec envie un groupe de jeunes marginaux. Et là bam, tabarnak, comme tous les gens qui rencontrent des problèmes, la pauvre petite sombre dans la drogue ! Le film s’ouvre sur un horrible plan de sa nuque où on l’entend respirer (par pitié, quand en finira-t-on avec ce cliché épuisant ?) et plus tard, quand ça ne va pas, elle plonge sous l’eau, vraisemblablement dans une piscine (?), au cas où on ne comprendrait pas qu’elle étouffe. Le film est donc très convenu et, comme Slalom, il clignote beaucoup. On suit ainsi la déchéance programmée de Catherine et on sait exactement à quelles scènes s’attendre. Quand son chum se suicide à la fin, Anaïs Barbeau-Lavalette a le mauvais goût de filmer et de monter des séquences où le garçon semble radieux, tel un ange qu’on aurait crucifié trop tôt. À ce moment, malheureusement (encore), j’ai ri, ce n’était plus possible de se retenir.

-> La Nuit des Rois de Philippe Lacôte – Fiction – Côte d’Ivoire – avec Koné Bakary, Steve Tientcheu, Rasmané Ouédraogo

Thibaut Grégoire : Il a fallu dépasser les premières scènes et un style de jeu très « télénovelas » pour entrer dans ce film qui embrasse dans son esthétique et sa narration des influences du théâtre africain et de la tradition orale. Les rites de croyance empruntant constamment à la théâtralité qui sont montrés dans le film font à la fois l’intérêt et la limite du film, le délimitant dans un carcan défini. La Nuit des rois exerce néanmoins un certain pouvoir de fascination, qu’il est difficile d’expliquer, mais échoue dans son dernier tiers à porter son discours sur la croyance et le pouvoir des histoires vers une dimension métaphysique et/ou fantastique qui ne se devine qu’entre les lignes.

Guillaume Richard : Dans une prison d’Abidjan, un jeune prisonnier est désigné comme nouveau « Roman », un rituel qui consiste à l’obliger de raconter des histoires toute une nuit. Durant celle-ci, une événement des plus improbables se produit : Barbe Noire, le chef des prisonniers, meurt et se réincarne en Bambi dans la forêt qui entoure la prison ! Ce postulat grotesque est renforcé par les chorégraphies des prisonniers qui jouent les histoires que raconte Roman et d’autres passages fulgurants qui n’ont peur de rien (un éléphant numérique qui passe à l’attaque !). Malgré cet ésotérisme fumeux, La Nuit des Rois tente un pari résolument anti-naturaliste avec honnêteté et persévérance. Comme nous aimons les films poreux, on ne peut pas lui reprocher cette dimension conceptuelle plutôt minoritaire dans le cinéma actuel où dominent la psychologie, le réalisme et le naturalisme.

-> La Troisième Guerre de Giovanni Aloi – Fiction – France – avec Anthony Bajon, Karim Leklou, Leïla Bekhti

Thibaut Grégoire : On peut apparemment voir dans ce film une immersion existentielle dans le vide patriotique et la paranoïa de jeunes hommes et femmes sans repères, lesquels se réfugient dans l’armée suite à un électrochoc – ici les attentats de novembre 2015 en France. Je n’y ai pour ma part vu qu’un film coup-de-poing extrêmement naïf qui enfile des lieux communs sur le non-interventionnisme de l’armée et le sentiment d’impuissance des soldats. J’aurais effectivement aimé que la mise en scène nous place plus dans la tête des protagonistes mais ce que l’on voit n’est qu’une enfilade de scènes « à faire » montrant leur impuissance sur le terrain. Peut-être que je suis passé à côté de ce film, que je n’y ai pas vu ce qu’il fallait y voir…. Ce que j’ai vu et entendu m’a fortement déplu : des pistes scénaristiques lâchées dans le vent puis rattrapées en cours de route pour servir de « deus ex-machina », une voix-off laborieuse et échouant à mon avis à saisir le basculement psychologique qui mène le héros à ses actes de la fin du film, une bande son plutôt assommante et un casting inégal duquel il faut tout de même sauver le prometteur Anthony Bajon, au jeu et à la personnalité singulière.

