Critique et analyse cinématographique

« The Descendants » d’Alexander Payne : L’impossible comédie dramatique

Concourant aux Oscars le 26 février prochain, aux côtés de The Tree of Life, de The Artist, ou encore de Hugo, The Descendants a toutes ses chances. Le film est en effet considéré par toute une frange de la critique US comme étant le meilleur de l’année. Au regard de ce qu’il raconte (un père de famille dont la femme est dans le coma doit réapprendre à s’occuper de ses deux filles) et des valeurs qu’il véhicule, cela reste compréhensible. Ce qui l’est moins, c’est que ce sentiment soit relayé en Europe, ou le film bénéficie inexplicablement d’une presse dithyrambique.

Dès les premières minutes, tout le côté désagréable  du film transparaît à travers la voix-off du personnage de George Clooney, qui s’apitoie sur son sort de pauvre propriétaire terrien richissime à Hawaï, dépeint comme étant un faux paradis. Le film s’évertue ensuite de manière bornée à vouloir à tout prix faire passer ce membre honorifique de l’élite économique mondiale pour un citoyen moyen, afin que le spectateur s’identifie aisément à ce père de famille bien sous tous rapports, qui traverse une mauvaise passe. Il y parvient de temps à autre. Mais c’est essentiellement dans ses moments de comédies pures que le film réussit à faire oublier, le temps de quelques minutes, son manque profond d’ancrage dans une réalité sociale et économique réelle. Car le film n’est malheureusement pas une comédie, c’est une comédie dramatique, et c’est précisément dans cet alliage entre deux genres antinomiques, mélange fétiche d’Hollywood, que le film échoue lamentablement.

Il y a dans le cinéma d’Alexander Payne une volonté d’aborder en filigrane les sujets les plus graves (la vieillesse, la mort, la solitude,…) de la manière la plus légère possible. Cette « légèreté », Payne la cherche à la fois dans le « Low key » (Less is more !) et dans l’ironie. C’est dans le recours à cette dernière qu’il frise parfois l’indécence, n’hésitant jamais à tourner en ridicule les personnages qui expriment réellement leurs émotions. Il faut voir comment une femme trompée, se laissant submerger par l’émotion devant le lit de mort de sa rivale, se voit traitée par un Clooney garant des bonnes convenances ! C’est comme si Payne faisait un constat d’échec, et se rendait compte de son incompétence à mettre de la profondeur là où il en faudrait. Il est tout simplement incapable de mêler drame et comédie, rendant par là même compte de l’inexistence de ce genre hybride, qui n’a jamais réellement eu d’identité (contrairement au mélodrame, dans lequel la comédie est absente).

A cette absence de ton identifiable, s’ajoute la tare pathologique du film « indé » américain, l’inévitable éloge des valeurs familiales. Si Payne et son film tentent, en apparence, de ne pas tomber dans ce travers, depuis l’introduction en voix-off, jusqu’à mi-chemin, ils s’engouffrent à pied joint dedans lors de la dernière partie, en convoquant les ancêtres. Cet appel au passé familial finit par réduire les membres de la famille au statut de « descendants », comme annoncé par le titre, et momifie le père et ses filles dans une pause évocatrice et inaltérable de la bonne petite famille bien comme il faut. L’éloge du noyau familial est alors une dernière fois teintée de cynisme, quand apparaît dans le dernier plan un message on ne peut plus clair : « Être une famille, c’est regarder dans la même direction, c’est-à-dire vers la télé, avachis dans le canapé ! ».

Thibaut Grégoire

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