Critique et analyse cinématographique

« In Another Country » de Hong Sang-soo

On reproche parfois à Hong Sang-soo de faire toujours le même film. A raison d’un film par an, il est vrai que celui-ci livre couramment des œuvres qui se ressemblent, qui ont en tout cas des structures semblables, des personnages proches, et une même vision légèrement alcoolisée de la vie et de l’amour. C’est ce qu’on appelle un auteur. Mais avec In Another Country, on pourrait penser que le cinéaste donne le bâton pour se faire battre, en racontant carrément trois fois la même histoire dans un seul film.

En réalité, Hong Sang-soo utilise un type de structure dont il est coutumier. Sur une trame semblable, il met en scène trois épisodes, trois variations. Encadrés par un récit périphérique – une jeune femme travaille sur le scénario déroulé sous nos yeux –, les trois épisodes mettent tous en scène une femme française en visite dans une station balnéaire coréenne. Ce qui fait l’attrait de l’ensemble, et le fait ainsi éviter le piège du film à sketches, ce sont les constantes et les petites différences. Comme dans un jeu des sept erreurs, Hong Sang-soo s’amuse à disperser ça et là des clins d’œil et des chausse-trappes, renvoyant un épisode à un autre.

Un système narratif sous-tend néanmoins le film. D’une histoire à l’autre, les décors et les personnages restent globalement les même. Un seul personnage est différent à chaque fois, tout en gardant le même nom et la même interprète. Isabelle Huppert incarne tour à tour Anne, réalisatrice ; Anne, amoureuse transie ; et Anne, femme trompée. Dans les trois cas, Anne se retrouve à fréquenter les mêmes endroits, les mêmes personnes, à faire les mêmes choses, et à utiliser les mêmes objets. Plus que dans sa construction ou dans son intrigue répétée, c’est dans ces variations imperceptibles, ces jeux de pistes et ces instants volés que le film étonne constamment.

D’une histoire à l’autre, Anne agit donc de manière différente, puisqu’il s’agit de trois personnages différents, avec un vécu et des attitudes qui leur sont propres. Mais au-delà de la personnalité des personnages, d’autres composantes jouent le rôle de perturbateurs du déroulement de la fiction. L’alcool, tout d’abord, occupe une place de choix dans le récit, comme à l’accoutumée chez Hong Sang-soo. Le réalisateur l’utilise toujours de la même manière comme une véritable ressource scénaristique. Lorsqu’une vérité doit être dite, lorsqu’une situation doit être débloquée, c’est presque toujours par l’alcool qu’il s’emploie à le faire. D’un épisode à l’autre, la présence ou nom du fameux soju fera agir les personnages de telle ou telle manière, faisant donc partie intégrante du scénario à géométrie variable. De la même manière, Hong Sang-soo introduit une nouvelle donnée, vecteur de comique et de décalage : la langue. Le fait qu’Anne ne parle pas la même langue que la plupart de ses interlocuteurs est à la fois un moteur scénaristique et un ressort comique irrésistible, mais cela crée également de l’étrangeté dans les rapports entre les personnages. Cette communication difficile, faussée, entre Anne et tous les autres est le véritable sujet du film.

Dans un cinéma éminemment personnel, comme celui d’Hong Sang-soo, certaines caractéristiques restent toujours identifiables – personnages de réalisateurs, réhabilitation du zoom –, mais ce sont les petites particularités qui font tous le charme discret d’un de ses films. Tout comme l’alcool et la langue, Isabelle Huppert est utilisée comme une composante volatile par Hong Sang-soo. Ce qui rend cette collaboration si précieuse est que l’on ne saurait dire lequel est le plus inspiré par l’autre. Non seulement, le cinéma de Hong Sang-soo offre à Huppert un rôle atypique dans sa filmographie et la met dans des situations dans laquelle elle n’avait jamais été mise dans toute sa carrière, mais l’inverse est également vrai. Elle apparaît comme une charmante bizarrerie dans le cinéma de Hong Sang-soo et donne sa particularité à ce film dans la filmographie du cinéaste. Cela étant dit, cette notion de particularité est quelque chose d’extrêmement abstrait lorsque l’on aborde une filmographie comme celle-ci. En effet, chaque film, s’il s’inscrit dans une continuité, dans une œuvre à part entière, existe par lui-même et en fonction des humeurs des spectateurs. Il est difficile de dire qu’un film d’Hong Sang-soo est meilleur qu’un autre, tant tous peuvent s’imposer comme le plus beau selon les ressentis individuels. In Another Contry n’est donc peut-être pas le plus beau Hong Sang-soo, mais c’est assurément un grand film.

Thibaut Grégoire

Une Réponse

  1. Pingback: FILM FEST GENT 2017 – « La Caméra de Claire » de Hong Sang-soo | CAMERA OBSCURA

Laisser un commentaire