Guillaume Richard : La Troisième Guerre, le deuxième film que j’ai aimé durant le festival, s’intéresse à ce qui se passe dans la tête de trois militaires engagés dans les rues de Paris pour endiguer la menace terroriste. La force du film réside moins dans le portrait résolument psychologique des personnages que dans la description du vide absurde et presque métaphysique qui l’entoure. Les trois militaires, comme des machines tournant à vide, sont en effet livrés à eux-mêmes et obligés de se raconter des histoires dans lesquelles le mal à combattre doit trouver une place. Ils voient littéralement le mal partout et en même temps, comme on le sait, ils ne peuvent pas intervenir en dehors de leurs missions. Le film montre bien cela, et va parfois plus loin sans pour autant aller là où on pouvait l’attendre : dans la science fiction, où une troisième guerre aurait pu éclater. Léo (Anthony Bajon) y fait pourtant allusion dans un monologue. Le film postule plutôt que la troisième guerre est déjà en cours contre Daech mais aussi peut-être, plus maladroitement, dans les affrontements entre les casseurs ayant intégrés la lutte des gilets jaunes et la police. C’est clairement la limite politique du film, qui est ici plutôt contradictoire. Car lorsque la Marseillaise retentit et est chantée par les militaires d’une façon un peu retenue et saccadée, on se dit que le film réussit quand même à faire ressentir toute l’absurdité d’une guerre difficile à mener.

-> Petit Samedi de Paloma Sermon-Daï – Documentaire – Belgique

Thibaut Grégoire : J’ai toujours du mal avec ce type de dispositif documentaire qui consiste pour un réalisateur ou une réalisatrice à filmer des membres de sa famille frontalement, dans la quotidienneté, pour exposer un « problème » qui les travaille intimement. Dans Petit Samedi, Paloma Sermon-Daï filme son grand-frère, Damien, qui souffre de toxicomanie, et ses rapports avec sa mère, laquelle semble se dédier exclusivement à surveiller et prendre soin de ce fils fragile – qui en retour prend également soin d’elle –, parfois au détriment de ses autres enfants. Puisque de pudeur il a été question au moment ou le Bayard d’Or a été remis à ce film, parlons-en plus longuement. Le film est à mon avis à la fois déséquilibré et intéressant quant à son degré de pudeur, justement. Premièrement, concernant certaines scènes, il est difficile de dire ce qui est rejoué et ce qui a été pris sur le vif. Dans un cas comme dans l’autre, ce qu’il en ressort, c’est que les scènes où la réalisatrice filme son frère seul ou face à sa psy, dans la manière de filmer et dans ce qui est dit et montré, referment il est vrai une certaine dose de retenue, quand bien même le personnage se place tout de même dans une démarche confessionnelle, directe et sans beaucoup de filtres par rapport à ce qu’il déballe. Par contre, d’autres scènes, avec la mère, sont d’après moi beaucoup plus problématique. Là encore, qu’il s’agisse de scènes rejouées ou non, le résultat est dans les faits nettement plus impudique, se rapprochant même par moments de la sinistre émission « Strip-Tease ». La pudeur ne relève pas seulement ce que les personnes sont prêtes à donner devant la caméra, c’est aussi la manière dont ceci est capté par celui qui filme, et aussi ce que le spectateur est prêt à recevoir de ce qui est donné et capté. La question de la pudeur et du malaise doit à mon avis prendre en compte ces trois parties prenantes du film (filmé / filmeur / spectateur).

Guillaume Richard : Beaucoup de films, qu’ils soient de fiction ou de documentaire, reposent aujourd’hui sur une équation bien connue : « mettre en place un dispositif de distanciation = éviter le pathos ». Sauf qu’à force de prendre des distances, on peut en arriver à ne plus rien raconter du tout. C’est l’impression que m’a laissé Petit Samedi avec ses longs plans fixes léchés et toujours cadrés à plusieurs mètres des protagonistes, soit tout l’inverse de Heidi en Chine qui est aux côtés de ses personnages tout en réussissant à éviter le pathos et à dépasser le cadre de la petite chronique familiale. Il y a dans Petit Samedi une artificialité créée par ce respect de la distance, qui se double d’une sorte de vacuité puisque peu de choses émergent des séquences. Celles avec la mère sont ainsi gênantes, on la voit par exemple parler à des jeunes qui se moquent d’elle dans une scène qu’on dirait maladroitement prédisposée. Le dispositif fonctionne un peu avec le frère, qui est le véritable sujet du film, mais l’ensemble reste conventionnel.

-> Si le vent tombe de Nora Martirosyan – Fiction – Arménie – avec Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan

Thibaut Grégoire : Il y a quelques idées et quelques images qui me plaisent et qui me restent de ce film dont je ne peux par ailleurs pas dire grand-chose. C’est peut-être le fait d’avoir vu trop de (mauvais) films en peu de temps et d’essayer de concevoir un avis et/ou un ressenti sur chacun, qui m’empêche de comprendre pourquoi j’apprécie celui-ci. J’en vois les défauts – certains dialogues martelés, un maniérisme parfois embarrassant, – mais j’ai préféré en garder les qualités, que je n’arrive malheureusement pas à verbaliser. Au lieu de me lancer dans des lieux communs, je préfère donc ne pas dire plus que ceci.

Guillaume Richard : Pas vu.

