Critique et analyse cinématographique

Gros plan sur : « Manhattan » de Woody Allen

Moins fulgurant et plus anecdotique qu’Annie Hall, réalisé deux ans avant, Manhattan est pourtant considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre de Woody Allen. Véritable ode à sa ville, qu’il tente de décrire à plusieurs reprises durant le prologue, le film a surtout marqué l’inconscient collectif des cinéphiles par ses plans de New York sur la musique de Gershwin et par la vision du pont de Queensboro au petit matin, immortalisée sur l’affiche. Mais à travers le portrait d’une ville, c’est surtout un autoportrait, tendre mais sans concessions, que dresse Woody Allen.

Manhattan

Si ces images fortes ont durablement installé Manhattan à sa place de classique incontournable, la plus belle scène du film est peut-être tout simplement un champ/contre-champs, à savoir la dernière scène dialoguée du film. Venant à peine de réaliser qu’il a laissé filer celle qui pourrait être la femme de sa vie quelques semaines auparavant, Isaac la rejoint en courant pour s’apercevoir que celle-ci est sur le point de partir à Londres pendant six mois. Tentant de la retenir dans un dernier élan désespéré, et dans le plus pur style « allenien » d’une logorrhée à la fois continue et incertaine, il se voit répliquer que six mois, ce n’est pas si long, et que l’attente n’est pas forcément une mauvaise chose. Après la dernière réplique du film – « Not everybody gets corrupted. You have to have little faith in people. » – la caméra capte le plus beau plan du film, un simple contre-champs sur Allen, arborant sa mine habituelle de chien battu, et esquissant tant bien que mal un sourire maladroit qui fige le film dans cette impression d’espoir délicat. Rarement un auteur n’aura fait de lui-même un portrait si juste et si attendri. Comme si le film avait été une psychanalyse qu’Allen se prodiguait à lui-même, ce dernier plan apparaît comme une possibilité de rémission et d’acceptation de soi par cet éternel anxieux.

Thibaut Grégoire

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