Critique et analyse cinématographique

« Fruitvale Station » de Ryan Coogler : Le chantage du réel

Récompensé à Sundance et présenté dans la compétition Un Certain Regard lors du dernier Festival de Cannes, Fruitvale Station est symptomatique du fossé qui sépare les conceptions américaine et européenne de ce qu’est un film d’auteur et de la tentation d’utiliser un fait réel afin de manipuler le spectateur.

Fruitvale-Station

Le 1er janvier 2009, Oscar Grant, jeune père de famille de 22 ans, se fait tirer dessus sans raison valable par un policier, lors d’une interpellation musclée dans le métro. Il succombera à sa blessure quelques heures plus tard. C’est de ce triste fait divers que Ryan Coogler tire la trame de son premier film, dont on comprend bien qu’il se veut, sinon militant, tout du moins sensibilisant sur les inégalités sociales et un certain racisme latent et inconscient dans l’Amérique d’aujourd’hui.

Le problème majeur du film est que, sous couvert de dépeindre une dure réalité cristallisée dans un fait divers sordide, il s’adonne délibérément à un chantage émotionnel outrancier et à un angélisme manichéen carrément obscène. Détaillant la dernière journée d’Oscar Grant jusqu’au « climax » que constitue le drame, le film sacralise a posteriori son personnage de quidam en en faisant un repenti de la dernière heure, doublé d’un « Family Man » finalement irréprochable. C’est justement et malheureusement lors du dernier jour de sa vie que cet ancien dealer décide de changer de vie et de rentrer dans le rang pour se consacrer pleinement et honnêtement à sa compagne et à sa petite fille.

Si l’utilisation de ficelles narratives aussi appuyées semblait réservée aux mélodrames hollywoodiens, on peut maintenant l’ajouter aux trucs et astuces de la méthode Sundance, qui paraît n’évoluer que dans le mauvais sens. Dans ce déferlement de bons sentiments filmés sans recul ni réel questionnement social ou politique, l’utilisation d’images réelles en ouverture et en clôture du film, comme une auto-légitimation, n’en paraît que plus déplacée.

Thibaut Grégoire

2 Réponses

  1. Pingback: Sorties Cinéma – 15/01/2014 | CAMERA OBSCURA

  2. A reblogué ceci sur Film de Merde.

    janvier 19, 2014 à 17:45

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