-> Slalom de Charlène Favier – Fiction – France – avec Noée Abita, Jérémie Renier, Muriel Combeau

Thibaut Grégoire : Encore un « grand » film à sujet au sein de cette compétition, cette fois-ci sur l’emprise et les abus sexuels – en l’occurrence dans le sport. Slalom est un film-démonstration, qui veut retracer le parcours d’une ado sous emprise, du début des abus jusqu’au moment où elle trouve la force de dire « Non » – c’est le dernier mot prononcé à la fin du film, qui sonne comme un « CQFD » conclusif. Malheureusement, le film échoue à capter tous les moments de cette trajectoire, ces « slaloms » qui devraient pourtant constituer le cœur du film, qui sont bien là visuellement mais que la mise en scène échoue à théoriser et/ou à élever émotionnellement en les mettant en parallèle avec ce que vit l’héroïne. Reste Noée Abita dans le rôle principal, qui n’aurait sans doute pas volé un prix d’interprétation….

Guillaume Richard : Tronquant une paire de ski offrant légèreté et agilité pour se chausser de très gros sabots, Slalom prolonge la tradition du film coup de poing, maîtrisé au millimètre près, qui ne cesse de clignoter en appuyant sur de nombreux détails afin de bien suggérer au spectateur ce qui l’attend. En l’occurrence, une agression sexuelle suivie d’une relation toxique d’emprise d’un moniteur de ski sur une jeune skieuse talentueuse. Si le film évite une chute fracassante grâce à ses 20 dernières minutes, la montée comme la descente furent pénibles à force de mâchouiller un seul et même sujet, sans surprises ni autres perspectives, ce qui est le problème de bien des films dits « à sujet ». La preuve avec le personnage de Maximilien, l’ado bien coiffé que Lyz (Noée Abita) embrasse sans suite. Mention spéciale également aux plans de montagnes dont on ne sait s’ils ont été imposés par la région Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma qui a co-produit le film ou s’ils évoquent quelque chose de précis.

-> Une vie démente d’Ann Sirot & Raphaël Balboni – Fiction – Belgique – avec Jo Deseure, Jean Le Peltier, Lucie Debay

Thibaut Grégoire : Au sein d’une sélection très faible, on en vient à surévaluer et réévaluer des films pour ce que j’appellerais des qualités négatives. Une vie démente n’est selon moi pas à proprement un film à sujet car son sujet – Alzheimer – n’est finalement qu’une manière de parler des personnages qu’il met en scène et d’observer les acteurs dans leur jeu. Le film n’est également pas obscène dans sa représentation de la maladie car il parvient à détourner cette obscénité par un « décalage poétique » plus ou moins réussi. Au-delà de ce que le film n’est pas, il s’avère plutôt honnête et humble, et permet surtout à ses acteurs d’exister et de créer ensemble. Le prix d’interprétation pour un ou plusieurs membres du casting n’aurait là non plus pas été démérité, d’autant plus quand on sait où il a fini par atterrir – je vise là le rôle et le film, pas l’actrice.

Guillaume Richard : Vous n’avez pas d’idées de cadeaux pour Noël ? Ann Sirot et Raphaël Balboni peuvent vous aider grâce à la ligne de vêtements qu’ils semblent avoir développée autour du thème floral et verdoyant qu’on retrouve dans Une vie démente, décliné à la fois en masque, t-shirts ou jeu de lit (personnellement, je commanderai(s) ce dernier). La présentation du film par l’équipe s’accompagnait ainsi d’un mini défilé de mode. Est-ce qu’ils fabriqueront également une autre gamme de vêtements inspirée des séquences où les personnages se rendent chez le médecin ou le banquier ? Durant celles-ci, la couleur de leurs habits, chaque fois différente, s’accorde avec celle de la pièce sans qu’on en comprenne réellement la finalité, si ce n’est peut-être d’apporter une touche décalée à la belge. Celle-ci est sous-entendue dans le titre qui joue sur son double sens, et le film, par moments, parvient à être dément sans oser creuser dans ce sillon. Il opte au contraire pour un portrait sensible et attendu d’une femme atteinte d’une maladie neurodégénérative. Le programme est connu : petit à petit, la situation va se dégrader jusqu’à atteindre des moments parfois éprouvants. Même si le film s’intéresse aux relations des quatre personnages principaux (les acteurs sont très bons, aidés par la liberté octroyée par la mise en scène), il peine à montrer autre chose que les dégâts causés par la maladie. Le choix de filmer les séquences frontalement et en une prise n’apporte pas grand chose, et laisse peu de place au spectateur pour respirer. Et lorsque c’est le cas, et que l’émotion monte, une musique additionnelle envahissante vient parfois tartiner les scènes. Dommage.

