Critique et analyse cinématographique

Interview de Mathieu Demy pour « Americano »

Pour son premier long métrage, Mathieu Demy aborde le sujet de la filiation à travers le prisme du cinéma, comme une évidence. Cet enfant de la balle, fils de Jacques Demy et d’Agnès Varda, se met en scène au milieu d’un casting prestigieux, composé notamment de Salma Hayek, Chiara Mastroiani, Géraldine Chaplin ou encore Jean-Pierre Mocky, et raconte l’histoire d’un deuil, sous forme de road movie.

Pourquoi ce titre, « Americano » ? Que représente-t-il ?

Dans le film, on demande au personnage s’il est « americano ». C’est un personnage qui va grandir et se constituer son identité à travers la crise du deuil. Cette identité va apparaître car il va retisser des liens avec sa mère décédée, qui lui a donné cette nationalité américaine. C’est l’histoire d’un homme qui accepte la part d’« americano » qui est en lui, et par là même, d’avoir une relation paisible avec la mémoire de sa mère.

Le personnage de Martin est-il votre alter-ego ?

Non, c’est un personnage de fiction, qui est plus une projection de la personnalité de ma mère. Il est issu du film Documenteur, que l’on a tourné en 1981. Même si c’est un film qui était très proche de ce qu’on vivait à l’époque, cela restait quand même de la fiction. J’ai voulu reprendre ce personnage, me le réapproprier et le faire grandir. Ce n’est donc pas tout à fait moi. J’espère être un peu moins obtus que lui, et que j’arrive mieux à montrer mes sentiments. Mais c’est un personnage de fiction qui m’est proche, on va dire.

Cette volonté de reprendre le personnage et des scènes de Documenteur était-elle à la base du projet ?

Oui, c’était vraiment à la base du projet. Il y a plusieurs paramètres qui sont entré en jeu. Premièrement, j’avais vraiment envie de reprendre ce personnage et de me le réapproprier. Je ne voulais pas le laisser comme ça, tel qu’on l’avait laissé à la fin de Documenteur. D’autre part, je voulais parler du deuil, en le fictionnalisant. J’ai moi-même vécu un deuil, mais pas de cette manière-là. Je voulais faire du deuil un déclencheur, duquel découleraient un voyage et tout un tas de questionnements. Tout ça s’est mis en place, petit à petit. Je me suis dit que le personnage serait en deuil de sa mère, ce qui me permettrait de parler de la mienne, au travers des flash-backs issus de Documenteur, qu’elle a réalisé. Cela me permettait donc de dialoguer avec mon enfance par l’intermédiaire du cinéma, tout en faisant un film qui est également un film d’aventures.

Était-ce une évidence pour vous que votre premier long métrage soit une histoire de filiation ?

Oui, bien sûr. J’étais obligé de faire ce film-là. Je ne sais pas si je ferai d’autres films, mais j’étais obligé d’en passer par là, de raconter d’où je viens, quels ont été les films importants pour moi, dans mon enfance. Je voulais dire cela tout en mettant en scène quelqu’un qui essaie de s’en affranchir. Même si, à l’inverse de Martin, je n’ai pas mis les films de mon père à la poubelle, et j’ai accepté mon lot.

La filiation, dans le film, semble intrinsèquement liée au cinéma, non seulement à travers les scènes de Documenteur, mais aussi dans le choix des comédiens, comme par exemple Chiara Mastroiani ou Géraldine Chaplin….

Oui, c’est vrai qu’il y a cette dimension-là également. Mais j’ai surtout choisi ces actrices parce qu’elles étaient à leur place dans le film, y compris du point de vue géographique. Par exemple, Géraldine Chaplin personnifie bien le trait d’union entre l’Europe et les Etats-Unis. Quant à Chiara Mastroianni, c’est quelqu’un dont je me sens très proche, et je trouvais que former un couple à l’écran avec elle avait du sens. Mais c’est sûr que j’avais envie de rattacher le film à des racines de cinéma, à une mémoire de cinéma. C’est d’ailleurs également pour ça que j’ai choisi Jean-Pierre Mocky, qu’on connaît comme cinéaste, pour incarner mon père à l’écran. Mais ça s’est fait un peu par hasard, car ce n’est pas ça qui a dicté mon choix de leur proposer les rôles. De la même manière, je voulais aussi que cette femme mexicaine qui n’a rien à voir avec lui, représente quelque chose de très étranger, de très exotique. C’est elle qui va apporter la clé au problème de Martin. Lorsqu’on est trop absorbé par un problème, c’est souvent quelqu’un d’extérieur à la situation qui va vous en apporter la solution, comme une évidence. Pour moi, Salma Hayek incarne quelque chose qui n’est pas courant dans le cinéma d’art et essai français, et elle ouvre le film vers autre chose, vers le merveilleux. J’ai donc choisi des acteurs qui me semblaient être à leur place dans ce glissement, cette tourmente intérieure que traverse le personnage.

C’est vrai que le personnage voyage, non seulement entre différents lieux, mais également entre différents types de cinéma. Il passe du cinéma d’auteur français, au début, vers le road movie, avant de terminer le film dans une autre atmosphère. Et votre personnage est le seul dans le film à passer d’un cinéma à l’autre, d’un univers à l’autre….

Oui, c’est tout à fait ça. Mais c’est vraiment ma sensation de cinéphile, et cela vient des films qui m’ont constitué. J’ai grandi à la fois avec des road movies, des westerns, des films noirs, …. Pour moi, le cinéma n’a pas de nationalité, et j’aime tous ces films de la même manière. J’aimais bien l’idée que mon film fasse penser à d’autres films. Il y a évidemment des échos aux films de mes parents, pour raconter un peu d’où je viens, mais il y a aussi des échos à d’autres films. J’ai conçu Americano comme une espèce de conte, qui serait habité par des genres de cinéma qui me sont chers.

Cette dimension de conte apparaît peut-être également de manière plus évidente dans la dernière partie, dès l’apparition de Salma Hayek….

C’est vrai que l’on bascule un petit peu dans le surnaturel à ce moment-là. Mais quand je parle de conte, c’est surtout une volonté de se décoller un peu de la vraisemblance. Le moment où Martin rentre dans cette boîte, l’ « Americano », c’est un peu le moment où il va rentrer dans sa propre tête et fouiller dans sa mémoire. Mais c’est sûr que dans un endroit comme celui-là, jamais une strip-teaseuse ne viendrait chanter une chanson de Rufus Wainwright, de cette manière-là. C’est donc clairement une projection fantasmagorique de ce qu’il a dans la tête.

Entretien réalisé par Thibaut Grégoire

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