Critique et analyse cinématographique

Interview de Hans Petter Moland pour « A Somewhat Gentle Man »

Nous avons rencontré le cinéaste norvégien Hans Petter Moland, pour son film A Somewhat Gentle Man, une savoureuse comédie noire, portée à bout de bras par l’incroyable acteur suédois Stellan Skarsgaard.

Bien que le film parle de criminalité, l’humour y est omniprésent. Etait-ce quelque chose qui était là dès la première mouture du scénario ?

J’ai toujours conçu le film comme une comédie et je l’ai réalisé comme tel. C’est vrai que cela parle de gangsters mais c’est avant tout une comédie.

Pensez-vous que l’humour est le meilleur moyen de parler de sujets difficiles, comme la réinsertion des ex-détenus, etc. ?

Ce n’est pas un film qui aborde sérieusement ce genre de sujet. Ça parle d’un homme qui sort de prison mais c’est plus un film sur le temps qui passe et sur le déroulement de la vie. C’est un criminel mais c’est avant tout un homme qui a un boulot, une vie. Mais pour répondre à votre question, l’humour est souvent la meilleure manière d’aborder des sujets sérieux, car la comédie peut être très sérieuse dans ses intentions. Ce n’est pas parce que les gens rient que l’on ne fait pas passer des messages importants. Mais le but premier du film est de divertir, avant toute chose.

Le personnage d’Ulrik semble être perdu, dans cette société qu’il doit réintégrer. N’est-il pas comme un petit garçon qui doit tout réapprendre ?

Oui, c’est une bonne manière de voir les choses. Il a été isolé pendant douze ans en prison. Le monde a changé et il est perdu. Il n’a plus d’espoirs pour le futur car il ne connaît plus le monde. Il a passé toute sa vie à faire de mauvaises choses. Mais il a envie de réapprendre. Et en même temps, il ne se fait pas d’illusions, il n’attend pas que le monde lui ouvre les bras et que ces erreurs du passé soient effacées. Cela étant dit, je crois que c’est en quelque sorte un « feel good movie », car le futur s’ouvre à lui à la fin du film, alors qu’il n’en espérait pas tant.

Le film est donc optimiste. Mais est-il réaliste ?

C’est une comédie optimiste qui part du postulat que l’on peut toujours faire quelque chose de sa vie, qu’importe d’où on part. C’est un film plutôt amoral, car le personnage a passé sa vie à faire de mauvaises choses, mais ce n’est pas forcément un mauvais être humain. C’est l’histoire d’un homme qui découvre qui il est et qui se rend compte qu’il peut être accepté pour ce qu’il est.

Ulrik est également une sorte de proie sexuelle pour toutes les femmes qui gravitent autour de lui. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Peut-être que ces femmes ont envie de voir ce qui ce passe quand un homme n’a pas eu de relations sexuelles pendant douze ans. Surtout son ex-femme, qui veut voir la différence avec ce qu’elle a connu auparavant. Mais il me semble aussi intéressant de voir des personnages qui n’ont pas les mêmes désirs que la plupart des personnages de films. La propriétaire d’Ulrik, par exemple, est très manipulatrice. Elle abuse de lui, et je crois même qu’on peut dire qu’elle le viole. Mais ce sont plus des désirs primaires que des fantasmes érotiques.

Il y a une histoire de vengeance dans le film, mais contrairement à d’autres films qui mettent ce thème au centre du film, il est ici relégué au second plan. Est-ce une manière de dire que ce n’est pas une solution ?

Ulrik, dix ans plus tôt, voulait se venger, plus que tout, mais au moment du film, cette envie lui est passée. Il se pose des questions existentielles. Est-ce plus important de se venger ou de vivre sa vie, de devenir grand-père, etc. ? La vengeance est un désir de jeune homme, mais pour un homme qui a passé tellement de temps à l’ombre, il y a des choses plus importantes.

La famille est au centre de plusieurs de vos films, comme Aberdeen, The Beautiful Country ou ce film-ci. Est-ce votre thème de prédilection ?

