Critique et analyse cinématographique

« De rouille et d’os » de Jacques Audiard

Présenté à Cannes simultanément à sa sortie en salles, le nouveau prétendu chef-d’œuvre de Jacques Audiard s’est vu  immédiatement auréolé de la palme de la critique, laquelle critique l’a mis sur un piédestal avant même d’avoir vu le reste de la sélection officielle. En dehors de ce phénomène cannois, qui n’est finalement que périphérique et essentiellement médiatique, que vaut le film ?

Inspiré d’un recueil de nouvelles de l’écrivain américain Craig Davidson, De rouille et d’os fait se rencontrer deux lignes narratives, isolées dans le livre. D’une part, Ali, jeune papa au physique de bûcheron, rejoint sa sœur et son beau-frère dans le sud de la France, avec son fils dans les bagages. Engagé comme videur dans une boîte de nuit, il y rencontre Stéphanie, jeune femme paumée, qu’il ramène chez elle après l’avoir secourue d’une agression. Stéphanie est quant à elle dresseuse d’orques dans un parc animalier. Suite à un accident lors d’un show en public, elle perd ses deux jambes. Par un concours de circonstances, et de la manière la plus naturelle qui soit, ces deux individus que tout oppose en apparences vont se lier et développer une relation entre amour et amitié, tandis qu’Ali rentre subrepticement dans le milieu trouble des combats clandestins.

Pas la peine de se voiler la face, le résumé dit tout. On est bien là dans un pur mélodrame. Mais si le scénario semble assumer pleinement cet état de fait, le petit malin Jacques Audiard ne manque pas de se distancier du genre qu’il prétend aborder, en y injectant une dimension sociale toute « dardennienne ». Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que le film est coproduit par les Films du Fleuve, la boîte des frères liégeois. Ce rapprochement entre le cinéma d’Audiard et celui des Dardenne n’est pas neuf. On pouvait déjà le déceler dans Sur mes lèvres ou encore De battre mon cœur s’est arrêté. Mais là ou les frères Dardenne continuent de refuser tout artifice de montage, Jacques Audiard n’hésite pas à y faire recours, et d’abuser de la musique ou de ralentis incongrus. L’autre différence majeure réside dans le regard qui est porté par le cinéaste sur le milieu social qu’il dépeint. Là où les Dardenne déploient leur film pour s’intéresser aux individus dont ils parlent, Audiard ne s’intéresse qu’au personnage et à son milieu de vie que pour l’utiliser à des fins dramaturgiques. C’est en cela que De rouille et d’os n’est en rien un film social mais bien, comme le dévoile la dernière partie, une success-story doublée d’une love-story.

L’autre connexion avec le cinéma belge est dans le casting, où l’on retrouve l’acteur flamand Matthias Schoenaerts, découvert (en dehors du plat pays) suite à son interprétation de brute meurtrie dans Rundskop de Michael R. Roskam. Audiard, d’abord à la recherche d’un acteur non-professionnel pratiquant le free-fight, s’est rabattu en deuxième choix sur cet acteur bâti comme un boxeur, pour lui confier, à quelques différences près, le même rôle que celui dans lequel il l’avait découvert. Il y a ainsi des acteurs à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession, uniquement parce qu’ils sont capables de jouer, tout en arborant un physique de sportif, comme si ces deux qualités étaient à ce point antinomiques que de les réunir relèverait de l’exploit. C’est ce qui contribue à forger la légende en marche pour ce comédien à l’ascension fulgurante, et surtout à alimenter l’hallucination collective.

Si l’on parle autant des comédiens (Schoenaerts et Cotillard) lorsqu’on aborde ce film, c’est parce qu’il s’agit avant tout d’un film de personnages. Si cette subdivision catégorique assez convenue n’est pas systématiquement synonyme de ratage, elle est cependant trop souvent dénaturée en celle de « film de comédiens », laquelle subdivision brille généralement par ses cabotinages éhontés d’acteurs à qui l’importance qui leur est donnée monte à la tête. Sans tomber tout à fait dans ce travers-là, le film d’Audiard n’échappe pas à un certain parasitisme de ses têtes d’affiches, érigés en moteur de l’action et de la mise en scène. Mais l’on se prend parfois étrangement à regretter la présence des acteurs, lorsqu’Audiard se laisse aller à des digressions visuelles improbables à base d’orques au ralenti. Au final, les défauts et les qualités du film sont tellement imbriquées les unes aux autres qu’il devient presque impossible de les distinguer. Mais ce qui ressort au final de la vision de ce sixième film d’Audiard est que l’homme pratique certainement plus un cinéma de comédiens qu’un cinéma de mise en scène ou qu’un cinéma d’auteur.

Thibaut Grégoire

2 Réponses

  1. Assia

    Le personnage de Marion Cotillard s’appelle Stéphanie et non Sophie

    juin 13, 2012 à 00:27

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