Critique et analyse cinématographique

« Drive » de Nicolas Winding Refn

Récompensé à Cannes par le Prix de la mise en scène, Drive est effectivement un sublime exemple de film de mise en scène, dans lequel la maîtrise du cadre côtoie la retenu des tensions, avant l’explosion finale.

Les dix premières minutes du film, en forme d’introduction, résonnent comme une théorisation parfaite de ce que sera le film, une démonstration exemplaire de maîtrise totale. A l’image du « Driver », qui conduit deux braqueurs à travers les rues de Los Angeles, avec une dextérité absolue, Nicolas Winding Refn conduit son film avec sang-froid, tout en retenue, vers un final en forme de feu d’artifice. Tout est ici question de réserve, presque de paraître. Le film cache son jeu le plus longtemps possible pour rendre plus percutante la razzia finale.

La notion de maîtrise, qui est à la fois la caractéristique principale du cinéma de Refn et un des enjeux du film, transparaît par tous les pores de cet exercice de style parfaitement exécuté. Ce qui rend cette mise en scène si efficace est précisément qu’elle joue avec sa propre perfection. Ce qui pourrait ainsi quelques fois passer pour une esthétisation à outrance devient une force dans la dernière ligne droite, quand les coutures lâchent. Les filtres de lumières, la stylisation du jeu, la bande originale décalée,…. Tous les artifices utilisés sont revendiqués comme tels. Ils ne sont en fait que des masques destinés à cacher la vraie nature du film et de son personnage.

Chevalier blanc le jour, pour sa voisine et le fils de celle-ci, et chauffeur du crime la nuit, ce personnage sans identité fixe s’en cherche également une troisième au cinéma, où il est cascadeur professionnel. Mais là, encore, il n’a pas de nom, et pas de visage. Dans un plan très symbolique, il enfile un masque pour exécuter une cascade, et passe de l’autre côté du miroir. Constamment en équilibre instable entre le bien et le mal, entre la réalité et la fiction, cet homme sans nom et sans visage finira probablement par basculer vers l’un des deux côtés. Mais perdre toute notion de réalité et sombrer complètement dans la folie est finalement peut-être ce à quoi il était destiné, et sa véritable personnalité est peut-être tout bonnement de ne pas en avoir.

Cette perte d’équilibre, Nicolas Winding Refn la capte notamment dans les scènes de route, en utilisant la voiture comme un véritable instrument de cinéma, qui permet à la fois de montrer le personnage et ce qu’il voit. Prenant l’ensemble du cadre, le pare brise donne sur la route, sur la vue d’ensemble qu’a le conducteur, tandis que le rétroviseur reflète en même temps ses yeux. La voiture permet à la fois d’être à la place du personnage et en dehors de lui. C’est dans cette recherche constante entre subjectivité et distanciation que le film se rapproche intrinsèquement de ce que peut proposer une voiture en tant qu’instrument visuel. Il suit à la trace le personnage du « Driver », mais reste à l’affut d’un regard extérieur – celui d’un autre personnage par exemple – qui permettra de se rendre compte du déséquilibre dont il est atteint.

Ce déséquilibre culminera notamment lors de la fameuse scène de l’ascenseur, dans la dernière partie du film. C’est le moment où la folie du personnage apparaît pour la première fois, clairement, au personnage d’Irène, la voisine. Elle qui le considérait jusqu’alors comme un prince charmant, déchante rapidement, en quelques secondes, lorsqu’elle découvre son vrai visage. Mais là encore, tout sera question de distance, et les secondes se transformeront en minutes, par le simple biais du montage, cet autre instrument de distanciation à portée de l’auteur. En étirant la scène au maximum, il accentuera la prise de conscience implacable, qui renversera à jamais les rapports entre les personnages.

Dans Drive, le cinéma est donc présenté comme un lieu de l’instabilité, ou tout est constamment dans un équilibre incertain, et où l’explosion finale est presque inévitable. C’est ce qu’on appelle le climax. Et il n’est pas anodin de constater que l’un des climax du film (car l’explosion est multiple) prend lieu dans un ascenseur. C’est ce qu’est le film, un véritable ascenseur filmique, qui va crescendo, et où tout est question de montée en puissance.

Thibaut Grégoire

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