Critique et analyse cinématographique

« Aimer, boire et chanter » d’Alain Resnais : Petit théâtre de la vie et de la mort

Il y a, dans la mythologie cinéphile, une sorte de légende persistante qui confère au dernier film d’un auteur le statut de « testament » filmique qui à la fois résumerait toute son œuvre et ouvrirait des horizons pour l’avenir du cinéma. Dans le cas présent, on se trouve plus précisément devant le prolongement de ce fameux testament, qui avait déjà été livré dans les grandes lignes dans le précédent opus, Vous n’avez encore rien vu.

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Comme souvent ces dernières années, Resnais prend une nouvelle fois appui sur un texte de théâtre – une autre pièce d’Alain Ayckbourn, après Smoking/No Smoking et Cœurs – et l’utilise comme vecteur de son travail continu sur l’artificialité au cinéma, à travers tout un système de dépouillement et d’aplanissement. Pour amener cette artificialité et illustrer l’idée même de théâtre à l’écran, Resnais fait cette fois-ci appel au dessin – à travers des esquisses du bédéiste Blutch et des décors peints, gommant toute profondeur de champs – afin de mettre en exergue le jeu des acteurs et les états d’âme des personnages.

Comme dans le précédent film, on ne peut que rapprocher la figure tutélaire de Resnais d’un personnage, à la fois absent et tout-puissant. Dans Vous n’avez encore rien vu, il s’agissait d’un auteur décédé qui convoquait ses acteurs préférés afin qu’ils jouent une dernière fois son chef d’œuvre. Dans Aimer, boire et chanter, ce personnage est George, à l’article de la mort mais exerçant sur tous ses amis – et en particulier les femmes – une fascination indéfectible, les conduisant à adopter les comportements les plus irréfléchis. Ici encore, il est question d’une pièce que l’on répète et d’allées et venues constantes entre scènes de vie et scènes de théâtre. S’il reprend l’idée du marionnettiste absent, le cinéaste la radicalise puisque George, bien présent dans l’espace-temps diégétique du texte et du film, n’apparaît jamais sous aucune forme. À l’image de Resnais, ou de l’idée du cinéaste comme démiurge farceur, George plane sur les intrigues qu’il fait et qu’il défait, et sur ce film qu’il surplombe de son ombre évanescente. Il est une sorte de fantôme qui veille sur les autres et leur rappelle qu’ils sont vivants.

Thibaut Grégoire

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