Oui, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est le début de toute civilisation. C’est par la famille que l’on développe nos aptitudes sociales. On y prend conscience que l’on n’est pas seul au monde, que l’on doit interagir avec d’autres êtres humains. C’est aussi la source de la plupart des conflits de notre vie. On y est soumis à l’autorité des aînés, on y est en compétition avec ses frères et sœurs, etc. Je suis moi-même issu d’une grande famille et je n’ai pas toujours eu une vie familiale aisée, durant mon enfance. Et je pense que c’est déterminant dans l’existence de tout un chacun. Dans ce film, la famille d’Ulrik, au sens strict du terme, est une famille brisée, mais il a également une autre famille : sa famille de criminels. Il pense que ces deux familles, ces deux mondes, coexistent sans se toucher, et subitement, ils se mettent à se toucher….

Bien que le film soit une comédie, il y a une tristesse latente, qui vient en partie du visuel, des couleurs….

Oui, l’action se déroule dans un des quartiers les moins glamours d’Oslo, à la fin de l’hiver. Mais le printemps approche, donc, quand le film se termine, les rayons du soleil commencent à poindre. Je pense que c’est une métaphore assez intéressante.

Quelles étaient vos influences, dans la réalisation du film, vis-à-vis du genre du film de gangsters ?

J’ai placé l’action du film à Oslo en partie pour des raisons budgétaires, mais aussi parce que je pensais que ça allait donner un certain cachet au film. Il y a des conventions du film de gangsters avec lesquels je joue, tout en les intégrant aux décors des lieux de tournage. Mais, cela étant dit, je pense qu’il y a un côté crépusculaire : le chef des gangsters, par exemple, est à la fin de sa carrière, et il n’a plus le pouvoir qu’il avait auparavant. Mais quand on vieillit, que l’on soit gangster ou comptable, les choses se déroulent de la même manière. C’est un film sur des gangsters qui ne sont plus aussi redoutables qu’avant.

Vous n’avez pas écrit le scénario du film. Comment vous l’êtes vous réapproprié ?

Quand j’ai lu le script pour la première fois, j’aimais le ton et les personnages, mais je trouvais que la troisième partie devait être changée. Cela ne finissait pas dans la même veine que le reste du film. J’ai donc proposé de changer tout le troisième acte et j’ai travaillé avec le scénariste. C’est à travers ce processus que l’on apporte son univers. Mais le scénario est une base. C’est par la suite que l’on va en faire une œuvre, par la réalisation mais aussi par le casting. Je ne crois pas en la sacralité du scénario. Si les scénarios étaient forts par eux-mêmes, on les donnerait à lire au spectateur. C’est par la manifestation physique du scénario que tout prend vie. Sans un bon script, il est difficile de faire un bon film, mais le processus de développement et la dynamique de groupe comptent également beaucoup dans la réussite d’un film.

Vous avez dit que le film s’était monté avec un budget limité mais que toutes les personnes impliquées étaient vraiment motivées et passionnées. Est-ce que cela a été un moteur pour le film ?

Pour que quelque chose soit réussi, il faut que ce soit fait avec passion. Pour ce film, le fait que tout le monde se soit impliqué à fond a facilité sa réalisation, en dépit du manque d’argent. Parfois, c’est beaucoup plus difficile de mener à bien un projet bien doté, car il y a trop d’intérêts en jeu. En ce qui concerne ce film-ci, en tout cas, le budget limité a été un atout.

Vous avez souvent travaillé avec Stellan Skarsgard. Vous inspire-t-il, en tant qu’acteur ?

C’est un acteur merveilleux. C’est un des acteurs les plus talentueux au monde, actuellement. Nous aimons beaucoup travailler ensemble et nous nous donnons mutuellement du courage. Nous oublions que nous travaillons et ça devient comme un jeu. Objectivement, faire un film est un acte très risqué, car il est très rare que ça réussisse. La plupart des films sont des échecs, que ce soit artistiquement ou commercialement. Mais si l’on commence à penser à ça pendant le processus créatif, cela peut devenir paralysant. Donc l’idéal est de travailler avec des gens qui vous font oublier que vous prenez un risque. Et c’est le cas de Stellan.

Propos recueillis par Thibaut Grégoire

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