Critique et analyse cinématographique

« Le cahier » de Hana Makhmalbaf

Issue d’une famille de cinéastes, Hana Makhmalbaf offre, pour son premier long-métrage de fiction, une vision à la fois dure et originale de la situation actuelle et de l’histoire de l’Afghanistan, aidée par un splendide scénario écrit par sa mère.

Sur un site anciennement dominé par des statues géantes de Bouddha, détruites par les talibans, une petite fille de 6 ans se met en tête d’aller à l’école. Vaguement encouragée par son petit voisin, et en quête de « belles histoires », elle s’engage dans un véritable parcours du combattant pour acquérir un cahier. Si ce cahier ressemble, pour la petite fille, à un passeport pour l’école, et donc pour le savoir, il en est en réalité fort éloigné, et les obstacles dressés par les hommes ne cesseront d’interférer dans le monde de l’enfance.

Si l’image du cahier est un symbole fort, brandi comme une bannière, voire comme un bouclier, par la petite Baktay, qui brave tous les dangers pour accéder au savoir, le titre original du film, Buddha Collapsed Out of Shame (Bouddha s’effondra de honte), est peut-être encore plus parlant concernant le projet d’Hana Makhmalbaf. En racontant une histoire du point de vue de l’enfance, et en ne sortant jamais de ce cadre, elle parvient à mettre en lumière de manière encore plus forte les absurdités mises en place par le monde des adultes. Les enfants, rejouent ici des situations d’adultes et en subissent les conséquences. La honte que devraient ressentir les adultes face aux dommages qu’ils ont occasionnés sur le monde de l’enfance apparaît à travers ces immenses trous dans la roche, ces grottes percées comme des traces de balles là où trônaient justement le savoir et la sagesse que représentaient ces monuments.

Il est beaucoup question de représentation et de symboles dans le film d’Hana Makhmalbaf. Si les objets représentent bel et bien des idées, des valeurs, ils ont également une dimension supplémentaire, qui leur est donnée par le regard que portent sur eux les enfants. En effet, des objets tels que le cahier ou un bâton de rouge à lèvres, en dehors de leur éventuelle portée symbolique, sont aussi emmenés vers une autre signification lorsqu’ils sont utilisés comme des jouets par les enfants, dans les mains desquels ils circulent.

En réalité, il y a une évolution constante du statut qu’ont les objets, les enfants et les situations, au fil du récit. Quand une bande de garçons « kidnappent » la petite Baktay avec des bouts de bois en guise de fusil, le jeu s’efface peu à peu pour laisser apparaître une violence bien réelle. Le jouet qu’est le bout de bois change alors de statut et devient une arme. Les enfants, quant à eux, en se comportant comme des adultes, deviennent réellement menaçants. Et le rouge à lèvres, utilisé par la petite fille comme un crayon pour griffonner dans son cahier, est ensuite confisqué pour ce qu’il est réellement et ce qu’il représente, un atour de la féminité qui doit rester caché.

En choisissant de tout montrer du point de vue de l’enfance, Hana Makhmalbaf donne à son film deux lignes convergentes. La première, purement visuelle, consiste à filmer à hauteur d’enfant, ce qui se traduit par des plans étranges, d’une beauté inédite. La deuxième est une reconsidération de tous les éléments historiques et contextuels à travers le prisme de l’enfance. Tout est repensé à petite échelle, tout est réadapté aux jeux et aux ressentis des enfants. Si l’échelle est différente, les situations sont identiques et la force du propos, loin d’être atténué, s’en voit même décuplée. Voir ainsi des enfants confrontés de manière détournée à des problèmes qui les hanteront toute leur vie se révèle bouleversant et incroyablement parlant.

Thibaut Grégoire

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