Critique et analyse cinématographique

« Mon amie Victoria » de Jean-Paul Civeyrac : Conte moral

S’attaquant à l’adaptation d’un roman de Doris Lessing, Victoria et les Staveney, le discret Jean-Paul Civeyrac livre une tentative réussie de transposition du littéraire – dans la forme et la narration – au cinéma. Mon amie Victoria est aussi un conte moral sur la conscience de classes et sur les contradictions idéologiques d’une certaine bourgeoisie.

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Après avoir passé une nuit par hasard dans un foyer bourgeois, lors de son enfance, la jeune Victoria développe une fascination pour la famille en question. Quelques années plus tard, elle a une relation avec l’un des fils de la famille, de laquelle naîtra une petite fille, dont elle cachera durant des années l’existence au père. Après une autre relation à la fin tragique, et la naissance d’un autre enfant, Victoria décide finalement de présenter sa fille Marie à son père. Mais cette décision entraînera pour Victoria une dépossession progressive de la vie de sa fille et aura également des conséquences sur l’éducation de son autre enfant.

Au-delà du fait de confier plusieurs des rôles principaux à des acteurs noirs, dont celui de Victoria, Jean-Paul Civeyrac signe incontestablement un film politique, dans la manière dont il aborde les différents milieux sociaux qu’il dépeint. S’il porte un regard bienveillant et apaisé sur l’entourage de Victoria, la vision qu’il donne de la famille bourgeoise, sans être féroce ou à charge, se situe plus dans une optique critique, voire satirique, de l’hypocrisie et du décalage entre les idées et les actes.

Cette impression de distanciation par rapport à ce qu’il montre – renforcée par une direction d’acteurs tout en détachement – ainsi que le type de narration qu’il a choisi – l’histoire est racontée par la voix-off très littéraire et omnisciente de Fanny, la meilleure amie de Victoria – donnent au film de Civeyrac un petit air de « conte moral », dans la lignée de ceux d’Éric Rohmer. Cette filiation est d’ailleurs appuyée par un élément du casting, la présence de l’acteur rohmérien Pascal Greggory dans le rôle du grand-père envahissant.

À côté de cette référence très cinéphilique et allusive, on peut aussi voir le film comme un pur mélodrame, toutefois dénué de pathos et de sentimentalisme. Le destin de Victoria est celui d’une héroïne tragique, mais Civeyrac l’intègre pleinement dans son univers personnel, en lui donnant aussi une dimension déambulatoire. Son cinéma est en effet peuplé de fantômes – au sens propre ou au figuré – et le titre de l’un de ses films cite d’ailleurs clairement cet aspect (Fantômes, 2001). Dans des scènes à la lisière de l’onirisme, il dessine une allégorie très claire entre le somnambulisme de Victoria et la manière dont celle-ci passe dans sa propre vie sans avoir réellement prise dessus. Cette manière de convoquer le déterminisme social comme liant à son mélodrame moderne peut paraître ambigu – si personne n’échappe à son destin, cela peut vouloir dire que personne n’échappe à sa condition sociale – mais a en tout cas le mérite d’amener à la réflexion, sans apporter de réponse toute faite et définitive. Cela s’inscrit en tout cas totalement dans une démarche esthétique et de mise en scène propre au cinéma de cet auteur.

Thibaut Grégoire

 

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