Critique et analyse cinématographique

FILM FEST GENT 2013 – « L’Inconnu du lac » d’Alain Guiraudie

Après Le Roi de l’évasion, qu’il qualifie lui-même de comédie utopiste, le cinéaste français Alain Guiraudie a voulu faire un film plus grave et parler plus intensément du désir. Si l’homosexualité était déjà un thème récurrent de ses films précédents, elle était souvent traitée sur le ton du décalage et de la camaraderie. Elle est au centre de L’Inconnu du lac sans pour autant être identitaire, puisqu’elle y apparaît comme évidente. Guiraudie tend d’ailleurs à la faire entrer dans une dimension universelle, en montrant les corps en communion avec la nature.

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La dramaturgie du film est extrêmement simple : elle s’attache uniquement à trois lieux qui n’en forment en réalité qu’un seul – la plage naturiste, le bois voisin et le parking – et repose sur la répétition du même, jour après jour, avec le ballet des voitures sur le parking, les conversations sur la plage et les déambulations sexuelles dans le bois. Ce dispositif transforme presque la plage et ses alentours en scène de théâtre protéiforme où les personnages évoluent devant le regard complice du spectateur. Il n’est effectivement pas question ici de voyeurisme puisque la configuration de la plage, et la manière dont on s’assied face à la mer appelle à une ouverture de l’espace et à une disposition idéale face à la caméra.

Cette notion de voyeurisme est d’ailleurs travaillée par le film par le biais du personnage du « mateur » qui pourrait dès lors être assimilé à un spectateur extérieur qui s’immisce dans les ébats et les passions qui se tissent, mais cette hypothèse est ensuite balayée lorsque ce personnage est pleinement intégré à l’intrigue, symbolisant ainsi l’invitation au spectateur qui était déjà suggérée.

Ce que le spectateur est invité à voir, outre cette valse de dragues et de relations sexuelles décomplexées, c’est la passion naissante de Franck pour Michel, un grand moustachu à l’air inquiétant, et son amitié grandissante envers Henri, un gros homme étrange qui passe ses journées sur la plage tout en restant à l’écart des autres. Bien qu’il ait vu Michel noyer son amant dans le lac, Franck est inexorablement attiré par lui et le protège durant l’enquête qui suit la découverte du corps, tout en ne lui révélant jamais qu’il a été témoin de son geste.

Au fur et à mesure que le film avance, et que la relation entre Franck et Michel se concrétise sans pour autant évoluer – Michel restant aussi énigmatique du début à la fin – il glisse peu à peu vers une esthétique moins lumineuse, et commence à accumuler les scènes de nuit. L’apparition progressive d’une étrangeté proche du fantastique se concrétise aussi par l’apparition – ou les apparitions successives – de l’inspecteur, qui surgit à chaque fois sans crier gare, tel un démon malicieux ou un elfe sorti des bois.

Dans un dernier quart d’heure où tout s’emballe, le film trouve son aboutissement logique dans une scène de nuit de plus en plus pesante. Dans les dernières minutes, le noir se fait envahissant et la visibilité du spectateur se trouve aussi réduite que celle des personnages. Alors que l’image disparaît peu à peu, le réel en fait de même et laisse l’étrangeté prendre le dessus, achevant d’apporter une dimension mythique et mystique à ce qui avait commencé sur une note quasi-documentaire.

Thibaut Grégoire

 

Le 40ème Festival du Film de Gand se tient du 8 au 19 octobre

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3 Réponses

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  3. j’ai pu voir le film à cannes au festival et c’est vrai que c’est un très bon film

    décembre 21, 2013 à 23:11

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