-> Vaurien de Peter Dourountzis – Fiction – France – avec Pierre Deladonchamps, Ophélie Bau, Sébastien Houbani

Thibaut Grégoire : Là aussi, il s’agit d’un film qui repose pour moi sur une qualité négative. Ce n’est pas du tout un film à sujet et j’imagine que c’est ça qui ne m’a pas déplu. C’est un film de personnage. On suit un protagoniste qui n’est pas attachant, pas sympathique, qui s’avère même être une ordure. On le suit, c’est tout. La dimension arbitraire de cette démarche peut agacer ou intéresser. Dans le flux de films à thèses et à grands sujets de société, terminer le FIFF – c’était le dernier film que j’ai vu en salles cette année – par un film qui ne parle de rien sinon d’un homme et de sa trajectoire, et qui le fait de manière déterminée, voire bornée, n’était pas désagréable même si le film en tant que tel n’est certainement pas agréable.

Guillaume Richard : Pas vu.

III. Les films « hors-compétition »

-> Un triomphe d’Emmanuel Courcol – Fiction – France – avec Kad Merad, David Ayala, Sofian Khammes (Film de clôture)

Thibaut Grégoire : Comme dans Le Grand bain de Gilles Lellouche, le « feel-good movie » rassembleur dissimule ici également quelque chose d’un peu rance sur la masculinité retrouvée à travers une activité (re)valorisante. Un triomphe, dans ce qu’il raconte, est vraiment très curieux et pervers, car il met en scène un « loser » – un acteur raté – qui entraînent d’autres « losers » – des détenus – dans un projet de pièce de théâtre censé les aider dans leur parcours, alors qu’au final, c’est lui – le mauvais acteur professionnel, donc – qui va tirer profit de cette « aventure humaine » pour se mettre en valeur. À cet égard, le climax du film est tout simplement insupportable, d’autant plus qu’il est « porté » par un monologue surjoué par le cabotin Kad Merad, qui est effectivement un mauvais acteur.

-> La Francisca, une jeunesse chilienne de Rodrigo Litorriaga – Fiction – Belgique – avec Javiera Gallardo, Aatos Flores, Francisco Ossa (Les Pépites)

Thibaut Grégoire : Derrière la chronique vendue par le titre et l’aspect monotone d’un film classique se cache en réalité un déplaisant film à twist, ou la banalité du quotidien et l’arrière fond socio-politique dissimule un secret qui permet de terminer le film en forme de claque administrée au spectateur. Rodrigo Litorriaga manipule ses spectateurs et les endort pour mieux leur révéler avec fracas ce qu’ils auraient été trop bête pour découvrir d’eux-mêmes. Cette « pépite » pue trop pour être de l’or.

-> Ailleurs, partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter – Documentaire – Belgique (Place au doc belge)

Thibaut Grégoire : Difficile d’émettre un avis de cinéphile sur ce genre de documentaire d’installations : le récit en voix-off d’un réfugié iranien en errance posé sur des images de caméras de surveillance venues des quatre coins du monde. Comme concernant un court-métrage vu également cette année au FIFF – Nuit debout, avec un dispositif en trois écrans, destiné aux musées mais ici projeté en salles –, le film échappe à l’analyse car, soit il s’auto-suffit conceptuellement, soit son contenu est trop flou pour ne pas devoir être accompagné d’une solide note d’intention en amont de sa vision.

-> China Dream de Hugo Brilmaker et Thomas Licata – Documentaire – Belgique (Place au doc belge)

Thibaut Grégoire : Couronné de manière incompréhensible d’un prix du public du documentaire, ce reportage léché et maniériste terminera probablement sur La Trois. Que ce film-ci ait été préféré à Heidi en Chine, voire même à Collective ou Petit Samedi, en dit long sur la manière dont la majorité des spectateurs conçoivent le documentaire. Tant que celui-ci sera représenté par ces productions belges qui passent à la télé, « documentaire » sera toujours synonyme de « reportage » dans la tête du grand public.

-> Douce France de Geoffrey Couanon – Documentaire – France (FIFF Campus)

Thibaut Grégoire : Dans ce documentaire « engagé », des adolescents mènent l’enquête sur l’utilité et les potentiels dangers de l’installation d’un nouveau complexe commercial sur des champs d’agriculture dans la région parisienne. Difficile de savoir à la vision de ce film à quel point les adolescents filmés sont autonomes dans leur démarche, tant ils semblent plutôt être instrumentalisés – par leurs professeurs et/ou par l’équipe du film – pour choisir la « bonne » voie et adopter la « bonne » opinion sur le sujet. Un documentaire qui ne donne à ce point aucune clé sur sa fabrication et tente de gommer toute trace de la méthode utilisée ne peut que s’exposer à des interrogations sur l’honnêteté de sa démarche.

Le 35ème FIFF s’est déroulé du 2 au 9 octobre 2020 à Namur

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