Critique et analyse cinématographique

« Tom à la ferme » de Xavier Dolan : Mauvais genre

Avant la vision de Tom à la ferme, quatrième film d’un cinéaste de vingt-cinq ans qui est souvent qualifié de génie par la critique, on ne peut s’empêcher de se demander si celui-ci est traité comme tel en raison de son âge ou de sa production. Après un film lyrique et ample (Laurence Anyways), Dolan revient sur un mode plus mineur, en se frottant même au film de genre.

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Le Tom du titre est un jeune publicitaire qui se rend à la campagne pour assister à l’enterrement de son compagnon, décédé dans un accident de voiture. Il découvre que la mère du mort ignorait tout de l’homosexualité de son fils, maintenue dans l’ignorance par son aîné, espèce de brute épaisse ultra-violente et bornée. Tom se voit alors opprimé et obligé de mentir par ce frère qui lui rappelle invariablement son amant, et se laisse petit à petit prendre au jeu de la domination, tout en remplaçant le fils perdu aux yeux de la mère.

S’il traite de l’homophobie latente qui subsiste dans les recoins sombres de la société, Tom à la ferme se refuse d’être un film à sujet et s’en éloigne à la fois par le choix du genre comme porte d’entrée, mais également par la mise en scène lyrique et ironique de Dolan. Sur un plan purement scénaristique, le simple fait que la victime soit consentante produit de l’étrangeté et fait entrer le film dans une dimension plus ambigüe. De la même manière, l’alternance des scènes de violence morale et physique avec d’autres, plus légères, voire même de comédie pure – comme cette scène de tango hallucinatoire – empêche la tension bien réelle de sombrer dans l’outrance et le voyeurisme. La violence devient même un prétexte de comédie et de burlesque dans la manière dont elle est traitée par le montage.

Dolan appréhende également le genre comme une matière malléable qu’il peut adapter à l’envie aux atermoiements et fluctuations de son scénario et de ces effets de style. S’il s’achemine progressivement sur le terrain du thriller psychologique, le film semble ne jamais vraiment s’y abandonner complètement, et laisse en suspend des scènes et des coups de théâtre qui seraient déterminant dans un véritable film de genre. Comme le jeune homme expérimentateur qu’il est toujours, Dolan se frotte au genre mais s’y pique pas tout à fait.

Depuis le début, Dolan aime prendre de nouvelles influences et les citer explicitement à chaque film. Après avoir approché Wong Kar-wai dans Les Amours imaginaires et Almodovar dans Laurence Anyways, il s’attaque à Hitchocock avec Tom à la ferme, même s’il affirme n’avoir jamais vu un seul de ses films. En voyant des réminiscences aussi flagrantes que celles du plan de la douche de Psychose ou que la poursuite dans le champ de maïs de La Mort aux trousses, on peut effectivement se dire qu’il touche plus à une sorte d’inconscient collectif de la cinéphilie qu’à une citation en bonne et due forme d’un film en particulier. Son geste tiendrait en fait plus de celui d’un DJ qui samplerait un extrait qui lui plaît pour l’intégrer à sa propre création. C’est cette manière désinvolte et instinctive d’aborder son art qui fait de Dolan un cinéaste assurément moderne, et qui lui confère peut-être un peu de ce génie qu’on lui a attribué très vite.

Thibaut Grégoire

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