Critique et analyse cinématographique

« Microbe et Gasoil » de Michel Gondry : Retour vers le futur

Après le projet pléthorique de L’Écume des jours, Michel Gondry se devait de revenir à une plus petite production, comme le veut l’alternance métronomique avec laquelle il réalise ses films – L’Épine dans le cœur après Be Kind Rewind, The We and The I après The Green Hornet. Avec Microbe et Gasoil, il propose un film hautement autobiographique, tout en restant dans l’évocation et l’intemporalité.

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Tous deux marginalisés dans leur lycée – l’un à cause de son apparence juvénile qui lui vaut le surnom de Microbe, l’autre pour sa tendance au trifouillage de moteurs salissants lui valant celui de Gasoil – deux adolescents décident de prendre la route durant les vacances d’été, à bord d’une voiture-maison qu’ils ont eux même fabriquée, et cela sans prévenir leurs familles respectives.

Le bricolage a toujours été omniprésent dans le cinéma de Gondry, mais alors qu’il était principalement un outil de mise en scène, faisant partie intégrante de la forme des films sans en être véritablement le sujet – les films suédés de Be Kind Rewind, le trou des halles reconstitués en jouets dans L’Écume des jours , etc. – il est ici, à l’inverse, au centre du film et de son scénario sans être spécialement utilisé comme outil de fabrication. C’est que Michel Gondry parle de lui-même dans Microbe et Gasoil, peut-être plus explicitement que dans ses précédents films. Il est donc tout à fait normal que ses créations enfantines et ludiques – la maison sur roues, déjà esquissée par le lit sur roues dans une scène coupée d’Eternal Sunshine, ou encore les dessins érotiques que se fait pour lui-même le jeune Microbe/Gondry – soient montrées pour ce qu’elles sont et non plus comme des éléments décoratifs.

La voiture, le voyage et le trajet constituent un thème récurrent et une obsession dans les films de Michel Gondry. Si l’engin en mouvement permettait des jeux et des interactions dans The We and the I, il permet ici de voyager dans le temps, pour Gondry et ses personnages. Il est évident que le réalisateur prend l’escapade de Microbe et Gasoil comme prétexte pour évoquer sa jeunesse, mais il se refuse néanmoins à faire un véritable saut dans le passé. Ce sont les personnages qui vont l’amener vers une atemporalité à la fois concrète et étrange : Gasoil ne supporte pas les expressions et attitudes de ses congénères, tandis que Microbe se débarrassera de son portable d’une façon qui ne laisse aucun doute sur ce que pense l’auteur de cet objet trop encombrant. Mais les deux héros ne seront malgré tout pas d’accord sur quel chemin emprunter pour s’évader du « ici et maintenant ». S’ils veulent bien tous deux prendre la route pour échapper à des espaces qui ne leur conviennent plus – l’école, la famille,… –, Gasoil veut se tourner vers le passé et retrouver un camp de vacances qu’il a fréquenté enfant, tandis que Microbe veut retrouver une jeune fille avec qui une idylle est peut être possible… à l’avenir.

Gondry est indubitablement mal à l’aise avec le présent mais il ne sait quel chemin emprunter pour y échapper. C’est pour ça qu’il se construit de film en film ces échappatoires visuels et spatiotemporels qui lui permettent de rester hors-temps – qu’il s’agisse du rêve dans Eternal Sunshine, du bus scolaire dans The We and the I, des films bricolés dans Be Kind Rewind, ou de la maison-voiture dans Microbe et Gasoil. Mais cela ne l’empêche pas de composer avec la réalité et d’y revenir au risque d’un atterrissage en force : après leur traversée, Microbe et Gasoil reviendront à bon port et devront accepter une rentrée abrupte, faite de désillusions et de séparations. Tout comme L’Écume des jours et The We and I, Microbe et Gasoil est un film double, dans lequel la partie joyeuse et ludique ne masque qu’un temps le versant profondément mélancolique.

Thibaut Grégoire

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