Critique et analyse cinématographique

FIFF 2017 – Carnet de bord (2)

Deux très bons films et quelques bonnes surprises ont émaillés les jours du milieu de ce FIFF : la méthode de Depardon, l’univers visuel de Cattet et Forzani, ainsi que la générosité de Sara Forestier, ont été au centre de l’attention.

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M de Sara Forestier

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Alors que, dans la première partie, le centre de l’attention est le personnage de Lila, incarné par Sara Forestier – celui de Mo, incarné par Redouanne Harjane, étant alors un adjuvant, une sorte de pygmalion bienveillant – la situation s’inverse dans la deuxième partie, et Mo devient imperceptiblement le sujet du film. Si la première est bègue et butte sur les mots de manière directe, le second est analphabète et n’a même pas accès aux bases pour les aborder. Si le parallèle entre ces deux empêchements, et leur mise en rapport à travers une histoire d’amour, conduit parfois – et particulièrement vers la fin du film – à des excès de signifiance et à une lourdeur empreinte de naïveté, il n’en établit pas moins le projet que dessine le film : saisir la complexité de l’accès aux mots et à la parole.

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Note : 5,5/10

 

Les Bienheureux de Sofia Djama

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Un casting réussi et la sincérité d’une dénonciation sociale ne suffisent pas à faire un film. Bien qu’il soit attachant, à l’image de son trio d’acteurs adolescents, et que l’oppression politique soit habilement montrée, Sofia Djama peine à dépasser le film à thèse que rien ne vient bousculer. Que la situation en Algérie soit compliquée est une chose à laquelle on peut évidemment se rattacher, mais Les Bienheureux aurait gagné à aller plus loin et à inventer son propre moyen d’expression. Ici, tout repose sur le scénario. La mise en scène se limite à une bonne direction d’acteurs. Si la volonté de Sofia Djama était de réaliser un brulot politique, c’est probablement réussi, mais l’esthète et le penseur resteront sur leur faim. Et on sait qu’aujourd’hui, pour faire passer un message à grande échelle, il veut mieux miser sur la mise en scène ou la réinvention du film de dénonciation en le rapprochant du cinéma de genre.

Note : 5/10

 

12 jours de Raymond Depardon

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Dans la continuité de la démarche qu’il a sur le long cours de filmer des institutions et les individus en prise avec celles-ci, Raymond Depardon pose sa caméra dans un local de l’hôpital psychiatrique du Vinatier près de Lyon, où des patients internés depuis moins de 12 jours vont défiler devant un juge chargé de décider, après examen de leur dossier et audition de leur point de vue, de la poursuite ou non de leur internement. Avec des plans fixes et des champs/contre-champs des deux côtés d’une table séparant d’une part le juge, de l’autre le patient souvent entouré d’une aide juridique et d’un membre du personnel soignant, Depardon arrive à établir un système d’équité dans l’expression – peut-être plus que dans la parole. (…) Jamais la parole des patients n’est discréditée – du moins pas par le film ou le cinéaste – et elle existe même peut-être plus que le langage procédurier qui leur est opposé. C’est en tout cas la confrontation de deux types de langages qui est mise en scène : un langage mesuré, paralysé par une forme d’uniformisation qui ne ramène à rien de concret, à rien de vivant – celui des juges –, et un langage qui se cherche, qui fluctue sans arrêt au contact de l’autre et qui existe de manière plurielle, hétérogène.

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Note : 8,5/10

 

Laissez bronzer les cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani

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Le troisième film du duo Cattet et Forzani, si on peut encore lui reprocher son maniérisme et son trop-plein de références dans un pur souci d’esthétisme, est à ce point habité par ses idées qu’il dépasse toutes les tentatives de réduction. Il n’est pas seulement question ici d’un jeu de références, mais de la mise en place d’un univers à plusieurs niveaux de sens, traversé par des idées fulgurantes qui renvoient autant au discours méta-filmique qu’à la rêverie et à la réflexion sur la création artistique.

Note : 7/10

 

Het tweede gelaat de Jan Verheyen

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Troisième enquête des inspecteurs Vincke et Verstuyft, Het tweede gelaat s’apparente peut-être plus à un épisode de série, à un téléfilm à suspense plutôt mieux réalisé que la moyenne, qu’à un film de cinéma. Ce qu’on y trouve se fait effectivement de plus en plus rare dans les films de fictions conçus pour la projection en salles, c’est-à-dire ce plaisir de l’intrigue, de suivre une histoire menée par un suspense simple et systématique – en l’occurrence un « whodunit » classique à base de serial killer – en ayant la certitude que le contrat de résolution sera respecté à la fin. Comme un roman de gare – objet également désuet puisque remplacé par le best-seller – Het tweede gelaat fait partie de ces films qui n’ennuieront personne mais ne seront pas non plus aimé, du moins pas de manière trop visible. Il recèle pourtant une certaine honnêteté envers son spectateur et un vrai charme très évanescent.

Note : 5/10

 

Petit Paysan de Hubert Charuel

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Annoncé comme un drame réaliste virant au thriller et même au fantastique, Petit Paysan, en réalité, ne vaut guère plus qu’un vulgaire téléfilm de terroir, tant par l’étonnante platitude de sa mise en scène que par le jeu catastrophique de ses acteurs. Comment un tel film peut aujourd’hui être considéré comme du « cinéma d’auteur » est un mystère. L’obscénité de son programme n’a pas de limites. Le réalisateur tombe dans tous les pièges possibles et imaginables tendus par son sujet : humour maladroit qui ne fera rire que les bourgeois, caricatures à gogo, condescendance répugnante qui veut se faire passer pour de l’humanisme, émotion préfabriquée, scenario hyper prévisible, propos simplistes et réducteurs, etc. On a même droit à la romance décalée avec la petite boulangère !  A un moment, on se dit même que Christian Clavier va débarquer tant Petit Paysan ressemble à une de ses pochades. Rien ne fonctionne, ou plutôt : tout est tellement mal pensé que le comique et la gêne deviennent involontaires. Signalons encore, au passage, et parmi d’autres errements grand-guignolesques, la participation grotesque de Bouli Lanners en paysan liégeois youtubeur qui profite de l’occasion pour parfaire son accent de « bourrin » belge.

Note : 2/10

 

Lumière ! L’aventure commence de Thierry Frémaux

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En compilant une centaine de vues Lumière et en y ajoutant un commentaire audio de son cru, Thierry Frémaux tend à faire un travail de conservation de la mémoire cinématographique. Il espère probablement toucher le public le plus large possible et « l’ éduquer » à voir des films qu’il n’a pas l’habitude de regarder. Il adopte non seulement ainsi une attitude paternaliste qui rend précisément la cinéphilie rébarbative – qui a envie d’avoir la voix du « sage » derrière soi pour savoir quoi aimer et pourquoi ? –, mais il n’apporte non plus pas grand-chose à l’appréhension de ces films par un public de théoriciens ou d’étudiants en cinéma, qui ne l’ont pas attendu pour en prendre connaissance et dont le plaisir de les découvrir se situe probablement plus dans une recherche personnelle de ceux-ci. La vision des vues Lumière est certainement plus jouissive si elle se fait de manière hétéroclite et autonome, et non par l’intermédiaire d’un programme prémâché et prêt à consommer.

Note : 4/10

 

Le FIFF se tient à du 29 septembre au 6 novembre à Namur

Plus d’infos sur le site du FIFF

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