Critique et analyse cinématographique

« Wadjda » de Haifaa Al-Mansour

Premier long-métrage de cinéma tourné en Arabie saoudite, Wadjda est sorti  en Europe sous ce label quelque peu impressionnant. Si un tel argument de vente est indéniablement une force dans le cahier des charges promotionnel, il peut très vite s’avérer une faiblesse pour le film si le poids de son statut dépasse ses qualités intrinsèques. Mais heureusement, Wadjda parvient à se défaire de ce cachet encombrant, par ses influences et son ton particulier.wadjda-06-02-2013-3-g

Dans la lignée de films iraniens comme ceux de Farhadi, où la critique du système en place transparaît derrière un récit classique et divers artifices de scénario, Wadjda se situe cependant dans un créneau légèrement différent. Si les films de Farhadi sont purement des films de scénario, le premier long de Haifaa Al-Mansour se situe plus dans une continuité du néo-réalisme, tout en puisant ses influences dans un cinéma social européen, et plus particulièrement dans celui des frères Dardenne. La réalisatrice cite d’ailleurs Rosetta comme étant son influence directe pour ce film. Comme l’héroïne des frères Dardenne, Wadjda est mue par la volonté inébranlable d’atteindre un but précis. Mais Al-Mansour transforme la rage socialement déterminée de Rosetta, par une ruse enfantine : pour pouvoir acheter un vélo, Wadjda se met en tête de gagner un concours de récitation coranique.

Ce qui est intéressant, c’est que le but de Wadjda est la satisfaction d’un désir personnel, enfantin, en dehors de toute pression extérieure. Bien qu’elle évolue au sein d’une famille au bord de l’explosion – son père est sur le point de renier sa mère parce qu’elle ne lui a pas donné de garçon –, Wadjda vit sa vie et entend bien parvenir à ses fins, en dépit de sa situation familiale ou culturelle. Le système politique et les dogmes religieux sont bien entendu un obstacle pour elle, puisqu’une fille n’est pas censée faire du vélo. Mais pour tenter de contourner les interdits, elle va justement utiliser les rouages du système en prenant le concours de prières comme tremplin pour arriver à son but.

En dehors de la référence aux frères Dardenne, Wadjda fait également penser aux premiers films de Kiarostami – Le Passager, Où est la maison de mon ami ?, …  – dans lesquels le portrait d’un individu – en l’occurrence un enfant – était préféré à celui d’une société, et où la chronique sociale filtrait au travers d’un récit linéaire et volontariste. Que le premier film réalisé en Arabie saoudite prenne cette voie-là, et choisisse le particulier féminin comme pierre de Rosette pour décrypter sa société, est en somme une excellente nouvelle.

Thibaut Grégoire

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